Quand le numérique aide les enfants et les jeunes à construire leur avenir

Par Jean Fairbairn, coordinatrice de la communication, Programme EIFL pour l’innovation dans les bibliothèques publiques
portrait photo de Jean Fairbairn

Le numérique peut être un allié précieux des bibliothèques dans leur action essentielle pour le développement. Des initiatives qui illustrent ce rôle fleurissent partout, comme celles récompensées par le prix ATLA de la Fondation Bill et Melinda Gates. Cette fondation soutient également le Programme pour l’innovation dans les bibliothèques publiques de l’ONG internationale EIFL, qui apporte une aide financière à des projets novateurs utilisant les technologies numériques dans des actions pour le développement. Le dernier appel à projets d’EIFL, en 2014, concernait particulièrement les initiatives en direction des enfants et des jeunes ; 270 bibliothèques ont répondu à l'appel ! Ceci prouve bien l'importance que les bibliothécaires accordent à ce type de projet et leur forte envie d'agir et d'innover. Cet article présente quelques-uns des projets retenus et leurs premiers résultats.

 

En mai 2014, le Programme pour l’innovation dans les bibliothèques publiques d’EIFL (EIFL-PLIP)a proposé aux bibliothèques publiques des pays en développement et en transition des aides pour mettre en place des actions utilisant le numérique pour répondre aux besoins des enfants et des jeunes.

Les réponses ont été enthousiastes et créatives. Plus de 270 bibliothèques de 71 pays ont envoyé leur candidature pour des financements d’un maximum de 20 000 dollars américains. Sur la base de trois critères de choix – le degré d’innovation, le choix judicieux et l’utilisation créative des technologies et l’identification de partenaires pertinents pour soutenir l’implémentation du projet – un panel d’experts internationaux a décerné des aides à dix bibliothèques publiques en Afrique, en Europe et en Amérique latine.

Le but du projet EIFL-PLIP est de contribuer au développement local en suscitant la création, dans les bibliothèques publiques, de services innovants utilisant les TIC (technologies de l’information et de la communication) pour répondre aux besoins de la population. Le projet est construit autour de quatre stratégies-clé :

  • inspirer des actions innovantes par le biais d’aides financières ;
  • contribuer au renforcement des compétences des bibliothécaires en matière de TIC ;
  • encourager l’innovation au travers d’actions de promotion et de plaidoyer ;
  • décerner des prix aux services innovants.

Ainsi, depuis 2009, EIFL-PLIP a lancé quatre appels à projets, qui ont permis la création de nouveaux services utilisant les TIC dans plus de 300 bibliothèques publiques de 27 pays en Afrique, en Asie, en Europe et en Amérique latine.

Les bénéficiaires du dernier appel – des bibliothèques mettant en place des services en direction des jeunes – sont à présent à mi-chemin dans l’implantation de leurs projets. Les premiers résultats sont positifs : des centaines de jeunes sont en train de se former aux nouvelles technologies et à la « littératie »1 numérique ; les bibliothécaires se forment et acquièrent de l’expérience dans l’utilisation de la technologie pour répondre aux besoins de la population ;  les espaces des bibliothèques et leur aménagement se transforment, et elles gagnent une reconnaissance locale, nationale et internationale.

Je voudrais présenter quelques-uns de ces passionnants nouveaux projets, leur état d’avancement et leurs résultats à l’heure actuelle.

 

1. La technologie pour accéder aux savoirs et à l’information

 

La bibliothèque régionale Lyuben Karavelov, Bulgarie

Le projet de cette bibliothèque allie la “littératie” financière et les compétences en technologie mobile. Appelé ‘Fun Financial Literacy’, il utilise des jeux et de méthodes interactives comme les jeux de rôles pour apprendre aux jeunes de Ruse, la cinquième ville de Bulgarie, à se servir des smartphones et des tablettes pour gérer leur argent, dépenser judicieusement et épargner pour l’avenir.

En visite dans une banque, des enfantsapprennent à réaliser des opérations sur l’écran tactile (bibliothèque régionale Lyuben Karavelov, Bulgarie).

La “littératie” financière et la capacité d’utiliser la technologie de manière efficace et sécurisée sont essentielles pour la vie actuelle et pour le future”, affirme Teodora Etimova, directrice de la bibliothèque régionale Lyuben Karavelov.

