Réduire la fracture culturelle

les actions de la bibliothèque du François en Martinique

Sabrina Tanda, chef de service de la bibliothèque municipale du François (Martinique)

C’est à la bibliothèque de la ville du François, en Martinique, que travaille Sabrina Tanda. Elle expose ici sa forte implication dans ce « service culturel » et son attention permanente à ouvrir le monde du livre à tous, en tenant compte aussi bien des évolutions techniques et sociales que de l’appartenance à la Caraïbe. Avec son professionnalisme et son enthousiasme, gageons que le projet de création d’un « espace dédié au livre et à la lecture sous toutes leurs formes » sera un succès…

Sabrina Tanda, pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

J’ai 31 ans. Je vis en Martinique dans une ville de 22 000 habitants sur la Côte Atlantique de l’île. Actuellement, adjoint du patrimoine de deuxième classe et chef de service de la bibliothèque municipale du François, j’ai intégré l’univers du livre et de la lecture en 1999 en tant que médiateur du livre. Issue de la filière tourisme et loisirs, rien ne me prédestinait à embrasser cette voie. J’y suis pourtant depuis plus de dix ans. J’ai appris sur le tas avec les collègues en poste et suivi des formations d’adaptation à l’emploi dispensées par le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) pendant mes cinq années de contrat emploi-jeune. Je succède aujourd’hui à Christian Mongin qui, après vingt-sept ans à la direction du service, a choisi de se lancer dans un nouveau challenge, la création d’un service d’archives municipales.

Y a-t-il une action, un événement, un livre ou une personne qui vous a tout particulièrement marquée ?

C’est justement Christian Mongin qui, par son implication dans son travail, m’a insufflé « sa passion » du service culturel ! Il aime à raconter comment il a créé le service de toutes pièces, de la couleur des murs jusqu’au premier stylo. Il a été l’un des premiers responsables de bibliothèque municipale de l’île à une période où le livre et la lecture semblaient être les grands inconnus du service public. Son dynamisme et sa grande inventivité ont marqué mes premiers pas au sein de la bibliothèque.

J’ai intégré le monde du livre avec enthousiasme, sans vraiment être préparée à passer du stade de lectrice « occasionnelle » à celui d’ « actrice » de la lecture publique. De par ma formation, je me suis donc orientée vers l’organisation des animations (soirées littéraires, accueil des classes, expositions…), en essayant de faire toujours mieux à chaque fois. Maintenant, c’est la rigueur héritée de Christian Mongin qui me permet d’assurer la gestion du service… Je marche en quelque sorte dans ses traces.

Comment percevez-vous le monde du livre et de la lecture ? Hier ? Aujourd’hui ?

C’est un monde passionnant pour les amoureux du livre qui a su se faire une place pour évoluer avec « son » temps. Je suis toujours émerveillée devant les beaux livres et l’odeur du papier neuf, admirant les couleurs, les belles images et partageant les connaissances, les faits ou souvenirs des uns et des autres : c’est sans doute l’image qu’avait la lecture hier et qu’elle a toujours aujourd’hui. On peut maintenant y ajouter l’évolution des pratiques de lecture, ainsi que des supports.
Bien que certains soient toujours réticents à fréquenter la bibliothèque, le monde du livre et de la lecture n’est plus figé, ce ne sont plus toujours les mêmes qui lisent, ou du moins, c’est un monde qui s’est ouvert à l’ensemble de la population. De même que l’on parle de réduire « la fracture numérique », on réduit également « la fracture culturelle » en rendant l’information accessible à tous.

Comment vous inscrivez-vous dans ce monde ?

Pleinement ! En restant au fait de la profession, en partageant avec les collègues des autres bibliothèques (d’ailleurs réunis au sein de l’Association des bibliothèques publiques de Martinique), en participant à des congrès (malheureusement pas tous les ans !) : l’ACURIL (Association of Caribbean University, Research and Institutional Libraries) me permet d’échanger avec mes collègues de la Caraïbe et l’ABF (Association des bibliothécaires de France), avec ceux de l’hexagone… Je souhaite rester active dans ce monde, œuvrer au développement de la lecture dans la ville, porter le projet de médiathèque que nous avons conçu sur papier jusqu’à sa réalisation. Être active, même si, parfois, la réalité économique nous rattrape.

Est-ce que vous pensez que votre métier change ? Pourquoi et comment ?

Pour faire simple, le stéréotype de l’austère bibliothécaire avec petites lunettes et chignon qui dit toujours « chuuuuuuuut ! » fait place à des équipes dynamiques, dans des espaces dignes de galeries commerçantes. Exit le temple du silence morne et sombre !
Les locaux changent pour plus d’espace et de visibilité (décloisonnement, surfaces en verre) ; de nouveaux contenus et genres littéraires apparaissent sur de nouveaux supports (mangas, CDrom, e-books...) ; et les services offerts à la population se diversifient (laboratoires de langues, concerts). J’oubliais les cafétérias et autres coins de repos pour les lecteurs ! C’est une évolution qui suit le cours du temps, les avancées technologiques et sociales de notre époque, pour satisfaire, d’une part, un public plus exigeant, et d’autre part, valoriser notre activité auprès de ceux qui la connaissent moins.

