Transmettre aux pays de l’oralité : la bande dessinée du Sud et les adaptations littéraires

Jacques Tramson, Maître de Conférences honoraire en Littérature générale et Comparée à l'Université Paris XIII
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Apparues en même temps que la bande dessinée, devenues à la mode dans les années 1970, ayant trouvé un nouveau souffle dans la dernière décennie, les adaptations littéraires occupent une place non négligeable dans la production occidentale. Dans les pays du Sud, elles sont en revanche moins présentes. Cette relative rareté est évidemment due à l’émergence plus récente de la bande dessinée dont la première, Le Curé de Pyssaro, est publiée au Togo en 1960.

Par ailleurs, si, en Occident, l’adaptation fonctionne comme une stratégie de diversification d’un produit de grande consommation, dans les pays du Sud, elle assure une fonction de transmission originale, s’inscrivant dans l’évolution de sociétés de l’oralité vers une civilisation de l’écrit. 

À partir des littératures écrite et orale, nous montrerons comment, en fonction des œuvres et des auteurs, la technique d’adaptation peut varier, avant de tenter de comprendre les principaux types de transmissions que ce genre assume.

Quel corpus ?

Les contes majoritaires dans la première vague des années 1970

Au milieu des années 1970 paraissent les premières adaptations en bande dessinée, majoritairement de contes qui constituent, à ce jour, près de la moitié de la cinquantaine de titres publiée sur le continent Africain, dans l’océan Indien, les Antilles, etc. Le premier titre, aux Nouvelles Editions Africaines en 1975, Les Aventures de Leuk-le-Lièvre, dessinées par Georges Lorofi d’après le célèbre conte de Léopold Sédar-Senghor et Abdoulaye Sadji, publié comme livre de lecture scolaire en 1953, manifeste la timidité de ce premier adaptateur qui reprend « la forme donnée aux personnages par le premier illustrateur, Marcel Jeanjean » (page de garde de l’album). Plus originaux, les quatre volumes de Contes et Histoires d’Afrique, parus en 1978 chez le même éditeur, n’ont pas encore la liberté et la finesse graphiques de Ahmed, le fils du charbonnier de Mohamed Bouslah (n° 2 et 3 de la revue algérienne Tarik, 1979). Plus tout à fait un conte, la fable dystopique de George Orwell, Animal Farm, offre au Mauricien Rafik Gulbul la matière d’une adaptation satirique dans Répiblik Zanimo (O.N.E., 1976).

L’entrée du romanesque dans les années 1980

Le conte domine encore la décennie suivante : la collection « Contes et Légendes » offre six albums d’après Zamenga Batukezenga et Charles Djungu Simba aux éditions Saint-Paul en République Démocratique du Congo ; s’y ajoutent deux volumes des Aventures de Petit Piment, adaptés par Jérémie Bindika de contes traditionnels pour les éditions Miénandi (Congo-Brazzaville, 1983), Les Aventures de Simbad le Marin, album d’Aïder (ENAL, Algérie, 1985) et Botity et la flûte magique du Malgache Roddy, publié dans le n° 6 du Cri du Margouillat (Réunion, 1986).

Mais l’adaptation du roman féministe social, La Poupée Ashanti du Camerounais Francis Bebey, par Bertrand Dufossé et le scénariste antillais Serge Saint-Michel, diffusée dans la presse par Ségédo en 1984, retient l’attention de l’UNESCO, malgré l’absence de publication en album. Au même moment, Batukezenga adapte lui-même, en 1982 et 1983, deux de ses romans (Un croco à Luozi et Bandoki) et Sambu Kondi scénarise, en 1985, La Vie de Disasi Makulo, roman socio-historique d’Akambi, tout cela aux éditions Saint-Paul. Alors que celles-ci publient des scènes de la bible en bande dessinée, l’éditeur tunisien Alif édite, en 1989, Si le Coran m’était conté (3 vol., scénario de Youssef Seddik et dessinateurs européens).

Le recul des années 1990

La production baisse dans les années 1990 marquées par la guerre civile algérienne et divers conflits en Afrique Noire : on signalera, en 1990, l’album marocain À grands pas, avec une version d’Aladin, et de courtes adaptations parodiques par les Réunionnais Mad, Huo Chao-Si et Appollo, dans Le Cri du Margouillat, comme Sandryon qui sera repris dans l’album Cases en Tôle (éd. du Centre du Monde, 1999).