Avec le soutien d’EIFL, la bibliothèque a équipé son centre de formation : ordinateurs portables, tablettes, smartphones et tableaux pédagogiques interactifs. La formation des bibliothécaires en « littératie » financière et en technologie a été réalisée avec l’aide d’experts de la banque la plus importante de Bulgarie, et en seulement sept mois (mai à décembre 2014), les bibliothécaires ont partagé ces connaissances avec plus de 130 jeunes de 14 à 24 ans.

Outre la formation théorique et pratique en “littératie” financière et en utilisation des technologies à la bibliothèque, les jeunes ont visité une banque, où le personnel leur a montré comment utiliser les systèmes de paiement en ligne et les distributeurs automatiques. « Pour beaucoup de jeunes, c’était leur première visite d’une banque », a dit Madame Evtimova. Elle a ajouté : « Quand nous avons commencé les formations, nous avons mené une enquête et 50% des enfants ont dit que leur parents ne leur parlent pas d’argent. Les réactions des parents et des enfants ont été très positives, et les premiers résultats de la formation montrent que les enfants sont en train de comprendre les concepts financiers de base. »

Ce projet novateur a été hautement apprécié par les représentants de la Banque mondiale, qui se sont rendus dans la bibliothèque de Ruse pour voir le projet en fonctionnement. « Pour nous, c’est un effort exemplaire et nous voudrions vous féliciter, ainsi que votre institution », a dit Ivelina Taushanova, du bureau de la Banque mondiale à Sofia, aux bibliothécaires.

Les bibliothèques des villages de Tuy, Burkina Faso

Avec le soutien d’EIFL, ce projet novateur forme 40 adolescentes de quatre villages à l’utilisation des smartphones pour la recherche d’information sur Internet autour de questions de santé.  

Les bibliothécaires travaillent avec un technicien pour tester la connexion des mobiles (bibliothèque d’un village du Tuy, Burkina Faso).

Les bibliothèques des villages de Béréba, Dimikuy, Koumbia et Boni ont sélectionné dans les écoles et formé dix jeunes filles à l’utilisation de smartphones et à l’utilisation de ressources électroniques. Certaines adolescentes ne s’étaient jamais servies d’un smartphone ni d’Internet mais, selon le coordonnateur du projet, elles ont appris très vite. 

Dans chaque village, la formation a été menée par un bibliothécaire et un professionnel de santé. Les formateurs ont créé un manuel avec des informations sur la santé - hygiène, nutrition, grossesse, maladies sexuellement transmissibles – et des conseils sur les attitudes et les comportements – comment dire « non » aux approches sexuelles, renforcer l’estime de soi, penser de manière critique, comprendre l’égalité des sexes… Le manuel a été téléchargé sur les smartphones, afin que les adolescentes puissent y accéder hors ligne.

Dans un deuxième temps, les jeunes filles formeront des clubs-santé avec leurs amies et travailleront avec les bibliothécaires et les agents de santé afin de se servir de leur smartphone et des média sociaux comme Facebook pour discuter de questions de santé avec d’autres jeunes et leurs parents.

 

2. La technologie pour la promotion de la lecture

 

Le programme pour les tout-petits et leurs familles de CODE-Éthiopie

En Éthiopie, trois bibliothèques dans de zones rurales travaillent pour répondre au besoin urgent de promotion de la lecture chez les tout-petits, en créant pour eux des ebooks dans les langues éthiopiennes. En même temps, les bibliothécaires se forment pour pouvoir proposer des animations lecture aux enfants et leurs  parents.

«Les enfants ont du mal à apprendre à lire à cause du manque de matériel de lecture en langue maternelle, et aussi parce que les parents n’ont pas l’habitude de lire avec leurs enfants », dit Tesfaye Dubale, directeur de l’ONG CODE-Éthiopie et coordinateur du projet.

Ces trois bibliothèques se trouvent dans différentes régions : au centre du pays, la bibliothèque de Fiche ; au nord, celle de Durbete ; à l’est, celle de Kebele. Avec l’aide d’EIFL, CODE-Éthiopiea équipé les bibliothèques en ordinateurs, projecteurs et tableaux pédagogiques interactifs, et a formé les bibliothécaires à la production d’ebooks proches des réalités locales. Pour soutenir les bibliothécaires, CODE-Éthiopie a réalisé un manuel de formation en amharique, la langue la plus pratiquée, expliquant comment créer des histoires, publier des ebooks et mener des animations lecture auprès des familles.

