Maha Alwan, bibliothécaire et personne d’exception

1962-2012

Par Marie-Hélène Bastianelli, Bibliothécaire
photographie de Maha Alwan

Maha Alwan est décédée suite à un accident en décembre 2012. Fondatrice de la bibliothèque « Centre culturel francophone » à Mtein (Liban), elle travaillait au niveau local et national mais aussi à l’international, comme en témoignent son engagement à l’IFLA et ses collaborations pour Takam Tikou - voir « Pour en savoir plus ». Partout, ses qualités professionnelles et personnelles étaient particulièrement appréciées. Sa collègue et amie Marie-Hélène Bastianelli trace son portrait et rend compte de la cérémonie tenue en son hommage le 18 mai.

 

Maha Alwan, un portrait

Maha, bibliothécaire libanaise, nous a quittés en décembre dernier. Elle a été écrasée par une voiture alors qu'elle venait de fermer la bibliothèque pour rentrer chez elle. L'année de ses cinquante ans. Maha Alwan était bibliothécaire à la Bibliothèque publique de Mtein dans le Mont Liban.

Son parcours est atypique : pendant la guerre civile libanaise, sa famille a dû fuir son village natal  pour se réfugier en Syrie. Apres sa scolarité à Damas, Maha part faire des études de Beaux Arts en France. Pendant la durée de son séjour à Paris, grande lectrice, elle  découvre les bibliothèques publiques et prend la décision d'en créer une dès que son retour au village serait possible.

Avant ce retour, elle effectue plusieurs stages dans des bibliothèques parisiennes pour se former et prend contact avec une association française, La Maison de Sagesse, pour avoir un soutien financier.

La bibliothèque du « Centre culturel francophone » a commencé à fonctionner dans l'appartement familial puis déménagé dans un local municipal. Elle possède aujourd'hui une collection de 15000 documents  (livres et cd) dont plus de la moitié sont pour la jeunesse, un espace animation et  un espace multimédia avec accès à Internet. Elle est devenue un lieu de référence pour les bibliothécaires libanais.

Pendant plusieurs  années, Maha a fait vivre la bibliothèque bénévolement puis a été salariée par la municipalité. Elle n'a cessé de se former et est devenue une spécialiste de la littérature jeunesse publiée dans le monde arabe. Elle a participé activement à la revue Quira’at Saghira, une revue critique de livres pour la jeunesse du Monde arabe.

Au congrès de l'IFLA à Helsinki en 2012, avec Obafae Kchibel (Maroc), Cécile Trevian (France), Reyna Josvah-Raviaza (Madagascar) et Cécile Coulibaly (Côte-d'Ivoire)

Elle était membre de l'Association des Bibliothécaires Libanais et de la section Bibliothèques pour Enfants et Adolescents de l'IFLA, dans laquelle elle s'est beaucoup investie : en participant au programme Sister Libraries en partenariat avec La Petite Bibliothèque Ronde de Clamart (France) et se chargeant de la sélection libanaise pour le projet Le Monde à travers les albums, en préparant des communications pour les congrès, en effectuant des traductions…

Maha intervenait aussi en tant que formatrice dans les séances organisées par le Ministère libanais de la Culture et par l’association Assabil (Amis des bibliothèques publiques),  pour les bibliothécaires du Réseau de lecture publique. Elle a été membre de plusieurs comités au Ministère de la Culture pour le développement de la lecture publique et de l’édition jeunesse.

Ces dernières années elle travaillait à mi-temps à la Bibliothèque nationale du Liban sur la reconstitution des collections détruites pendant la guerre civile.

Militante du livre, militante de la paix, Maha n'a cessé de développer dans sa bibliothèque des animations pour donner le goût de la lecture aux plus jeunes mais aussi pour favoriser une ouverture aux autres dans un village profondément divisé par des années de guerre. Du fait de sa formation artistique initiale, elle était très exigeante sur la qualité des animations.

En 2006, pendant la guerre d’Israël contre le Liban, elle a accueilli dans la bibliothèque les enfants et les parents réfugiés du Sud Liban leur offrant un havre de paix et de culture.

Militante internationaliste, elle a participé à la construction d’une bibliothèque publique au Laos avec une association française, le COBIAC (Collectif de Bibliothécaires et Intervenants en Action Culturelle) et a par ailleurs organisé un échange entre jeunes libanais et mexicains.

Maha était appréciée de tous dans son village mais aussi parmi les professionnels du livre et des bibliothèques. Discrète, attentive aux autres, très professionnelle, elle vous accueillait  avec un grand sourire dans sa bibliothèque et bien souvent vous invitait ensuite dans sa famille pour un échange autour d'un café et d'une pâtisserie dont elle avait le secret et qu'elle avait confectionnée tôt le matin.

Maha, tu manques déjà beaucoup à tes proches et tes amis et tu manqueras beaucoup à ton pays et aux bibliothécaires du monde entier.

