Petit aperçu de la littérature pour la jeunesse éthiopienne

Michael Daniel Ambatchew
Un aperçu de la littérature jeunesse éthiopienne en six livres.

Où en est la littérature pour la jeunesse éthiopienne aujourd’hui ? Quelle place pour la création ? Quelle diffusion des livres ? À travers l’expérience singulière d’une association d’auteurs pour la promotion de la littérature de jeunesse (Writers for Ethiopian Children, W.E.C.) qu’il a contribué à fonder, Michael Daniel Ambatchew livre pour Takam Tikou son analyse de la situation.     

En lien avec cet article, un conte éthiopien signé Alula Pankhurst comme exemple de texte publié par l’association.

La littérature pour la jeunesse éthiopienne aujourd’hui

L’Ethiopie, berceau des histoires

L’Éthiopie, souvent appelée berceau de l’humanité, est aussi le berceau de la littérature orale. Les auteurs européens, qui sont venus collecter des contes pour aiguiser leur imagination et insuffler vie à leurs plumes, attestent de « l’incroyable abondance de contes, fables, mythes et légendes » (E. Laird, cf. références bibliographiques) ; les enfants éthiopiens immigrés sont riches d’histoires, de chansons, de mythes et de légendes (I. Sever, cf. références bibliographiques). Cependant, alors que l’Éthiopie entretient une longue histoire avec l’écriture et qu’elle possède probablement, avec l’amharique et le tigrinya, les seules langues vivantes africaines à utiliser l’ancien alphabet guèze, le lien ne s’est pas fait entre la littérature orale et la littérature écrite pour la jeunesse.

La littérature pour la jeunesse éthiopienne : entre survie et reconnaissance

Une étude sur la littérature de jeunesse éthiopienne a été menée par Testa Abebe et Shibeshi Lemma en 1997. Les conclusions principales montrent que les auteurs, les illustrateurs et les graphistes ont des lacunes au niveau des compétences nécessaires dans leur domaine ; qu’il y a un manque criant de livres pour enfants, en particulier dans les langues du pays ; et que les éditeurs ne parviennent pas à produire des livres de bonne qualité. D’autres études, enquêtes ou articles sont venus, au fil des années, confirmer cette vue pessimiste : se reporter aux travaux de G.M. Tesfaye en 2004 et M.D. Ambatchew en 2007 (cf. références bibliographiques).

Pourtant, la littérature pour la jeunesse éthiopienne survit. Malgré les difficultés, le vivier d’auteurs, d’illustrateurs et de graphistes éthiopiens ne cesse non seulement d’augmenter en nombre, mais gagne aussi en professionnalisme et en expertise. Actuellement, les Éthiopiens peuvent se vanter d’avoir plus d’une vingtaine d’auteurs écrivant dans différentes langues. La qualité de l’écriture elle-même s’améliore, comme l’attestent les prix remis lors d’événements littéraires nationaux ou internationaux. Parmi les dix-neuf pays et les six cents participants présentés pour le troisième Prix MacMillan des écrivains africains en 2005, l’Éthiopie a reçu une mention spéciale.

Les raisons des difficultés

La question qui reste au cœur de la littérature de jeunesse éthiopienne peut se formuler ainsi : pourquoi cette littérature produite pour les enfants africains, par des auteurs africains, dans des langues africaines, ne parvient-elle pas à s’épanouir ?

C. R. Larson remarque que « cela n’a jamais été une question de manque d’auteurs sur le continent africain, mais bien plutôt celle d’une absence d’éditeurs engagés » (cf. références bibliographiques). Cependant, cette affirmation est probablement une simplification excessive du problème, dans la mesure où l’explication se cache dans une toile complexe de raisons socio-économiques incluant l’absence d’une culture de la lecture, d’une industrie du livre prospère, de marchés justes et équitables, d’un intérêt et d’une volonté politiques, et surtout, de relations internationales de pouvoir et d’intérêts linguistiques.

Le dilemme de l’écrivain africain, qui doit choisir dans quelle langue écrire, tient ironiquement au fait que la littérature africaine ne peut  gagner en reconnaissance et en popularité internationale que si elle est écrite ou traduite dans les langues coloniales. Cependant, il existe des solutions pragmatiques pour sortir de cette impasse, solutions qui ont été expérimentées par quelques auteurs en Éthiopie : ceux-ci ont, en effet, choisi d’emprunter le chemin du bilinguisme, ou plus récemment du multilinguisme, en utilisant à la fois l’amharique, langue nationale, et l’anglais.

Une association d’auteurs pour promouvoir la littérature de jeunesse éthiopienne

Naissance d’une société des auteurs à but non-lucratif

« Les Auteurs pour la jeunesse éthiopienne » (Writers for Ethiopian Children, W.E.C.) constituent un groupe d’écrivains aux expériences plus ou moins importantes, de stature nationale à internationale, dont le but est de produire des lectures culturellement adaptés aux enfants éthiopiens, en anglais et en amharique, ainsi que d’encourager chacun à exprimer son potentiel créatif. Par conséquent, ce groupe a décidé de créer des histoires modernes concernant les enfants plutôt que de compter sur le patrimoine bien connu des contes et légendes traditionnels. Tous les auteurs ont accepté de ne percevoir ni rémunération ni droits d’auteur sur la vente de leurs histoires. Ce groupe est né à la suite d’un atelier d’écriture mené par un auteur allemand au Goethe Institut.