Est-ce que vous favorisez les livres de la Caraïbe ? Et le créole ? Comment choisissez-vous les livres de la bibliothèque ?

Nous avons un fonds local dédié à la littérature de notre aire géographique (tout l’archipel antillais de Cuba jusqu’à Trinidad et Tobago, en passant par le plateau des Guyanes). Une région non fédérée par une langue mais par une histoire commune qui commence bien avant l’esclavage par une période amérindienne dite précolombienne et un héritage archéologique, culturel et gastronomique commun. Le fonds local est un moyen de découvrir nos similitudes et différences au niveau des évolutions économiques, des courants littéraires et des influences extérieures.
Il est important pour nous de valoriser la région et de la mettre à la portée de tous. Notre fonds est riche de 2 837 exemplaires (fictions et documentaires confondus) en version originale pour les parutions en anglais et espagnol – quand nous le pouvons – et en version bilingue quand il s’agit du créole.

Une épreuve de langue et culture régionale est proposée au baccalauréat et un CAPES créole est préparé à l’Université des Antilles et de la Guyane. De plus en plus d’auteurs écrivent en créole et défendent ce choix : cela va du dictionnaire au conte pour enfants.
Nous avons d’ailleurs mis à part, il y a quelques années, les livres de jeunesse ayant trait à la Caraïbe. Ils forment un petit fonds de littérature antillaise, de plus en plus mise en évidence dans la région par des initiatives comme le village de la littérature de jeunesse antillaise, initiée par la ville du Prêcheur au nord de la Martinique.
Les libraires sont nos principaux partenaires pour ce qui est des acquisitions. Deux collègues ont la lourde tâche d’enrichir et d’actualiser le secteur adulte, pour l’un, et le secteur jeunesse, pour l’autre. Bien sûr, nous consultons les revues spécialisées, l’avis des lecteurs, les coups de cœur, les revues de presse et les émissions littéraires…

Dans votre métier de bibliothécaire, avec quel public préférez-vous travailler ? Pourquoi ?

J’apprécie beaucoup le jeune public, voire le très jeune public, c’est d’ailleurs avec les classes de maternelle que j’ai commencé les animations. C’est un public qui reste particulier. Ils sont en apprentissage des choses de la vie – la peur, l’amitié –, autant de thèmes que l’on peut développer dans de nouvelles activités. Il faut savoir les accrocher, ils ne cachent pas leurs émotions, on sait tout de suite s’ils adhérent ou pas.

Que proposez-vous aux adolescents ?

Les adolescents sont, à mon sens, un public très difficile à impliquer, à encadrer et à intéresser. Nous avons tenté des ouvertures avec les mangas, l’animation d’un espace multimédia ou encore des scènes slam. Mais, face à une équipe non formée, nous avons presque capitulé. Prise par nos tâches habituelles, j’avoue que les expériences se font de plus en plus rares.

Au François, quels sont vos partenaires ? Vous sentez-vous soutenue par votre ville ?

Nos partenaires sont les treize écoles de la ville à qui nous proposons des visites, des animations ou encore des expositions, les mardis et vendredis matin, à raison de deux classes par jour.
Nous avons travaillé avec la maison de retraite et exploité les livres en gros caractères que nous possédons. Un partenariat avec la Bibliothèque sonore des Antilles nous permet de proposer un nouveau support et de travailler avec un nouveau public, déficient visuel ou illettré. Nous pourrons étendre notre offre de service à l’hôpital et toutes les associations de personnes âgées ou en difficultés.
Nous associons d’autres services de la ville à nos projets et manifestations.
Notre objectif est de proposer une politique culturelle dynamique. De ce coté, nous sommes suivis par la ville, soutenus dans notre programmation, et nous disposons d’un budget propre.

Quels sont vos projets, vos envies, vos rêves ?

Le parcours classique de l’employée de bibliothèque ! Évoluer dans la filière et passer des concours. Une évolution personnelle que j’aimerais mener de concert avec l’évolution du service. Nous avons un projet de développement de la lecture pour la ville que je peaufine en attendant le temps de sa réalisation.
Revenue du congrès de l’ABF 2009 avec des idées plein la tête, je souhaite relever le défi qui m’est proposé : transformer la petite bibliothèque de 287m² en un espace dédié au livre et à la lecture sous toutes leurs formes. Proposer, à l’instar de l’hexagone, une nouvelle façon de vivre le livre et la culture.


Propos recueillis par Nathalie Beau.