Ce texte est initialement paru dans la Newsletter de février 2013 de la section IFLA Bibliothèques pour Enfants et Adolescents.

 

La cérémonie d’hommage

18 mai 2013 à Mtein. La bibliothèque publique a eu droit à un coup de neuf : peinture, espaces verts... des travaux que Maha réclamait depuis plus d'un an.

Des amis, des bibliothécaires, des artistes et bien sûr de nombreux habitants du village se sont réunis sur l'invitation de la Municipalité et du Ministère de la culture pour un hommage à Maha. Ils étaient nombreux dans et autour de la bibliothèque pour écouter les prises de parole mais aussi des chants et des lectures de textes des différents intervenants.

Monsieur Zohair, président de la municipalité, et Monsieur Imad Hashem, représentant le Ministre de la culture, ont évoqué la place importante que Maha occupait dans le village mais aussi dans le réseau de la lecture publique du Liban. Maud Stephan, responsable du Comité scientifique de la Bibliothèque Nationale du Liban, a retracé l'évolution de la carrière de Maha et rappelé son rôle à la BN. Vanessa Fodil, chanteuse d'opéra française, a interprété un lied. Najwa Alwan, sa sœur, actrice, a dit un texte de Tchekhov. Son frère Imad a évoqué son enfance, leur exil en Syrie pendant la guerre civile et le rôle essentiel qu'elle avait dans sa famille. Le moment le plus émouvant a sans doute été la projection d'un film composé d'extraits d'interviews de Maha où elle rappelle le rôle essentiel d'une bibliothèque pour la construction de son pays et son plaisir de transmettre aux enfants du village des valeurs de paix, de solidarité et d'ouverture.

Une plaque avec son portrait a ensuite été dévoilée dans la bibliothèque, bibliothèque qui est animée maintenant par ses deux sœurs Nassim et Najwa.

L'après-midi s'est poursuivie autour d'un verre de l'amitié comme savait si bien le faire Maha après une animation.

Pour aller plus loin

Maha Alwan dans Takam Tikou :

- « Un centre d'animation culturelle francophone dans la montagne libanaise »

- « Des adolescents libanais au camp de la Paix au Mexique : des cultures en partage »

- « La littérature pour adolescents au Liban attend encore son heure »

Maha Alwan et l’IFLA :

Travaux de M. Alwan :

- « Le Monde à travers les albums: le Liban »

- « Sister Libraries: Le Centre Culturel Francophone, Mtein, Liban & la Petite Bibliothèque Ronde, Clamart, France »

- « Books from Lebanon » dans The World through Picture Books

Hommages :

- “Passing of a Friend, Colleague & Standing Committee Member

- “Tribute to Maha Alwan” dans la Newsletter de février 2013 de la section IFLA Bibliothèques pour Enfants et Adolescents.

- Texte adressé à sa famille à l’occasion de la cérémonie du 18 mai :

Ceux qui excellent dans leur métier sont souvent ouverts au travail à l'international : c'est le cas de Maha. Elle était très active à l'IFLA, participant, avec son engagement et son sérieux remarquables, aux sessions des congrès, aux projets de la section, aux réunions des bibliothécaires arabophones et francophones... Une "ambassadrice" d'exception pour le Liban.

Mais c'est surtout à Maha en tant que personne que nous, collègues de l'IFLA, souhaitons rendre hommage, essayant de résumer ici les très nombreux témoignages reçus du monde entier. Hommage à sa gentillesse, sa vitalité, son "cœur si intelligent", sa générosité, son sourire, sa discrétion, son ouverture d'esprit, son intérêt profond pour les gens... Hommage à une personne merveilleuse, fine, rare, que nous nous estimons heureux d'avoir connue.

Nous chérissons les moments passés avec Maha, car c'était une joie d'être en sa compagnie, et c'est une joie de la garder dans nos cœurs pour toujours.

Marie-Hélène Bastianelli

Marie-Hélène Bastianelli a travaillé à  partir de 1969 dans la lecture publique en Provence (France) ; elle a été responsable des bibliothèques de Martigues puis de Gardanne. Militante de la lecture publique, elle a été notamment Présidente du groupe Provence-Alpes-Côte-d’Azur (PACA) de l’Association de Bibliothécaires de France (ABF) dans les années 80 et l’une des fondatrice du COBIAC (Collectif de Bibliothécaires et Intervenants en Action Culturelle). Elle a travaillé quatre ans au Ministère de la culture libanais, en soutien au réseau de la Lecture publique et à l'édition jeunesse – on peut lire ses articles publiés dans Takam Tikou « La Lecture publique au Liban » et « Enjeux de la formation de bibliothécaires au Liban ». À la retraite depuis 2009, elle est responsable de la Commission Proche-Orient du COBIAC.


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