Revendiquer le droit à la création

Par Nafissatou Dia Diouf, auteur de livres de jeunesse
Portrait de l’auteur en robe de soirée noire, épaules nues.

Écrire et illustrer pour les enfants sont de véritables métiers. Évident ? Pas pour tout le monde, loin de là... Cela semble pourtant plus évident en Afrique aujourd’hui que ça ne l’était il y a vingt ans : la création pour les jeunes a remarquablement fleuri ; elle est riche, variée, multiple, en dépit des obstacles, eux aussi multiples...
L’écriture, telle est la vocation – et le métier – de Nafissatou Dia Diouf. Elle écrit et publie, au Sénégal, des livres pour enfants relevant d’un genre de plus en plus présent, le documentaire. Pourquoi ces livres ? Pourquoi ce métier ? Pourquoi ce « combat permanent », comme elle l’appelle, pour le livre et la lecture ?

Nafissatou Dia Diouf, pouvez-vous commencer par vous présenter ?

Je suis une Sénégalaise de 36 ans évoluant dans le monde littéraire depuis plus d’une dizaine d’années en tant qu’écrivain essentiellement. J’ai à mon actif six publications dans des domaines aussi variés que la nouvelle, la poésie, la littérature jeunesse, la chronique journalistique, mais aussi le roman (deux inédits). Mes ouvrages sont édités et distribués au Sénégal. Grâce à de nombreuses collaborations à des ouvrages collectifs, certains de mes textes sont disponibles dans d’autres pays (France, États-Unis, Canada…) mais aussi sur mon site Internet www.nafidiadiouf.net.

Je suis arrivée à l’écriture par ma très grande boulimie de lecture et par le biais de prix littéraires (Prix du jeune écrivain francophone, Prix de la Fondation Senghor...). Ces distinctions ont permis au jeune écrivain que j’étais de confirmer une vocation et me donner l’envie de poursuivre cette carrière.

Y a-t-il une action, un événement, un livre ou une personne qui vous a tout particulièrement marquée ?

Je m’inspire généralement de tout. Je suis assez poreuse à toute influence nouvelle, d’où mon grand éclectisme dans mes lectures et dans mes expériences intellectuelles et artistiques. Je n’ai pas d’auteur « culte », mais je peux dire que j’aime tout ce qui m’affecte émotionnellement (positivement ou non), toute littérature évocatrice, poétique, onirique… J’aime en particulier la culture et la littérature maghrébine et moyen-orientale que je trouve très sensuelles et immensément riches.

 Comment percevez-vous le monde du livre et de la lecture ? Hier ? Aujourd’hui ?

La cause du livre et de la lecture est un combat permanent, en tout cas dans l’environnement dans lequel je vis, en Afrique. Le premier handicap est l’analphabétisme et la culture de l’oral. Nous, Africains, aimons la convivialité, la communauté, la chaleur humaine, autant de facteurs – très positifs par ailleurs –, qui laissent peu de place à l’isolement, à l’introspection, à la concentration pour lire ou écrire. Ajoutez à cela les nouveaux modes de divertissement que sont la télévision et Internet, des loisirs que je qualifierais de « faciles » et d’immédiats. Il n’y a qu’à tourner un bouton et on est envahi d’images et de sons qu’on reçoit de manière passive avec si peu d’analyse… Or, se plonger dans un bon roman, c’est se construire un imaginaire, traduire soi-même les mots en personnages, en histoires, en sons, en lumière. C’est vivre plusieurs vies en une seule. Lire, c’est être acteur soi-même, c’est s’enrichir de mille émotions, de sentiments et d’idées.

Comment vous inscrivez-vous dans ce monde ?

Je prends sciemment le parti inverse. Tout en évoluant dans ma société et ma famille, je revendique le droit à l’introspection, à la solitude, parce que créer, c’est aussi écouter son monde, se projeter dans d’autres univers, avoir une posture de retrait. Ensuite, je prends mon bâton de pèlerin pour inciter les enfants, en particulier, à lire, à s’intéresser, non pas forcément à mes livres mais à la lecture tout court, car toute lecture est bonne à prendre ; c’est un potentiel enrichissement. Beaucoup de vocations, comme la mienne, naissent de là.

Quels sont vos projets, vos envies, vos rêves ?

Mon projet est toujours le prochain livre que j’écrirai. C’est la trame de mon existence ; mes pensées sont toujours tournées vers un chantier d’écriture auquel se rattache tout le reste. Quant à mes rêves ? J’aimerais voir la littérature prendre la place qu’elle mérite dans nos vies et la lecture, sa vraie place dans nos emplois du temps. Je rêve que l’Afrique produise, attire, polarise par le biais de sa culture, si riche, et par le véhicule de sa littérature qui sait être fleurie, originale et véridique.