À la fin du projet, en juin 2015, les trois bibliothèques auront proposé régulièrement des animations lecture aux familles et auront créé douze ebooks en langues éthiopiennes pour les tout-petits.

La bibliothèque publique de Valmiera, Lettonie

Le projet ‘Read and get followers’ [lis et tu auras des “followers”] de cette bibliothèque utilise une application de “lecture numérique sociale” afin de rendre la lecture « cool » auprès des adolescents. L’appli, spécialement développée pour la bibliothèque par une entreprise locale, permet aux lecteurs de créer leurs propres bibliothèques, sur tablette et sur smartphones, et d’utiliser les réseaux sociaux pour se « follower », chatter autour des livres et comparer leurs parcours de lecture. L’appli donne accès à environ douze mille titres.

Pour promouvoir l’application – et la lecture ! –, la bibliothèque a désigné quinze jeunes des écoles locales « Ambassadeurs de la lecture », et elle les a formés en leadership et à des questions techniques. Ces « Ambassadeurs » sont maintenant en train de montrer à leurs amis comment se servir de l’appli et de mener des discussions autour de livres.

Avec ce projet soutenu par EIFL, la bibliothèque est devenue un espace moderne et attractif pour les ados. Les bibliothécaires ont aménagé une « salle de lecture du futur », équipée d’ordinateurs et d’un « mur mobile » interactif où les ados peuvent surfer sur le web et accéder à des logiciels pour communiquer, produire des vidéos, créer des histoires, jouer à des jeux vidéo...

 

3. Former les jeunes aux technologies et à la programmation

La demande est croissante, au marché de l’emploi, de personnes sachant développer des logiciels et des programmes, parmi d’autres compétences informatiques, et les bibliothèques publiques commencent à proposer des services dans ce sens.

La bibliothèque publique ‘Dušan Matić’ de Ćuprija, Serbie

Le projet Biblioteka++ utilise la robotique pour former des enfants et des jeunes aux techniques de programmation de base et avancées.  Pour ce faire, l’outil principal est le kit de robotique LEGO Mindstorms EV3, qui permet de construire des robots fonctionnant avec de tout petits moteurs et qui bougent grâce à des programmes créés avec des logiciels open source. Une fois que les jeunes maitrisent les bases de la programmation, la bibliothèque leur propose d’aller plus loin avec une formation pour créer des applications utilisables dans la vie quotidienne.

Les enfants fabriquent des robots et les programment pour qu’ils bougent (bibliothèque publique ‘Dušan Matić’ de Ćuprija, Serbie).

En seulement sept mois, la bibliothèque a réalisé onze ateliers de programmation de base, pour cent-vingt élèves de cinq écoles partenaires, primaires et secondaires. De nombreux élèves savent maintenant écrire des programmes pour donner vie à des robots et utilisent des logiciels pour créer des jeux vidéo.

Suite à ce projet, la municipalité a renforcé son soutien à la bibliothèque, finançant la rénovation d’une salle où les enfants accèdent librement à des ordinateurs, à des kits pour construire des robots et à Internet.

En octobre 2014, la bibliothèque a rejoint plus de 3000 organismes de 38 pays pour célébrer la European Code Week 2014, un événement international mettant en valeur la programmation créative. Cette participation a été très appréciée par le Ministère serbe de l’éducation, la science et la technologie.

La bibliothèque municipale de Piekary Slaskie, Pologne

Des jeunes à la découverte des technologies (bibliothèque municipale de Piekary Slaskie, Pologne).

Le projet ‘Programming of Curiosity’ [programmer la curiosité] de cette bibliothèque utilise la gamification ou ludification2, avec des jeux, des jeux de roles, du travail en groupe, la concurrence et la creation d’histoires, pour éveiller l’intérêt des jeunes pour la technologie. Avec ses partenaires, la bibliothèque organise des ateliers de programmation et de design.

