Appollo et les géographies de l’écriture

Anne-Laure Cognet
Portrait d'Appollo devant une toile multicolore

Depuis sa première série, Louis-Ferdinand Quincampoix, créée avec le dessinateur Mad, en 1991, Appollo trace un chemin d’écriture tout à fait particulier dans la bande dessinée. Hanté par une île, La Réunion, qu’il explore à toutes les époques, nourri d’univers romanesques et poétiques, soucieux du juste lien avec les dessinateurs qui interprètent ses mots, Appollo pense la bande dessinée comme « un art du livre ».

Merci beaucoup pour vos livres : un bon scénario est un plaisir rare… Mais qu’est-ce qu’un bon scénario pour vous ?

Je ne sais pas si je sais répondre à cette question. Je me dis souvent qu’un bon scénario n’existe pas, qu’il n’y a que de bons ou de mauvais livres. Techniquement, il existe bien une étape qu’on appelle le scénario et qui précède le dessin. Mais une bonne bande dessinée, c’est l’alchimie des deux. Les aller-retours, entre ce qui constitue le scénario et ce qui deviendra la page de bande dessinée, sont nombreux. Le résultat final est l’aboutissement de choix multiples, dans l’écriture, la narration, la mise en scène, les choix graphiques, le trait, etc., tant et si bien que je suis incapable d’y déceler ce qui relève du scénario à proprement parler. Un bon scénario serait un scénario qui n’existe pas, parce qu’il a disparu, parce qu’il s’est fondu dans un bon livre.
À une époque, le Festival d’Angoulême récompensait le « meilleur scénario ». Je trouvais ce prix horrible et stupide. Le scénario, ce n’est qu’une étape de la cuisine interne d’une bande dessinée, ça n’a aucun intérêt, c’est le résultat complet qui compte !

Votre écriture se caractérise par un souci de l’épure et par une adéquation parfaite à l’image. Vous suggérez, vous accompagnez, mais vous laissez toujours une échappée possible : vous accordez toute liberté non seulement à l’image mais aussi à l’imaginaire du lecteur… Comment pensez-vous vos scénarios ?

De plus en plus, mes scénarios se réduisent à un découpage dialogué, avec des indications de mise en scène réduites. C’est un peu une sorte de texte théâtral dans lequel il y aurait une abondance de didascalies1. Mais la mise en scène, le choix des plans, des cadrages, tout ça, je le laisse au dessinateur, même si c’est souvent induit par le récit, même si on revient beaucoup dessus dans le story-board, parce que je pense que c’est lui, et lui seul, qui est capable de juger de la bonne mise en scène, c'est-à-dire, celle qui correspond à sa lecture de l’histoire, ainsi qu’à sa manière de dessiner.
Je ne crois pas que le dessinateur soit juste un intervenant technique qui se contenterait d’appliquer graphiquement un scénario extrêmement précis (je sais que certains scénaristes sont d’une précision étonnante). Ce qui m’intéresse, c’est cette partie de ping-pong entre le dessinateur et moi, qu’il me propose une lecture personnelle de mon récit, de mes dialogues.

Mad, Serge Huo-Chao-Si, Li-An, Lewis Trondheim, Brüno, Oiry… Comment se passent vos collaborations ?