Et aujourd’hui ?

Notre siècle voit le retour en force des adaptations signées d’auteurs qui viennent aussi bien du « Sud » que d’Europe, voire du continent américain. Au côté du conte, la nouvelle et le roman se multiplient, y compris dans des genres comme le policier ou la fantasy. L’épopée, la poésie, le théâtre, l’essai historique et critique apparaissent également dans les adaptations.

Conte

Leuk-le-Lièvre est réédité en 2003, puis, en 2008, Afrobulles réunit deux contes traditionnels dans Corne et Ivoire scénarisé par le Centrafricain René Pakondji et dessiné par le Français Ström (alias Fabien Didier).

Nouvelle

La nouvelle est bien représentée grâce au projet « Valeurs communes » des éditions Laï Momo et la publication de leurs cinq albums en 2006, d’après le Djiboutien Abdourahman Waberi, la Française Pascale Fonteneau et les Belges Thomas Gunzig et Carl Norac, tous scénarisés par le Franco-camerounais Christophe Ngalle Edimo et dessinés par les Ivoiriens Chrisany, Faustin Titi, le Camerounais Simon-Pierre Mbumbo et les Congolais Fifi Mukuna et Pat Masioni, le plus célèbre bédéiste africain. S’y ajoutent « Un avant-poste du progrès », d’après Joseph Conrad, par Jean-François Chanson, dessiné par Yannick Deubou Sikoué et « Les Yeux des autres » du Mauricien Umar Timol, adapté par Jason Kibiswa, tous les deux publiés dans le recueil Visions d’Afrique (L’Harmattan, 2010).

Roman

Le roman s’illustre avec Le Vieux Marin du Brésilien Jorge Amado, adapté par Hugues Henri (éd. L’Ibis Rouge, Guyane, 2003) ; la version de L’Odyssée de Mongou de Pierre Sammy Mackoy due à Didier Kassaï, avec la collaboration de Vincent Carrière, aux éditions Les Rapides de Bangui en 2008 ; ou encore, la non moins célèbre autobiographie de Camara Laye, L'Enfant noir, que Camara Anzoumana a adaptée chez Plon/ Esprit Libre Junior (2010).

Le Dingue au bistouri de Yasmina Khadra, adapté par Mohamed Bouslah pour les éditions Lazhari Labter, à Alger en 2005, et La Trilogie noire de Léo Malet (3 vol., Casterman, 2005 à 2007) dessinée par le marocain Youcef Daoudi, sur un scénario de P. Bonifay, font entrer le polar dans la bande dessinée du Sud. De même, Laval N.G. y introduit la fantasy avec des albums inspirés de la Table Ronde (Caliber Comics, Ile Maurice), suivi par le Réunionnais Li-An, sur un scénario de Morvan, dans Le Cycle de Tschaï d’après Jack Vance (8 vol., Delcourt, 2000 à 2008).

Épopée

Dans un graphisme voisin, le Camerounais Biyong Djehouti adapte deux célèbres épopées africaines, Soundjata Keïta, le conquérant (2 vol., éd. Ménaibouc, puis éd. Bès, 2005) et L'Épopée de Chaka (1 vol., éd. Bès, 2005) dont il existait déjà des versions « littéraires » telle Soundjata ou l’Épopée mandingue de Djubril Tamsir Niane (éd. Présence Africaine, 1960) et Chaka de Thomas Mofolo (1925 ; 1re trad. française en 1940).

Poésie

Les rares adaptations poétiques – trois poèmes de Senghor réunis dans Senghor-Cent ans, publié au Burkina-Faso, en 2006 (Atelier de SYA éd.) – sont dues à Sophie Heidi Kam, sur les dessins de Harouna Ouedraogo.

Théâtre

Le théâtre n’est représenté que par le Mahorais Nassur Attoumani adaptant sa propre pièce, Le Turban et la Capote, avec le dessinateur malgache Luc Razakarivony (éd. Coco-Créations, 2000).

Essais

Enfin, on retiendra encore L’Histoire de Maurice racontée à mes petits-enfants, dessinée par le Malgache Pov en 2008 sur le texte de Jean-Claude de L’Estrac, version BD de son récit historique de 1999 ; puis, dans l’album récent Visions d’Afrique (cf. supra), « Terre d’ébène », le célèbre pamphlet d’Albert Londres, dessiné par Pov sur un scénario de Christophe Ngalle Edimo.

