Bao rencontre Vincent Liétar

Anne-Laure Cognet
Vincent Liétar et Bao


Le personnage de « Bao l’enfant heureux » trace son petit bonhomme de chemin dans la presse de Mayotte depuis 1986. Fidèle compagnon de Vincent Liétar, son créateur, Bao pose sur la société, la politique, les voisins, la vie comme elle passe, un regard jovial et bon enfant. Mais Bao n’est pas qu’un simple observateur, il est aussi un porte-parole et un militant actif – la campagne en faveur de la départementalisation1 de Mayotte en est l’exemple le plus récent…

Rencontre espiègle à Mamoudzou, entre Bao et Vincent Liétar, à quelques jours de prendre l’avion pour le Salon du livre de Paris où tous les deux sont attendus pour la présentation de leur nouvel album, En attendant le département (Éditions du Baobab, 2011).


L’enfant heureux ! Est-ce que j’ai la tête d’un enfant heureux ? Je te le demande ?

Tu n’as pas l’air si malheureux. La méthode Couet, on connaît tous, mais chez toi, il s’agit avant tout d’une question de nature. Tu ris, tu te moques, tu tournes en dérision des événements – grands ou petits –, des choses ou des attitudes parfois un peu stupides ou caricaturales. Mais je suis d’accord avec toi, tout cela fait bel et bien partie de la vie et finalement, avec ton humour, tout passe. Elle n’est pas belle, la vie ?

Raconte-moi ma naissance…

Ta naissance vient d’une rencontre, ça commence souvent comme ça, dans ces cas-là, non ? D’un côté, un instituteur qui voulait mettre au point une méthode de lecture adaptée aux petits écoliers mahorais pour lesquels le français – faut-il le rappeler ? – n’est pas la langue maternelle. Les scènes de vie de Mayotte, tout comme ton personnage, se sont si bien imposées que la méthode a repris ton nom pendant des années. D’un autre côté, le rédacteur en chef du Journal de Mayotte qui voulait glisser des dessins au milieu de ses rubriques. Je n’ai eu qu’à te faire pousser ton pneu au-delà des leçons de lecture jusqu’à la dernière page de ce journal et te laisser t’amuser du quotidien de notre île… Je te signale que, d’une manière ou d’une autre, cela fait bientôt vingt-cinq ans que ça dure…  

Affiche publicitaire annonçant une course de pneus.

Je suis partout à Mayotte : affiches, cartes postales, manuels scolaires... Est-ce que tu souffres de vivre dans mon ombre ?

Cabotin ! La pratique du dessin, en tous les cas la mienne, tu le sais parfaitement, c’est la nuit, à la lampe. Des crayonnés un premier soir, le pinceau et l’encre de chine le lendemain, les textes entre midi et deux. Cela fait de nombreuses heures que nous partageons en tête-à-tête, sans spectateur. Ensuite, qui est mis sur le devant de la scène ? Toi ! Mais c’est le jeu et je ne suis pas jaloux. Cette relative discrétion me va très bien car, rappelle-toi, j’ai d’autres activités extrêmement sérieuses sur cette île.


Ah, je pensais que j’étais ton unique préoccupation…

J’ose te rappeler que je suis accessoirement architecte et que c’est finalement mon occupation principale depuis trente années exactement. À vrai dire, j’ai eu aussi la chance de participer au programme de l’habitat mahorais entamé dans les années 1980 pour lequel nous avons beaucoup travaillé et produit environ 20 000 logements. Nous nous sommes aussi investis dans une démarche valorisant en permanence l’identité mahoraise, un sujet pas si éloigné de tes petites histoires, non ?

Est-ce qu’on sait qui je suis sur les autres îles ?

Pour ne rien te cacher, tu commences à être un peu connu au-delà de la barrière de ton lagon adoré. Tes lecteurs se renouvellent souvent avec les mouvements des personnes et, notamment, les mutations des fonctionnaires. Quelques articles, ici et là, te mentionnent. Depuis 2009, les festivals de BD de Mayotte et de la Réunion ont confirmé ton existence parmi les personnages de l’océan Indien. On verra si l’album qui sort en 2011 te permettra de trouver ta place dans les collections des amateurs de bandes dessinées…

En attendant le département.
Ed. du Baobab, 2011

Un album ? Cartonné ? 48 pages ? Couleurs ? Comme les classiques de la BD franco-belge ?

Un album cartonné, en effet, parce que c’est mon rêve depuis que je lis des bandes dessinées, soit depuis un demi-siècle… Mais nous dépassons largement le gabarit classique avec 112 pages et, plus précisément, 101 planches, un petit clin d’œil au 101e département que devient Mayotte. Le choix s’est effectué sur la production en couleurs de ces dernières années, soit trois cents planches environ. Avec Bruno Marie, des éditions du Baobab, nous avons préféré sortir un album un peu exceptionnel réunissant des scènes de vie mahoraises variées, plutôt que de publier plusieurs albums qui auraient repris les planches par ordre chronologique de publication. Nous avons laissé de côté toutes les planches en noir et blanc des premières années qu’on trouvait dans le journal hebdomadaire. Elles ont fait l’objet d’une seule publication, très partielle, en 1992, alors que l’on peut en compter plus de deux cents.