J’ai commencé à faire de la bande dessinée avec Mad, qui était mon meilleur copain de lycée. Faire de la bande dessinée ensemble était une sorte de modalité de notre amitié. On travaillait vraiment en symbiose, tout était évident, immédiat, fusionnel. On se mettait dans un bistrot, je lui montrais ce que j’avais écrit, il dessinait directement devant moi et, ensemble, on changeait, on améliorait, à la fois le dessin et les textes. C’était très amusant à faire.
Quand Mad est mort en 1993, je pensais que je ne pourrais plus faire de bande dessinée, parce que faire de la bande dessinée, pour moi, c’était vraiment « faire de la bande dessinée avec Mad ». C’est Serge Huo-Chao-Si qui m’a poussé à continuer ce que nous faisions (à l’époque, il s’agissait d’histoires courtes pour Le Cri du margouillat), et j’ai continué à m’amuser avec lui à faire de petites histoires parodiques, jusqu’au moment où, Le Margouillat cessant de paraître, nous nous sommes dit que nous pourrions avoir plus d’ambition et proposer quelque chose d’autre, une histoire en deux albums, pour un éditeur métropolitain. Dès lors, cela devenait « sérieux », et on ne pouvait plus simplement se mettre autour d’une table et rigoler ensemble en griffonnant des trucs. J’ai écrit le scénario de La Grippe coloniale très consciencieusement sur mon ordinateur, comme un vrai scénariste, puis je l’ai soumis à Serge, nous en avons beaucoup discuté et, à deux, nous avons mis au point un story-board. Enfin, Serge a tout dessiné de son côté comme un vrai dessinateur. Mais ce qui était important, c’est que nous avions gardé cette étape décisive du story-board où les choses peuvent changer et où le dialogue est incessant entre nous deux, ce qui nous permet d’intervenir chacun dans le champ de l’autre.
C’est la méthode que j’ai gardée pour les autres collaborations avec tout de même trois différences notables : d’abord, j’ai réussi à travailler avec des gens qui n’étaient pas mes meilleurs copains (mais qui le sont devenus après, bien sûr) ; ensuite, comme je vis loin des dessinateurs avec lesquels je travaille, l’étape décisive de la discussion sur le story-board se fait par Internet ; et enfin, il y a au moins un dessinateur avec qui le travail ne s’est pas passé du tout de cette manière, c’est Lewis Trondheim, parce qu’il souhaitait intervenir de manière plus importante dans l’écriture. Il y a donc des pages entières qui sont de son fait.

Le Cri du margouillat2 fut une aventure éditoriale mémorable. Quel regard portez-vous sur cette revue, presque dix ans après sa fin ? Pouvez-vous dire que cette revue a été, pour vous et pour les autres, un laboratoire d’expression en même temps qu’une formation au métier de dessinateur ?

Oui, complètement. Quand nous avons débuté Le Cri du margouillat, nous étions au lycée ou à la fac. Nous étions donc tous très jeunes, très inexpérimentés. Nous avons appris ensemble à faire de la bande dessinée. Les premiers numéros sont assez calamiteux d’un point de vue qualitatif mais il nous fallait tout apprendre – je pense qu’aucun de nous n’avait jamais fait une histoire complète avant Le Cri du margouillat.
C’était très stimulant. On découvrait la BD, on découvrait aussi ce qu’était un journal avec tout ce que cela suppose : les articles, la mise en page, la vente, etc. Rapidement, chacun a trouvé sa place : Boby Antoir puis André Pangrani, les rédacteurs en chef, ont chapeauté le journal ; les dessinateurs amateurs sont devenus des auteurs de bandes dessinées ; et moi, je faisais à la fois des scénarios et des critiques de BD – ce qui m’a appris « à penser la BD » à une époque faste qui coïncidait avec l’arrivée de la « Nouvelle BD ».
Le journal s’est vraiment amélioré avec le temps et est devenu un espace fabuleux de rencontres : nous avons publié des auteurs mauriciens, mahorais, malgaches, sud-africains… Le Margouillat était pionnier dans son domaine à La Réunion et, finalement, beaucoup d’entre nous sommes devenus des auteurs professionnels édités nationalement.
J’en garde un souvenir ému, c’était un peu notre groupe de rock à nous, nous avons grandi avec Le Margouillat, et pas seulement du seul point de vue de la bande dessinée, ça a été un lieu d’apprentissage global (culturel, politique, social, etc.).

Si vous deviez tracer un arbre généalogique imaginaire, quels auteurs de bandes dessinées placeriez-vous avant vous, en même temps que vous, après vous ? Une sorte de famille de création, disons…

Les grands auteurs qui m’inspirent et qui m’ont formé par leurs livres sont évidemment très nombreux : Hergé serait le patriarche fondateur de la dynastie ; Jijé, Franquin, Peyo, Morris, les grands parents belges ; Moebius, l’oncle génial, Pratt l’oncle voyageur et lettré, Forest le parrain fantasque ; Tardi, Chaland, l’équipe de Métal Hurlant, les parents punks.
Les auteurs de ma génération appartiennent à la bande de L’Association : les cousins Menu et Trondheim (désormais fâchés), mais aussi Blain, Sfar, Blutch, Sattouf, la famille américaine autour du vieux Crumb : Clowse, Burns, Seth, Chris Ware… J’arrête là, la liste serait bien trop longue.