Adapter, mais comment ?

Formes éditoriales

En trente-cinq ans, la diversification des genres s’est accompagnée de variations sensibles dans les techniques, d’autant que la présentation matérielle des adaptations est bien différente selon les zones géographiques considérées : les rares albums cartonnés et/ ou en couleurs correspondent aux publications faites en Europe et à la Réunion – économiquement plus aisées que les pays africains –, ainsi qu’au Maghreb où l’État assure une grande partie des frais d’édition ; sinon, la règle est l’album broché en noir et blanc.

Signalons cependant quelques exceptions à cette règle : L’Enfant noir est un album cartonné, en couleurs et sur papier glacé ; Soundjata et Chaka apparaissent sous forme d’albums souples, en couleurs et sur papier glacé, tout comme les albums L’Odyssée de Mongou, Corne et Ivoire et, bien entendu, l’ancêtre, Les Aventures de Leuk-le-lièvre. On constate que ces choix renvoient à l’importance culturelle attachée à ces titres, légendes fondatrices, « best-sellers » et contes les plus célèbres – en quinze ans, on ne compte pas moins de cinq transcriptions pour Le Buffle et l’Éléphant. Quant à la notoriété de Leuk, elle est évidente.

Juxtaposer

Cette œuvre souligne un autre aspect de l’adaptation. Alors que Senghor insistait sur sa volonté de « faire de l’ensemble un vaste drame » (préface de l’édition originale, p. 4) amorcé par un récit liminaire montrant le conteur à l’œuvre, Lorofi entre, ex abrupto, dans les anecdotes qu’il juxtapose sans transition ni aucune rupture graphique : on passe d’une aventure à la suivante en milieu de planche, voire en milieu de strip. Ce procédé de juxtaposition de moments clés de l’œuvre se rencontre aussi dans les poésies de Senghor-Cent ans : si l’adaptatrice ménage la continuité du texte, la dessinatrice, juxtaposant des images sans continuité, offre une « sur-illustration » plutôt qu’une bande dessinée. Un reproche analogue a été adressé à Jason Kibiswa qui, dans un extrait des « Yeux des autres », aurait, sans scénarisation, « choisi des fragments de texte qu’il a illustrés en noir et blanc »1 : mais la rupture de narration n’est-elle pas ici une technique délibérée pour rendre compte des décalages entre les rêveries et la réalité de l’héroïne d’Umar Timol ? La technique de l’extrait est encore choisie par Christophe Ngalle Edimo et Pov face au foisonnement narratif de « Terre d’ébène » mais les deux adaptateurs ont réussi à concentrer dans des images fortes nombre des reproches émis par Albert Londres.

Parodier

La parodie est un autre moyen pour éviter la simple illustration : Li-An et Appollo transposent dans un ilet réunionnais les déboires de Cendrillon/ Sandryon en enrichissant Perrault de traits satiriques contemporains. De même, Ström introduit dans Corne et Ivoire un texte farci de calembours et d’anachronismes. La comparaison des deux versions de « La Légende du chien » qui complètent l’album démontre l’efficacité du procédé : la première fait bien passer la morale mais « La Légende du chien, bêtisier », sur la même trame narrative et avec le même graphisme caricatural, renforce la leçon de son joyeux délire verbal et anachronique. Bien entendu, Répiblik Zanimo, la première bande dessinée mauricienne, sans être une parodie du texte d’Orwell – qui était déjà satirique –, use d’une distance analogue à la fois par l’usage du créole et par la multiplication des clins d’œil à la situation de l’île où Rafik Gulbul dénonce le détournement de la toute nouvelle démocratie indépendante.

Choisir

Nombre d’albums, fidèles à l’esprit de l’original, réussissent à éviter l’écueil de la simple illustration. En particulier, les récits longs (romans, épopées, histoires) obligent les adaptateurs, qui refusent le procédé des extraits, à des efforts de contraction. Biyong Djehouti, dans ses deux épopées, évite le travers de L’Histoire de France en BD (résumé événementiel scandé par quelques images illustratives) en découpant le récit en plusieurs étapes : ainsi le premier volume de Soundjata – à l’exception des premières planches – ne rapporte que « la dernière bataille » (titre du volume), tout comme celui de Chaka se limite aux moments forts de l’enfance du héros.

