Une graine d’auteur à la Guadeloupe

Par Gilda Gonfier, auteur et bibliothécaire
Portrait de Gilda Gonfier, souriante, avec une boucle d'oreille.

Le conseil général de la Guadeloupe, à travers la bibliothèque Caraïbe Bettino Lara, a lancé, en 2009, un concours de création d’albums (voir l’article de Patricia Navet et Ernest Pépin, Livres jeunesse en Caraïbe, dans la rubrique Vie du livre). C’est l’album Zandoli mandè mayé / l’Anoli amoureux, écrit par Gilda Gonfier et illustré par Doumey Durieux, que le jury a primé, et qui sera publié et offert à tous les enfants qui naîtront dans le département en 2011. L’écriture de cette « graine d’auteur » est particulièrement remarquable, énergique, imagée et enracinée avec bonheur dans la culture de son île. Souhaitons qu’elle puisse faire partager sa passion pour l’écriture à de nombreux lecteurs.

Gilda Gonfier, qui êtes-vous ?

Je suis guadeloupéenne, jeune maman de 38 ans. Mes filles, Noria et Sephora, ont 3 ans et 1 an. Je suis bibliothécaire, directrice de la Médiathèque du Gosier depuis 1996. Je gère une équipe formidable de 18 personnes. Mon métier est une passion. Je suis une passionnée.

Y a-t-il une action, un événement, un livre ou une personne qui vous a tout particulièrement marquée ?

J’écris, je crois, depuis l’âge de 11 ans. L’écriture et la lecture sont mes passions. Elles se sont étendues dès 1994 au cinéma. La médiathèque du Gosier a été partenaire de deux festivals de cinéma : Noir tout couleurs (qui n’existe plus) et le Fémi qui en est, cette année, à sa seizième édition. Mon envie d’écrire a pour origine le goût de lire. Quand on lit beaucoup, on est forcément tenté à un moment ou un autre de coucher sur le papier ses propres histoires. Je crois que nous portons tous des histoires. Nous lisons pour nous les raconter. Et parfois, on ose, on passe le pas et on écrit, d’abord pour soi et puis pour les autres. Je suis tellement bien au milieu des livres ! Le métier de bibliothécaire, je l’ai choisi pour ça. Les librairies et les bibliothèques sont des lieux où je me sens chez moi, en confiance, et c’est ce goût que j’ai envie de communiquer. Il y a tellement de livres ! Il y en a forcément un qui a quelque chose à nous dire, à nous révéler sur nous-mêmes ou sur le monde. J’ai été tentée par le journalisme – j’ai fait mes études de sciences politiques avec cet objectif. Mais, après un stage d’un mois au journal Libération, j’ai compris que ce n’était pas ma voie. Je suis donc rentrée en Guadeloupe après quatre ans d’études à Toulouse. J’ai passé le concours de bibliothécaire en 1995 et, à 25 ans, j’étais à la tête du projet de la Médiathèque du Gosier avec six de mes collègues, alors agents du patrimoine. Elle a été inaugurée en novembre 1997. Et, aujourd’hui encore, j’ai le même enthousiasme à mettre en place des actions pour promouvoir le livre et la lecture dans cette commune.

Pourquoi écrivez-vous ? Comment reliez-vous votre travail d’écriture à votre métier de bibliothécaire ?

Lire et écrire procèdent pour moi de la même respiration. D’ailleurs, à la Médiathèque, nous organisons régulièrement des ateliers d’écriture et, bien sûr, des rencontres avec des auteurs, des lectures...

Quelles sont vos sources d’inspiration ?

Mon pays ! Les gens de mon pays ! Cette terre d’histoire douloureuse que nous savons tellement cacher sous un rire. Je suis passionnée d’Histoire depuis ma collaboration au documentaire de Sylvaine Dampierre. La rencontre avec cette documentariste a été déterminante. Merci au Mois du film documentaire car c’est à l’occasion de la première édition de cette manifestation que j’ai fait sa connaissance. Le pays à l’envers, son premier long métrage documentaire, est né de cette rencontre. Et je suis sa documentaliste sur son prochain film : Marie-Galante après la nuit qui, si tout va bien, sera son premier long métrage de fiction. On espère pouvoir tourner en mai prochain.

Que voulez-vous transmettre de votre culture ?