La Réunion au XVIIIe, La Réunion au début du XXe, La Réunion en 1918, l’océan Indien pendant la seconde Guerre mondiale… De livres en livres, vous construisez des histoires dans l’Histoire. Pourquoi cet intérêt pour le passé ? À moins que le fil d’Ariane ne soit, non pas le temps, mais l’espace ?

Oui, vous avez raison, c’est peut-être plus l’espace qui me fascine. Un espace qui s’inscrit parfois dans l’Histoire, mais pas forcément – même si je suis toujours très curieux des petites histoires de la grande Histoire.
Mon espace réel, donc, c’est La Réunion, l’île d’où je viens et qui est naturellement le cadre de mes histoires. Dans un entretien sur le site Du9, l’auteur québécois Michel Rabagliati disait que ses histoires se passaient au Québec parce qu’il voulait « témoigner d’un pays ». C’est exactement mon envie et c’est d’ailleurs aussi, à mon avis, ce que fait Tardi quand il dessine et redessine Paris.
Évidemment, le lieu géographique, même intime, est aussi un lieu fantasmé, et c’est pourquoi je peux le projeter aussi dans le passé, au début du XXe ou en plein XVIIIe siècle.
Mais je ne fais pas du tout œuvre d’historien, parce que je n’en suis pas un. Ce qui m’intéresse c’est toujours interroger La Réunion d’aujourd’hui : comment en sommes-nous arrivés là ?
Il y a une forme de questionnement identitaire, bien sûr, à la fois personnel et collectif, mais par delà tout cela, il y a aussi un très grand plaisir à faire voguer mon imaginaire dans cet espace qui m’est si familier, en le mettant à distance temporellement. Je pense que ce n’est pas du tout une démarche historique, mais clairement romanesque, sans volonté didactique, par exemple.
Pendant des années, j’ai rêvé du Congo et maintenant que j’y habite, je suis encore plus subjugué par ce pays, son histoire, son peuple. Il est à peu près certain que j’en ferai quelque chose.
Enfin, je dois dire que, parfois, je trouve la fiction française (au cinéma, en littérature, en bande dessinée) très frileuse, très repliée sur elle-même et ses obsessions. Finalement, la fiction en France ne s’intéresse qu’à la France, et, éventuellement aux États-Unis qui la fascinent (sans doute à juste titre). Or, il reste le vaste monde dont il faut bien parler ! Alors moi, je m’occupe de mon île et du Congo, puisque personne en France ne le fait en bande dessinée.

Travaillez-vous à partir de sources et lesquelles ?

Pour les albums qui ont un cadre historique précis, oui, toujours. En fait, je lis par plaisir beaucoup de documentation historique et j’y trouve souvent des sujets d’histoires. Mon problème, c’est plutôt de ne pas être prisonnier de ma documentation, de ne pas avoir à vérifier à chaque fois tel ou tel détail historique. J’essaie, une fois l’étape de la documentation passée, de l’oublier en quelque sorte, pour me laisser toute la liberté romanesque possible. On prête à Alexandre Dumas la fameuse phrase « On peut violer l'histoire pourvu qu'on lui fasse de beaux enfants ». C’est à peu près mon credo, en espérant toujours que les enfants ne soient pas trop laids.

Alors que votre diptyque, Biotope (dessiné par Brüno), relève du genre de la science-fiction et se passe sur une planète lointaine en un temps lointain, vous semblez revenir aux origines : celle d’une île qui n’aurait pas été colonisée…

Oui, c’est juste. Quand Biotope a été terminé, je me suis effectivement fait la remarque que si l’on enlevait le décorum de la science-fiction, on était encore dans une histoire d’île, et qu’une fois de plus, j’avais parlé, d’une certaine manière, de La Réunion. Bon, en tout cas, c’est une possibilité de lecture.
Peut-être que je n’arrive pas à m’échapper de ma condition d’insulaire, mais c’était inconscient. Je voulais vraiment m’essayer, sur une suggestion de Brüno, à un genre nouveau, la science-fiction, dont je ne suis pourtant pas très amateur, mais qui est suffisamment souple pour aborder tous les thèmes. Je voulais faire un thriller-SF-écolo et j’ai fait une histoire sur la colonisation d’une île déserte qui  pourrait être La Réunion des origines !