De même, les adaptations de polars et de fantasy épousent le mouvement global de la narration, se limitant à en évacuer ce qui est anecdotique et, bien entendu, les descriptions auxquelles se substitue le dessin. Il est intéressant de rapprocher L’Odyssée de Mongou de L'Enfant noir qui suivent strictement l’ordre du texte original, d’autant que les deux récits sont chronologiques. Didier Kassaï reproduit même le découpage en chapitres, ce qui lui permet de concentrer chaque épisode autour d’un thème narratif précis et de dégager de l’ensemble le « témoignage d’un colonisé ». De même, la succession des planches de L’Enfant noir révèle les traditions que le héros découvre au jour le jour, les ruptures de la narration graphique correspondant aux intercalations dans le roman de légendes ou de croyances…

Si l’on compare la qualité tant narrative qu’esthétique de la dernière décennie à l’historique Leuk, la distance est frappante : mais plus encore l’évolution qui marque la fonction des adaptations littéraires.

Adapter pour transmettre

La forte présence du conte dans les adaptations en bande dessinée nous oriente vers la traditionnelle fonction de transmission. Mais avec l’évolution des techniques et du choix des modèles, cette notion de transmission s’est différenciée.

De la sagesse des Anciens…

D’abord, l’aptitude du conte à transmettre une sagesse va utiliser la bande dessinée après que le texte a pris le relais de l’oralité, particulièrement en Afrique. L’idée que la sagesse est du côté des Anciens, détenteurs de la tradition et du pouvoir, y est récurrente : ainsi Leuk consulte Oncle Gaïndé, le vieux lion ; Kipenda Roho se mordra les doigts de n’avoir pas suivi les conseils de son grand-père Makinou (in Kipenda Roho, le démon vampire et autres contes, éd. Saint-Paul, 1987) ; l’enfant noir de Camara Laye révère les Anciens, à commencer par son père ; même Le Vieux Marin est construit sur le respect que suscitent, chez ses concitoyens, les récits du héros éponyme. Toutefois, les vieux sages qui n’ont pas écouté l’enfant, dénonçant l’ambition dans L’Échelle de confusion (version africaine de la tour de Babel, in Kipenda Roho, op. cit.), amène cette morale au conteur : « Garde-toi de la témérité et de l’orgueil. Sache aussi que la vérité peut même sortir de la bouche des enfants » (p. 31).

…à une quête de bonheur

D’ailleurs, le pouvoir – détenu par les anciens ou les chefs de village – n’est pas aussi absolu qu’on pourrait le croire : car l’intelligence prime sur la force, qu’elle prenne l’aspect du refus de l’injustice des grands, comme quand Leuk s’aventure chez les hommes, ou de la sagesse du singe l’emportant sur le conseil des sages et vainquant la force brute du buffle et de l’éléphant (Corne et Ivoire). Ainsi s’affiche une société en quête de bonheur et d’équilibre, lesquels passent par l’acceptation de la vie telle qu’elle est, sans s’embarrasser de questions métaphysiques (s’interroger sur le sens de la mort ne conduit le héros qu’à celle-ci. Cf. « Les deux crânes » in Kipenda Roho, op. cit.) ; par la prédominance de la liberté sur les biens matériels (Leuk-le-lièvre refuse les avantages de la vie des lapins… en clapier) et cette lutte pour la liberté est la seule excuse que Soundjata trouve au projet du féroce roi Soumangourou ; par l’harmonie avec la nature et les animaux (donnée récurrente tant des contes que des récits de vie) ; par le souci de tolérance et d’acceptation des autres (« La Légende du chien »). Ce thème moral prend une coloration plus sociale dans les nouvelles de la collection « Valeurs communes ».

Vers la diffusion d’une nouvelle culture sociale ?

Est-on encore dans la transmission d’une sagesse ou bien déjà dans celle d’une culture ? Le lien est très fort entre les deux : la transmission de la culture est d’abord celle de la tradition ; mais elle est aussi conscience de l’évolution de la société.

Une des premières perceptions de cette nouvelle culture sociale apparaît dans La Poupée Ashanti : clairement, le projet de Ségédo, en diffusant dans la presse africaine francophone en 1984 l’adaptation de Dufossé et Saint-Michel, était de transmettre au plus grand nombre le message, trop oblitéré, du Camerounais Francis Bebey, dont le roman, publié treize ans plus tôt, évoquait une société de privilèges médiocres où une injustice ponctuelle mettait en branle une action des femmes, capables de bousculerla tradition.