La résistance. C’était d’ailleurs l’un des premiers thèmes du Mois du film documentaire, manifestation que j’ai coordonnée en Guadeloupe à ses débuts avec mes collègues, Sylvana Artis de la bibliothèque municipale de Pointe-à-Pitre et Évelyne Saha de la bibliothèque universitaire. Nous résistons en Guadeloupe. Nous résistons pour garder vivante notre langue, le créole, et reconquérir notre Histoire, celle de la colonisation et de l’esclavage.

Est-ce que le fait d’avoir gagné ce concours d’écriture d’albums change votre rapport à l’écriture ? Aux livres pour enfants ?

Ce fut une découverte, et un bel exercice littéraire. Ce livre, je l’ai fait pour mes filles, en français et en créole. Je ne devrais pas le dire sans doute, mais je connais peu la littérature de jeunesse, même si je m’y intéresse de plus près depuis que je suis maman. Je suis bien plus à l’aise avec les romanciers. García Márquez, Baldwin, Flaubert, Roth, Duras ou Kincaid sont mes préférés. J’ai découvert aussi Mendelsohn et son roman Les Disparus. Plus jeune, j’ai commencé par les écrivains haïtiens : Jacques Roumain et Jacques Stephen Alexis, dont j’ai lu tous les livres. Il faudra d’ailleurs que je me replonge dans leurs univers. La littérature haïtienne est tellement riche et vivante. C’est avec Alexis que j’ai osé penser écrire un jour. Compère général soleil ou encore L’Espace d’un cillement ont été mes compagnons pendant longtemps. Mais le livre qui m’a vraiment permis de trouver ma voix, c’est L’Éloge de la créolité de Confiant, Chamoiseau et Barnabé. Il m’a aidée à clore le débat sur mon identité. Et plutôt que de chercher dans mes écrits à dire que j’étais antillaise, j’ai exploré d’autres thèmes, ceux de la féminité, du rapport aux hommes, à la maternité. Qu’est ce que ça veut dire, être femme? Comme le dirait l’une de mes amies, c’est devenu une obsession.

Comment percevez-vous le monde du livre et de la lecture ? Hier ? Aujourd’hui ?

Je trouve que la Guadeloupe est pleine de talents. J’ai envie d’œuvrer pour le montrer dans la littérature et le cinéma. Je pense qu’en Guadeloupe, le livre n’a pas encore trouvé sa véritable place. Il reste, pour beaucoup, destiné à une élite ou aux enfants pour aider à leur réussite scolaire. Pourtant, on lit beaucoup en Guadeloupe. Et je crois qu’on écrit beaucoup aussi. J’ai noté beaucoup de livres publiés à compte d’auteur ; les récits de vie se font une plus grande place sur les rayons des librairies.

Comment vous inscrivez-vous dans ce monde ?

Je regarde le monde. Le regard, pour moi, est capital. Regarder le monde, c’est le recréer ; et le regarder en voyant sa beauté, c’est créer un monde beau et pacifique. Je pense que nous avons besoin d’apaisement, de pacifisme. Cela ne passe pas par l’abrutissement que nous vendent les marchands. Cela passe, au contraire, par une vigilance, un regard attentif sur soi-même et sur le monde.

Quels sont vos projets, vos envies, vos rêves ?

Écrire. Écrire des contes, écrire des films, écrire des romans. Écrire et lire. Nous avons monté à la Médiathèque une formation de conteuse pour toutes les collègues de la section jeunesse. Et j’ai en projet une formation sur la lecture à haute voix. Je reviens de Cuba – je faisais partie d’une délégation guadeloupéenne – et j’ai présenté à la Casa de las Américas un recueil poétique intitulé Inventaires à la Grivelière. Ce pays est fascinant. La Feria del libro est une belle fête populaire autour du livre avec un monde fou, toutes sortes de gens qui se pressaient pour acheter des livres. À mon hôtel, le matin de notre départ, il devait être six heures du matin, j’entendais une employée faire la lecture à ses collègues. Il n’y avait pas de télévision ou une connexion Internet pour passer le temps, mais une voix qui lisait un roman. Je n’ai pas osé lui demander le titre du roman, mon espagnol est très limité. Il ne me reste plus qu’à y retourner ! Plus sérieusement, je compte dans mes projets le film de Sylvaine Dampierre, Marie-Galante après la nuit, la réécriture de mon deuxième roman qui, je l’espère, trouvera un éditeur, et la réalisation d’une collection de films d’animation à partir des contes que j’écris. J’attends avec impatience la publication par le conseil général de l’album primé Zandoli mandé mayé, et je travaille avec l’illustratrice Doumey Durieux à un autre album. Il s’intitule La Mangouste qui avait peur de son ombre.


Propos recueillis par Nathalie Beau.