Au milieu de tous ces livres qui parlent de colonialisme (sous une forme ou une autre), il y a une exception : Pauline (et les loups-garous). On entre dans un univers d’adolescents en fugue, sur fond de violence sexuelle et d’inceste. Est-ce un OVNI, une autre veine, un début, un écart, dans votre parcours d’auteur ?

Il y a longtemps que je voulais écrire une histoire autour de l’adolescence. Je suis très admiratif du travail des Américains là-dessus, disons de Salinger en littérature à Larry Clarke ou Gus Vans Sant au cinéma et Charles Burns ou Daniel Clowes en BD.
En rencontrant le dessinateur Stéphane Oiry, j’ai rencontré quelqu’un qui partageait ce goût pour la fin de l’adolescence, l’errance, le road-movie, le rock, la contre-culture, etc.
Pauline (et les loups-garous) est un des livres qui me tient le plus à cœur, et aussi un de ceux qui s’est le moins bien vendu, je ne sais pas trop pourquoi. Nous venons de sortir un deuxième tome qui s’intitule Une Vie sans Barjot, qui est dans la même veine, mais peut-être moins sombre, et nous envisageons de conclure ce cycle par un troisième tome.
C’est une expérience intéressante pour moi, parce que, dans mon idée, ces trois histoires d’adolescence se situent toutes à La Réunion et s’inspirent fortement de ma propre jeunesse ou de celle de gens que j’ai pu croiser. Mais comme Stéphane Oiry ne connait pas La Réunion, il a fallu dépayser le récit, l’expatrier en métropole, et cela donne quelque chose de plus universel, je crois. Comme je me méfie de l’autobiographie, j’ai décidé d’opter pour un personnage féminin, afin de garder une distance – et aussi parce que je me suis inspiré de filles que j’ai eues comme élèves en classe3. J’avais donc une double distance, géographique et de « genre », mais c’est malgré tout un récit très personnel, parce que ces mises à distance sont tout à fait factices.

Entre La Réunion (où vous avez grandi) et Kinshasa, au Congo (où vous habitez aujourd’hui), comment décririez-vous le milieu de la bande dessinée (réseaux, modes d’édition et de diffusion, culture) ?

À La Réunion, après la fin du Margouillat, il est resté « un milieu de la bande dessinée » qui se traduit par la présence du Festival Cyclone BD (que Le Cri du margouillat avait initié), de librairies spécialisées, de plusieurs éditeurs de bandes dessinées, etc. Cela n’a plus rien à voir avec le désert culturel dans lequel est né Le Cri du margouillat. J’espère donc qu’une relève viendra, que de jeunes gens feront de la bande dessinée avec pour ambition de tout révolutionner et de mettre au rencart les vieux cons que nous serons devenus (si ce n’est pas déjà fait).
Au Congo, la situation est très différente : on y fait de la bande dessinée depuis très longtemps, certains auteurs congolais ont su percer en Europe (comme Barly Baruti) et il y a une culture de la bande dessinée bien installée. Mais le Congo est pays pauvre où les problèmes empêchent la bande dessinée de s’épanouir. Il n’y a ni librairies, ni réseaux de diffusion, ni supports de presse dignes de ce nom, pas d’accès aux livres notamment. Alors, les très nombreux auteurs de bandes dessinées congolais se débrouillent comme ils peuvent, en faisant du fanzinat et en survivant par des travaux alimentaires.

Le Congo est un immense pays de la bande dessinée. Qu’y avez-vous découvert ?