Lancement des premières publications

La Commission européenne est ensuite intervenue afin de financer la production d’un recueil d’histoires. W.E.C. a pu lancer sa première publication, Coocooloo, en avril 2002, avec un tirage de 17 000 exemplaires. 5 000 livres ont été donnés aux élèves éthiopiens les plus défavorisés. W.E.C. a publié, un an plus tard, en 2003, et cela, grâce aux ventes de Coocooloo, deux autres recueils intitulés Alihoy et Alalihoy. W.E.C. a appliqué la même démarche en donnant un tiers des tirages et en se servant des ventes du reste du stock pour continuer à publier. Malheureusement, les tirages de ces recueils, compris entre 3 000 et 5 000 exemplaires, ont été nettement moins importants.

L’importance de l’image

Deux illustrateurs éthiopiens reconnus, Atlabachew Reda et Abiyalew Assefa, ont encouragé le groupe en réalisant les illustrations et la couverture de ces recueils pour une somme symbolique. Ils ont continué d’aider W.E.C, aux côtés d’autres illustrateurs nationaux et d’un illustrateur international pour les recueils suivants. Le graphisme et les maquettes ont été réalisés par un éthiopien, Fetum Rahmet, qui a offert ses compétences sur la base d’un simple défraiement, pendant qu’un autre Éthiopien a joué bénévolement le rôle de consultant éditorial afin de conseiller le groupe sur les économies de coûts à réaliser.

Une action entre continuation et essoufflement

De nouveaux recueils publiés

L’Institut Goethe a accueilli le lancement de la deuxième et de la troisième anthologies, puis a arrêté de soutenir l’action. Mais la balle était lancée, le projet existait en soi : une quatrième anthologie, Algenam, fut publiée en 2005. Notons que la réduction rapide des fonds financiers, autant que la « fatigue » des auteurs, a conduit à une diminution sensible de la taille des recueils. W.E.C. continue néanmoins son action et vient de publier, en 2009, deux recueils supplémentaires, Ema Gilgelay et Tikur Fiyele.

Les titres des recueils continuent de puiser dans les jeux et comptines enfantines populaires. Coocooloo et Algenam sont les mots employés par les enfants quand ils jouent à cache-cache, tandis que Alihoy et Alalihoy sont les premiers mots (sans signification propre) d’une comptine. Ema Gilgelay (Madame Chèvre et son petit) et Tikur Fiyele (La Chèvre noire) proviennent d’une autre comptine, similaire à la comptine anglaise « Round and round the garden walks a Teddy bear ».

Financement et partenariats contraints

Dans une volonté d’améliorer les ventes et la visibilité des recueils, W.E.C. a décidé d’organiser un lancement pour les quatrième, cinquième et sixième recueils d’histoires. Diverses institutions, susceptibles d’accueillir ce lancement, ont été contactées. L’Alliance française en Éthiopie a accepté mais à condition qu’il y ait au moins une histoire qui puisse être traduite en français. Heureusement, l’un des auteurs, Alula Pankhurst, pouvait le faire et les trois anthologies ont été lancées à l’Alliance française.

Cependant, le rêve de W.E.C. de mettre en place un financement autonome pour permettre la viabilité du projet et de publier d’autres recueils sans dépendre indéfiniment de donateurs semble avoir soulevé les questions sous-jacentes de la politique linguistique et économique qui reste au cœur de la mondialisation. Mais, plus encore, il met en évidence les défis que les enfants africains vont devoir continuer à relever, si on ne leur fournit pas en nombre des livres d’histoires pour servir de base à l’apprentissage ; alors que les enfants européens apprennent à lire des avec des histoires familières de leur propre culture et dans leur propre langue, les enfants africains apprennent à lire avec des textes étrangers.

Notes et références

Références bibliographiques

  • Elizabeth Laird : « Kings, Lions and Hyena Woman: Collecting and Publishing Folktales in Ethiopia », article présenté lors du 29e IBBY Congress on Books for Africa. Cape Town, 2004. http://ibbysa.org.za.dedi1110.nur4.host-h.net/ibbysa.php?pid=19
  • Charles R. Larson : The Ordeal of the African Writer, Londres : Zed Books, 2001.
  • Michael D. Ambatchew : « Challenges in Publishing Coocooloo », article présenté lors du 29eIBBY Congress on Books for Africa. Cape Town, 2004. http://ibbysa.org.za.dedi1110.nur4.host-h.net/ibbysa.php?pid=19
  • Michael D. Ambatchew : « Improvements in the Arena of Ethiopian Children’s Literature », article présenté lors de l’atelier sur la littérature de jeunesse éthiopienne pour le Forum des enfants des rues éthiopiens. Addis Abeba, 2007.
  • Irene Sever : « Promoting Reading Among Immigrants from an Oral Culture: Ethiopian Jews in Israel », in World Libraries, vol. 5, n° 1, Automne, 1994. http://www.worlib.org/vol05no1/sever_v05n1.shtml
  • Tesfa Abebe and Shibeshi Lemma : « Assessment of Children’s Books in Addis Abeba: Needs and Prospects for Publication », article présenté pour le Forum des enfants des rues éthiopiens. Addis Abeba, 2007.
  • Gebre-Mariam Tesfaye : Challenges in Publishing Children’s literature in Ethiopia. Mimeo, 2004.

Conte éthiopien à télécharger

Le Géant Dima et le petit Biniam de Alula Pankhurst. Traduction française par l’auteur.