Vos livres pour enfants sont souvent des livres « scientifiques », ce qui est très peu fréquent dans la littérature de jeunesse africaine : pourquoi ?

En réalité, effectivement, seuls deux de mes livres pour enfants sont des histoires « classiques » : Le fabuleux tour du monde de Raby, ainsi que Kidiwi, la gouttelette curieuse qui raconte l’histoire des tribulations d’une goutte d’eau de mer qui voulait découvrir la terre. J’ai, par la suite, initié une collection de livres autour d’Internet et des TIC (Technologies de l’information et de la communication) pour terminer sur un livre d’expériences amusantes et illustrées autour de petits phénomènes scientifiques. Mon idée était d’éveiller les enfants au monde qui les entoure et de les armer tout en les divertissant, afin qu’ils prennent part, de façon active, à la société d’aujourd’hui.

Comment travaillez-vous avec vos illustrateurs ?

C’est très variable mais avec une constante : il faut que j’aime leur coup de crayon et qu’eux apprécient mon écriture, que le texte leur « parle ». Je ne sais pas dessiner mais quand j’écris, les mots pour moi se traduisent en images. Je suis, par conséquent, assez directive sur ce que j’aimerais voir comme illustrations à travers les différentes scènes du texte. J’essaie de m’effacer et de laisser l’illustrateur développer son propre imaginaire, mais j’avoue que c’est difficile ! (rires)

Pourquoi choisir d’écrire un livre bilingue français-anglais ?

Le concept du livre bilingue, dans le cas de Kidiwi, la gouttelette curieuse / Kidiwi, the nosey little droplet, est né de l’envie de faire connaître un conte africain moderne aux enfants de la diaspora. L’anglais est aujourd’hui une des langues les plus parlées au monde et de nombreux enfants d’origine africaine, nés et / ou ayant grandi à l’étranger, sont coupés de leur langue d’origine, et dans une moindre mesure de leur culture. Mon propos était donc de rétablir ce lien, modestement.

Pourquoi avez-vous créé une maison d’édition ?

C’est une démarche qui m’a permis d’avoir une plus grande maîtrise et une plus grande culture de la chaîne du livre en travaillant avec les illustrateurs, les correcteurs, les imprimeurs, les distributeurs et les libraires. On ne peut pas occuper efficacement tous les postes, certes, mais l’expérience est enrichissante. Cependant, je préfère toujours me présenter comme écrivain, ce qui est ma vocation de base.

Comment faites-vous pour vendre vos livres ? Quels succès et quelles difficultés rencontrez-vous ?

Le gros souci, c’est la promotion. Les maisons d’édition négligent souvent cette étape, soit par manque de moyens financiers, soit par méconnaissance de son importance. Or, il ne suffit pas à un livre d’être bon, même si c’est une condition nécessaire. Il y a tout un marketing à mener pour qu’il se retrouve entre les mains des lecteurs potentiels et qu’ils en tirent eux-mêmes un bénéfice. J’avoue que je n’échappe pas à ces difficultés, car je suis peu portée à me « vendre » moi-même et qu’on ne peut pas être sur tous les fronts. Je me contente d’écrire, frénétiquement parfois, en me disant qu’une œuvre majeure saura lever elle-même toutes les barrières et s’imposer dans le monde littéraire comme sur les étagères des foyers. C’est peut-être naïf mais nous, écrivains, vivons beaucoup dans le rêve…

J’ai tout de même connu quelques belles réalisations : quand j’ai représenté mon pays, le Sénégal, aux Jeux de la Francophonie en 2005, ou quand j’ai été distinguée, à plusieurs reprises, au Sénégal et à l’étranger. Ce sont des choses qui me surprennent et qui me font plaisir à la fois, car on écrit en solitaire avec peu de recul sur son œuvre et (forcément) un mauvais jugement sur la qualité réelle de celle-ci. Voir des jurys et des lecteurs apprécier et commenter votre œuvre a toujours quelque chose de narcissiquement jouissif. Cela ne dissipe cependant pas durablement le questionnement permanent qui fait de l’écrivain ce qu’il est : quelqu’un qui se remet éternellement en cause. Et Dieu merci, d’ailleurs !


Propos recueillis par Viviana Quiñones.

Pour aller plus loin

Bibliographie de Nafissatou Dia Diouf

Les Petits Chercheurs, ill. T. T. Fons, Tamalys, 2008.

Kidiwi la gouttelette curieuse = Kidiwi the Nosey Little Droplet, ill. Lamine Diemé, Tamalys, 2007.

Je découvre l’ordinateur, ill. de Daniel Séverin Ngassu, Tamalys, 2005.

Cytor et Tic Tic naviguent sur la toile : les basiques d'Internet, ill. de Daniel Séverin Ngassu, Tamalys, 2005.