Parce que le Congo est une ancienne colonie belge, peut-être y a-t-il un rapport particulier à la bande dessinée ? Peut-être aussi que Tintin au Congo, œuvre la moins intéressante et la plus discutable d’Hergé, a-t-elle joué un rôle symbolique ? En tous les cas, il y a une « scène BD » très importante au Congo et pas seulement à Kinshasa. J’ai rencontré de nombreux auteurs de bandes dessinées, qui essaient de travailler, de vivre de leur art, ce qui est très difficile, évidemment, dans un pays dévasté comme l’est la République démocratique du Congo.
Ce qui est le plus frappant, c’est qu’il n’y a pas vraiment de librairies à Kinshasa et que l’accès aux livres y est très difficile. La conséquence de ce désert livresque, c’est que beaucoup d’auteurs congolais continuent de faire de la bande dessinée comme on en faisait en Belgique dans les années 1970 : un dessin réaliste, un peu figé, des histoires édifiantes. Les auteurs congolais, qui sont pourtant très doués graphiquement, ignorent à peu près tout des évolutions de la bande dessinée de ces quarante dernières années et vivent encore dans une sorte d’académisme belge un peu suranné.
J’ai l’impression qu’il manque au Congo un lieu de découverte de la bande dessinée. Il faudrait créer une sorte de grande bédéthèque où les auteurs, les amateurs, pourraient enfin lire ce qui se fait ailleurs dans le monde. Il faudrait aussi que le monde de la bande dessinée congolaise rencontre les raconteurs d’histoire de leur pays (ceux du théâtre, de la littérature) pour que des échanges féconds naissent. D'autant que Kinshasa est une capitale bouillonnante d'idées, l'une des villes les plus actives et créatives que je connaisse en ce domaine...

Vous êtes l’initiateur du nouveau Festival dédié à la bande dessinée à Kinshasa, Kin Anima Bulles, dont la première édition a eu lieu en octobre 2010. Pourquoi ?

Parce qu’il n’y avait plus de manifestation autour de la bande dessinée en RDC depuis plusieurs années et que je trouvais qu’il fallait un événement pour fédérer les auteurs kinois, qu’un coup de projecteur leur soit accordé au moins une fois par an.

Entre vos débuts et aujourd’hui, comment voyez-vous le monde de la bande dessinée (inscription politique, développement économique, nouveaux supports…) ?

Au tout début de ma carrière, la bande dessinée en France n’allait pas bien : c’était la fin des années 1980, on parlait de surproduction, les éditeurs étaient frileux et n’envisageaient qu’un seul format, qu’un seul modèle de bande dessinée. Et puis est arrivée ce qu’on a appelé la « Nouvelle BD », c'est-à-dire, des éditeurs indépendants comme L’Association, Cornélius, Ego comme X, etc. Ce fut un mouvement majeur, à la fois du point de vue éditorial et du point de vue créatif. Les années 1990 ont été des années d’une richesse incroyable avec l’émergence d’auteurs qui ont tout bousculé, qui ont redistribué les cartes. Je pense qu’après les années Pilote et les années Métal Hurlant, c’est une des grandes phases de l’histoire de la bande dessinée, un moment où elle a vraiment mûri, où elle s’est décomplexée, où elle a fait jeu égal avec la littérature et le cinéma.
Aujourd’hui, ce mouvement de fond s’essouffle un peu. On est de nouveau dans une période de surproduction et j’ai peur que nous nous retrouvions dans une situation proche de celle de la fin des années 1980. Il va falloir peut-être attendre la prochaine déferlante…
Internet n’a finalement pas été une vraie révolution pour la création : il y a des blogs, qui permettent à de jeunes auteurs de montrer leur travail, mais on ne peut pas dire que des artistes majeurs en soient sortis. Quant au livre numérique, non seulement je n’y crois pas en général, mais pour ce qui concerne la bande dessinée qui est, en grande partie, un « art du livre » (c'est-à-dire qu’elle fait corps avec son support, bien plus que le texte seul), je suis plus que dubitatif…

Vous êtes essentiellement publié chez Dargaud (et plus ponctuellement, chez Vents d’Ouest, Futuropolis, Delcourt), dans une collection bien particulière, « Poisson pilote ». Comment cela s’est-il passé ?