Ça me change du format presse…

Oui, pendant la période de publication dans les journaux, à raison d’une demi page de semaine en semaine, je me situais plutôt dans l’événementiel et mon travail n’était pas vraiment pensé comme un ensemble construit, si j’ose dire. Il y a eu un changement depuis quelques années quand le support de publication des planches en couleurs a été possible avec le magasine Télé Banga. Une opportunité que j’attendais pour mes dessins qui ont besoin de la couleur, selon moi. À partir de là, le format et la mise en pages se sont, sans doute, rapprochés de la bande dessinée classique. La possibilité de la quadrichromie est vraiment un « plus » mais je ne renie surtout pas la période 1986-2000 où tu poussais ton pneu en noir et blanc dans un journal d’actualité. C’est un milieu où nous nous sentions particulièrement bien, si tu te rappelles. Un petit détail qui n’en est pas qu’un, en attendant que tu deviennes, un jour, une star : tous ces dessins ont été produits pour le plaisir et mes interlocuteurs ont toujours été des amis avant tout.  

En parlant de presse, tu crois que je ferais un bon journaliste ?

Pas impossible, en effet. Je suis à peu près sûr que tu pourrais trouver ta place dans une rédaction si tu en avais le temps. Tes  chroniques hebdomadaires sont le plus souvent liées à un événement et racontent, à leur façon, la petite histoire de Mayotte. En te donnant un peu de mal, disons, en étant un peu moins dilettante, tu pourrais bien avoir voix au chapitre mais, finalement, je te recommande de rester dans l’expression graphique.

Pourquoi ?

Comme pour beaucoup de choses, tu restes très ancré dans la « tradition », je dirais même plus : dans la « tradition orale ». L’écrit, ce n’est pas franchement ton domaine de prédilection. Et puisqu’on dit qu’un dessin vaut dix mille mots, ça t’évitera peut-être de tomber dans le pli du commentaire de trop !

Planche parue dans Télé Banga.

Plutôt que journaliste, finalement, et si je me destinais à la Présidence du Conseil général ?

Chacun à sa place, p’tit gars ! Même si tu as eu la chance de fréquenter de grands personnages et, particulièrement, ton Fundi Bamana2 qui avait accroché un agrandissement d’une de tes planches où tu imageais l’un de ses discours, souvent mémorables, sur le mur de son bureau de président du Conseil général ; même si tu t’es présenté aux élections présidentielles en 2007 et que tu as plastronné sur une ligne de tee-shirt ; même si tu as serré la pince et raconté ta vie au premier ministre Jospin et à la plupart des ministres des Dom-Tom (Le Pensec, Queyranne, Paul, Girardin...) ; même si tu as partagé des brochettes de zébu avec le président Chirac, comme avec José Bové un peu plus tard, sans oublier tes parties de pêche en pirogue avec Carla et Nicolas Sarkozy lors de leur dernier passage à Mayotte, j’ai des doutes sur ta carrière de politicien. Encore que, ministre des affaires impossibles, ce titre que tu as revendiqué pendant un temps, t’allait bien…


Votez Bao ! Vous aurez…

…pas de temps à perdre. Faudra qu’ça roule ! Depuis 18413 qu’on fait du sur place !

Votez Bao ! Vous n’aurez pas…

…perdu votre temps. Après le 101e département, on pourrait bien se la jouer 5e continent !

Parfois, j’ai l’impression que tu m’instrumentalises…

Moi ? Où vas-tu chercher çaaaaaaaaaaa ?!!

On n’arrête pas le progrès… Quoique…

C’est bien le sujet pour une île qui vient, grosso modo, de franchir deux siècles en trois décennies. Je me souviens d’une phrase lue sur un banga4 de jeune mahorais, il y bien longtemps déjà : « Halte au progrès regrettable ! ». Joli, non ?

Alors, vive la jeunesse !

Parle pour toi, pendant que tu fais l’enfant heureux, moi, j’ai pris vingt-cinq ans… Merci d’être là quand même !

Merci à toi, Vincent… Tu sais ce que je préfère faire dans ma vie ?

Le mataba5 ? Les courses de pneu ? Les vules6 ? Tes copines-bouénis7 ? Les sorties en pirogue ? Ton banga ?

T’observer.

Ça, c’est la meilleure ! C’est vrai que dans la mesure où je reste penché six à sept heures par semaine sur tes petites aventures, tu en as tout le temps. On dira que c’est un échange de bons procédés… 

Notes et références

1. Île française depuis 1841, Mayotte devient le 101e département français. Consultés par référendum en mars 2009, les Mahorais ont massivement choisi la départementalisation.
2. Younoussa Bamana (1935-2007), homme politique mahorais, président du Conseil général de Mayotte de 1977 à 2004 et partisan de la départementalisation.
3. C’est l’année où Mayotte est devenue une île française.
4. Petite maison construite par les adolescents célibataires.
5. Plat typique à base de feuilles de manioc et de coco (excellent !).
6. Pique-nique mahorais (beaucoup de monde, beaucoup de musique et beaucoup à manger).
7. Femme.


Pour aller plus loin

Bibliographie

Albums

  • Bao, l’Enfant heureux : des hauts et des bas. Mayotte, ADCCM Éditions,1991.
  • Bao, l’enfant de Mayotte : en attendant le département. Mayotte, éditions du Baobab, 2011.

Livres pédagogiques

  • J’apprends à lire avec Bao au CP. Sous la direction de Guy Dupuy. Paris, Hatier International, 1999.
  • Je lis avec Bao au CE1. Sous la direction de Guy Dupuy. Paris, Hatier International, 2000.
  • J’aime lire en français avec Bao au CE2. Sous la direction de Guy Dupuy. Paris, Hatier International, 2001.

Articles de référence


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