Comment je suis devenue auteure et éditrice

Par Taghreed El Najjar, auteure et éditrice Traduit par Hasmig Chahinian
Photographie de Taghreed El Najjar

J’écris pour les enfants depuis si longtemps – vingt-cinq ans ! – que cela fait partie de ce que je suis ; je dois me reposer la question de comment j’en suis venue à m’intéresser aux livres et aux histoires pour répondre à « pourquoi écrivez-vous pour les enfants ? ».

Enfant, j’ai été envoyée dans un pensionnat à Jérusalem dirigé par un ordre de religieuses allemandes. J’avais tout juste six ans. Ma mère venait de décéder à l’âge de vingt-sept ans suite à un cancer, et mon père travaillait à l’étranger, en Irak, pour subvenir aux besoins de la famille.

Je me souviens que, le premier jour d’école, je me suis cachée derrière Orayb, ma grande sœur, jetant des coups d’œil furtifs à ce nouveau lieu qui allait devenir ma maison pour la majeure partie de l’année.

Le Schmidt’s Girls School comme était – et est toujours – appelé ce pensionnat, donnait sur Bab el A’moud (Porte de Damas) et ressemblait à un château vieux et menaçant. Les corridors étaient sombres, longs et brillants. Les dortoirs étaient grands, propres et spartiates. Tout était blanc : les lits de fer, les draps, la petite table de chevet à côté du lit… Il n’y avait pas de rideaux, pas d’images sur les murs, pas de tapis et, évidemment, pas de chauffage. Mais chaque lit avait quelque chose de magique : une moustiquaire utilisée durant l’été. Quand elle était déployée tout autour du lit, elle le transformait en un endroit intime et magique.

Lentement, mais sûrement, je me suis habituée à cette nouvelle situation et j’ai appris des autres filles quelles religieuses on pouvait contrarier et lesquelles il fallait éviter de vexer.

Pour maintenir l’ordre, les religieuses nous interdisaient de parler quand on se dirigeait en rang vers la salle à manger. Il ne nous était pas permis de parler pendant les repas ou en allant en classe.

Évidemment, cela ne nous empêchait pas d’essayer de le faire, mais la personne qui brisait cette règle était sévèrement réprimandée et finalement punie.

Comme mon aptitude à lire s’améliorait, j’ai trouvé une façon d’échapper à cette règle du silence en lisant. Je prenais un livre avec moi partout où j’allais et je lisais en montant et en descendant les escaliers. Je m’asseyais sur le livre dans la salle à manger et, après avoir fini mon repas, je lisais. Parfois, je lisais dans mon coin magique et privé en utilisant une torche après l’extinction des lumières du dortoir.

L’institutrice prêtait, une fois par semaine, des livres en arabe aux enfants jusqu’au CM1. C’était le moment que je préférais de toute la semaine ; j’échangeais mon histoire contre une nouvelle. Mais, hélas, l’une de mes camarades de classe a utilisé mon amour des livres pour se venger. Après une dispute, elle a écrit une lettre à l’encre, sur son livre de bibliothèque, et l’a signée de mon nom.

L’institutrice, qui nous avait demandé, à plusieurs reprises, de faire attention aux livres que nous empruntions, est devenue furieuse quand elle a vu le livre souillé et a décidé de faire un exemple en me punissant. Elle m’a interdit d’emprunter des livres jusqu’à la fin du semestre. J’ai juré que ce n’était pas moi, j’ai supplié et pleuré mais elle n’a pas bronché.

Je me sentais perdue, j’avais le cœur brisé. Je savais qu’il y avait une bibliothèque pleine de livres à l’école, mais seules les élèves à partir du CM2 pouvaient les emprunter, tous les livres étant en anglais.

À chaque recréation, j’allais à la bibliothèque des « grandes » et je regardais à l’intérieur. Comme j’étais timide, il n’était pas facile pour moi de demander quelque chose. Je restais là, à jeter des coups d’œil furtifs aux étagères de livres de la bibliothèque. Ils ne paraissaient pas particulièrement intéressants, pas comme les livres pour enfants d’aujourd’hui, pleins de couleurs ; ils avaient tous des couvertures cartonnées qui se ressemblaient, mais je savais qu’il y avait un autre monde caché derrière chacune.

La bibliothécaire, Sœur Radigundes, m’a remarquée et, après quelques jours, m’a prise en pitié et a proposé de me prêter un livre.

Je me souviens encore du livre qu’elle m’a donné. C’était un livre relié, les pages étaient épaisses et de couleur crème, avec des illustrations à l’encre noire. C’était un livre d’Enid Blyton, qui racontait que les jouets devenaient vivants quand les enfants s’endormaient.

Lire ce livre fut difficile pour moi, car mon anglais n’était pas très bon, mais j’étais fascinée et, quelques jours plus tard, j’étais de retour à la bibliothèque, demandant en silence un autre livre.

J’ai dû apprendre à lire par moi-même. Plus je lisais, plus je comprenais ce qui se passait ; Enid Blyton est devenu mon écrivain favori.

Les livres m’ont donné énormément de plaisir et m’ont ouvert tout un nouveau monde. Il faut se rappeler que cela se passait bien avant l’ère des satellites ; moi, petite fille palestinienne dans un pensionnat à Jérusalem, j’ai trouvé le moyen de parcourir le monde. J’ai visité les landes anglaises avec Wuthering Heights [Les Hauts de Hurlevent], senti la neige froide des Alpes en lisant Heidi, pleuré en lisant Jane Eyre, et mon cœur a battu follement en lisant Tale of Two Cities [Un conte de deux villes]. Je ne me souviens pas des détails de ces livres mais, à ce jour, je me souviens de l’élan que j’ai ressenti et des sentiments d’émerveillement et d’enthousiasme qui s’offraient à moi. En lisant, j’ai amélioré mes compétences linguistiques en anglais et je suis devenue la première de ma classe.

 

Aujourd’hui je suis auteure et éditrice.

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