Mon tout premier éditeur métropolitain était Vents d’Ouest, à l’époque de Louis-Ferdinand Quincampoix, une série que Mad et moi avions proposée lorsque nous étions étudiants à Paris. Quelques années plus tard, c’est encore Vents d’Ouest qui a publié La Grippe coloniale, puis Fantômes blancs. C’est donc un éditeur auquel je suis attaché, sentimentalement.
Mais c’est Dargaud qui a été intéressé par mes bandes dessinées avec Brüno et c’est ainsi que j’ai intégré la collection « Poisson Pilote », qui est assez prestigieuse par les auteurs qu’elle publie. Il se trouve que non seulement Dargaud est un très gros éditeur chez qui on se sent bien traité, avec un excellent catalogue, mais en plus je m’entends bien avec son directeur général. Cela fait beaucoup de raisons d’y rester !
Cela dit, j’aime bien pouvoir faire des choses différentes chez différents éditeurs : je suis allé chez Delcourt parce que Trondheim y a sa propre collection, « Shampoing », et chez Futuropolis, parce que la trilogie que nous faisons avec Oiry y trouve assez naturellement sa place.
À La Réunion, Le Margouillat avait créé son propre label d’édition : Centre du Monde. J’y ai publié deux livres, Cases en tôle, un recueil d’histoires publiées dans Le Margouillat, dessinées par Serge Huo-Chao-Si, et Dans les Hauts, un collectif avec les autres auteurs du journal. J’ai, par ailleurs, publié chez Orphie, autre éditeur réunionnais, un conte pour enfants intitulé La Chasse au dodo illustré par Manu Brughera, et enfin une petite bande dessinée avec Serge Huo-Chao-Si, La Guerre d’Izidine, pour le compte du rectorat de La Réunion, sur le thème de l’intégration. Les éditions Centre du Monde ont repris une activité éditoriale et je compte y participer dès mon retour à La Réunion…

Notes et références

1. Indications scéniques.
2. Magazine créé en 1986 qui cesse de paraître en 2000, puis repart sous un nouveau nom, Le Margouillat, et s’arrête définitivement en 2002.
3. Appollo est (aussi) enseignant.


Pour aller plus loin

Sur l’auteur

Grand Hôtel Kinshasa. [Consulté le 10.03.2011]
Blog d’Appollo.

Bibliographie

Une vie sans Barjot. Dess. Stéphane Oiry. Paris, Futuropolis, 2011.
Commando Colonial. 3, Fort Thélème. Dess. Brüno, coul. Laurence Croix. Paris, Dargaud, 2010.
Commando Colonial. 2, Le Loup gris de la Désolation. Dess. Brüno, coul. Laurence Croix. Paris, Dargaud, 2009.
Rock Strips. Dess. Brüno. Paris, Flammarion, 2009.
Commando Colonial. 1, Opération Ironclad. Dess. Brüno, coul. Laurence Croix. Paris, Dargaud, 2008.
Pauline (et les loups-garous). Dess. Stéphane Oiry. Paris, Futuropolis, 2008.
Biotope. 2. Dess. Brüno, coul. Laurence Croix. Paris, Dargaud, 2007.
Biotope. 1. Dess. Brüno, coul. Laurence Croix. Paris, Dargaud, 2007.
Île Bourbon, 1730. Avec Lewis Trondheim. Paris, Delcourt, 2007.
La Guerre d'Izidine. Dess. Serge Huo-Chao-Si. La Réunion, Floraisons, 2006.
Fantômes blancs. 2, Bénédicte. Dess. Li-An, coul. Laurence Croix. Issy-les-Moulineaux, Vents d'Ouest, 2006.
Le Chevalier au cochon. Dess. Brughera. Paris, Carabas, 2006.
La Chasse au dodo. Ill. Brughera. Chevagny-sur-Guye, Orphie, 2005. (épuisé)
Fantômes blancs. 1, Maison Rouge. Dess. Li-An, coul. Laurence Croix. Issy-les-Moulineaux, Vents d'Ouest, 2005.
La Grippe coloniale. 1, Le Retour d'Ulysse. Dess. Serge Huo-Chao-Si, coul. Téhem. Issy-les-Moulineaux, Vents d'Ouest, 2003.
Dans les Hauts. Collectif, dess. Serge Huo-Chao-Si, coul. Hobopok. Saint-Denis de La Réunion, Centre du Monde, 2001.
Cases en tôle. Collectif, dess. Serge Huo-Chao-Si. Saint-Denis de La Réunion, Centre du Monde, 1999.
7 Histoires de pirates. Collectif, dess. Mad. Issy-les-Moulineaux, Vents d'Ouest, 1993.
Louis-Ferdinand Quincampoix. 3, Un Air de violon. Dess. Mad. Issy-les-Moulineaux, Vents d'Ouest, 1992. (épuisé)
Louis-Ferdinand Quincampoix. 2, Bon appétit les goules. Dess. Mad. Issy-les-Moulineaux, Vents d'Ouest, 1992. (épuisé)
Louis-Ferdinand Quincampoix. 1, Dedans le Bayou. Dess. Mad. Issy-les-Moulineaux, Vents d'Ouest, 1991. (épuisé)


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