C’est aussi pour donner plus d’audience à sa pièce, Le Turban et la Capote, que Nassur Attoumani en a proposé une version BD : avec ironie, il dénonce les lourdeurs d’un Islam acceptant difficilement l’évolution de la société mahoraise et particulièrement le nouveau statut des femmes. De même, l’humour en moins, l’ambition de la collection « Valeurs communes », à travers ses adaptations de nouvelles parfois inédites, est de transmettre une information et une réflexion sur le scandale des communautés divisées par des conflits ethniques ou religieux : et la cible est explicitement celle des jeunes lecteurs… Le choix des rares « polars » en BD affiche la volonté des adaptateurs de dénoncer les travers de la société : La Trilogie noire montre la permanence du désespoir social en reprenant trois romans de Malet publiés en 1948-49 et 1969, tandis que l’adaptation du Dingue au bistouri entre dans la réflexion très contemporaine de Yasmina Khadra sur l’Algérie déchirée des années 1990.

Valoriser la littérature

Tout cela vise à une transmission de valeurs, mais la transmission culturelle vise plus classiquement à valoriser les œuvres d’art et particulièrement littéraires. « Le recours à la BD, même si […] il reste onéreux pour la moyenne des bourses algériennes et surtout centrafricaines, permet de toucher un autre public que le public des lecteurs habituels » souligne Christophe Cassiau-Haurie, et même, ajoute-t-il, évoquant L’Odyssée de Mongou et Le Dingue au bistouri, « l’édition de ces albums s’apparente à une valorisation du patrimoine littéraire du continent. »2 Valorisation des œuvres, élargissement du public, ceci vaut pour nombre des titres évoqués, y compris ceux issus du patrimoine international. De la part des adaptateurs et des éditeurs, il y a une volonté de sensibilisation à la littérature qu’exprime un court récit dans Senghor-Cent ans, « Les senghoètes » (p. 21-23) : Nabaloum Art y montre un petit cireur de soulier qui, ayant découvert les livres, la poésie et Senghor, veut faire partager aux autres son émerveillement. Tous ces albums rappellent la démarche de Brassens ou de Ferré mettant les poètes en musique.

Enseigner l’Histoire

Ici, la transmission de culture est aussi transmission de connaissances, peut-être de manière encore plus sensible lorsque le sujet est historique. Ainsi, Biyong Djehouti, dans ses épopées de Soundjata et de Chaka, témoigne du désir de faire prendre conscience à ses contemporains, en Afrique et ailleurs, des racines des royaumes mandingue et bantou. De même, pour inciter ses compatriotes au respect, Jean-Claude de L’Estrac a publié, après les émeutes de 1999 à Maurice, son Histoire de Maurice racontée à mes petits-enfants pour leur apprendre l’histoire de l’île, la diversité de ses ethnies, la force de son mouvement jusqu’à l’indépendance. Pour élargir cette prise de conscience, il réédite son œuvre sous forme de bande dessinée en 2008. D’évidence, la même préoccupation conduit les éditions du Printemps, relayées par L’Harmattan, à publier en 2010-2011 le recueil Visions d’Afrique où les adaptations de la nouvelle de Joseph Conrad, datant de 1899, et du reportage d’Albert Londres, écrit en 1927, dénonçant « cette saignée barbare que notre civilisation opère au cœur de l’Afrique » (p. 36), invitent le public des deux continents à se souvenir ou à prendre connaissance des souffrances du peuple africain.


En conclusion, toutes les évolutions des adaptations en bande dessinée dans l’univers du Sud marquent une appropriation de plus en plus caractéristique de la transmission de ses valeurs, de son patrimoine et qui ne néglige pas pour autant le témoignage sur ses mutations sociétales. Elles montrent aussi les progrès significatifs sur les plans graphiques et éditoriaux des créateurs du Sud et, plus important encore peut-être, la multiplication des échanges et des collaborations entre les créateurs et les éditeurs du Sud et des autres continents.

Notes et références

1. Voir « Des bédéistes africains illustrent la littérature engagée », in Africultures, source Le Mauricien.com, 02.2011.

2. « BD et littérature, l’Afrique aussi… », in BDZOOM.com, juin 2010.


Pour aller plus loin

Jacques Tramson est Maître de Conférences honoraire en Littérature générale et Comparée à l'Université Paris XIII. Spécialiste des paralittératures, il a soutenu une thèse sur la bande dessinée, sous la direction de Jean Perrot.