Une fois formés, les jeunes ont accès au Laboratoire de Programmation, créé avec le soutien d’EIFL. Dynamique, interactif, le labo est équipé d’ordinateurs, de mini-ordinateurs, de kits de robotique, de caméras vidéo, d’une imprimante 3D et de logiciels pour la programmation et le modelage en 3D. Les jeunes peuvent ainsi apliquer leurs nouvelles connaissances, surfer sur le web, construire et programmer des robots, réaliser des vidéos, créer et imprimer des objets et aussi jouer.

La bibliothèque municipale de Rijeka, Croatie

‘3D Printing Incubator for Children and Youth’ [incubateur d’impression 3D pour des enfants et des jeunes] est un projet qui est en train de transformer la bibliothèque en un makerspacepour tous. C’est le premier lieu de Rijeka qui donne aux jeunes un accès libre à des imprimantes 3D et leur apprend à s’en servir, pour fabriquer des jouets, des outils, des objets de décoration, des souvenirs et bien d’autres objets.

Les enfants découvrent une imprimante 3D (bibliothèque municipale de Rijeka, Croatie).

Le projet propose deux imprimantes 3D mais aussi des ordinateurs portables pré-chargés avec des logiciels pour le modelage en 3D. La bibliothèque trouve les utilisateurs en démarchant les écoles et les lycées techniques et touche des milliers d’autres personnes par le biais de tutoriels en ligne, créés avec l’aide d’experts de l’école d’ingénieurs de l’Université de Rijeka.

Dans les sept derniers mois seulement, dix personnes de la bibliothèque et des partenaires de l’opération ont appris à se servir de l’imprimante 3D. Elles ont proposé des démonstrations à plus de cent cinquante enfants et jeunes et actuellement, elles travaillent de manière intensive avec un groupe de douze enfants des écoles de Rijeka.

Les formateurs proposent aux jeunes de créer des objets basés sur des histoires et des personnages. Ainsi, plus de cent objets – souvenirs, jouets, objets de décoration – ont été créés. Les jeunes se basent aussi sur des légendes locales pour créer des jeux de société et ils fabriquent les personnages avec l’imprimante 3D.

Avec ce projet, la bibliothèque a gagné en visibilité et en renommée. « Je ne peux pas cacher ma satisfaction de voir que la bibliothèque s’est transformée avec grand succès. Elle est le point focal de la ville pour apprendre, s’amuser, se former et faire partie de la vie sociale à l’ère numérique. » a dit Ivan Sarar, responsable de la Culture de la ville.

Notes et références



1 Mot venant de l’anglais literacy désignant « l’aptitude à comprendre et à utiliser l’information écrite dans la vie courante, à la maison, au travail et dans la collectivité en vue d’atteindre des buts personnels et d'étendre ses connaissances et ses capacités. » (Wikipédia).

2« La ludification (terme inspiré de l'anglais gamification) est le transfert des mécanismes du jeu dans d’autres domaines, en particulier des sites web, des situations d'apprentissage, des situations de travail ou des réseaux sociaux. Son objet est d’augmenter l’acceptabilité et l’usage de ces applications en s’appuyant sur la prédisposition humaine au jeu. » (Wikipédia)


Pour aller plus loin

Lancée en 1999, EIFL (Electronic Information for Libraries)est une ONG internationale basée en Europe, avec un réseau international de partenaires. Elle travaille en collaboration avec les bibliothèques de plus de 60 pays en développement et en transition, en Afrique, Asie, Europe et Amérique latine, en faveur de l’accès local aux connaissances pour l’éducation, la formation, la recherche et le développement durable

EIFL opère par le biais de quatre actions : EIFL Licensing Programme négocie des accès à des ressources électroniques et fait la promotion de leur utilisation ; the EIFL Copyright and Libraries Programme renforce les compétences des bibliothécaires en questions de copyright, créé des ressources utiles autour du copyright et mène des actions de plaidoyer en faveur de cadres législatifs bénéficiant les bibliothèques ; EIFL Open Access Programme œuvre pour l’adoption de politiques des actions en faveur de l’open access ; EIFL Public Library Innovation Programme aide au développement local en subventionnant les bibliothèques publiques sur des projets novateurs pour améliorer la qualité de vie grâce aux TIC. Ce programme est financé par la Fondation Bill et Melinda Gates. (Jean Fairbairn)