Séverin Cécile Abega

Entre nouvelles et contes pour la jeunesse, une leçon d’humilité

Marie-Rose Abomo-Maurin, Centre de Recherche Pluridisciplinaire de Yaoundé (CERPY) Chercheure affiliée au LLACAN (Langue, langage et Culture d’Afrique Noire)/CNRS
Mosaïque des couvertures des livres pour la jeunesse de Séverin Cécile Abega

 

Séverin Cécile Abega, à la fois romancier, nouvelliste, dramaturge et anthropologue camerounais, décédé prématurément en 2008, laisse derrière lui une œuvre pour la jeunesse peu abondante – cinq ouvrages publiés entre 1980 et 2003 – mais particulièrement pertinente. Rien d’étonnant à cela puisque cette littérature commençait juste à se développer au Cameroun.

Entre nouvelles et contes, ses deux genres de prédilection, Séverin Cécile Abega prône l’humilité tout en posant un regard acéré et clairvoyant sur la société. Il est question dans ce travail de revenir sur ces cinq recueils en analysant les thèmes sur lesquels se construit son engagement littéraire et social en faveur de la jeunesse camerounaise, et par-delà le monde, de l’enfance maltraitée.

Une leçon de littérature

« Mon amour pour la littérature est né au flanc de ma grand-mère. Femme des temps anciens, ma grand-mère refusait de dormir sous une couverture. Elle ne fermait les yeux que devant un bon feu. Et le feu, aujourd’hui encore, c’est dans la case des femmes […], c’est là que dormait ma grand-mère, sur un lit de stipes de raphia, entretenant le feu toute la nuit. Et ce jour-là, nous abandonnions la grande maison à mon père et à ma mère, et nous allions tous nous coucher avec Grand-Mère, nous serrant et nous disputant pour nous coucher tous sur le même lit qu’elle. Mon père a interdit que l’on donne le nombre de ses enfants, mais à cette époque-là, nous étions déjà bien nombreux à partager ce lit. C’était un lit merveilleux, car ce qui s’y déroulait était unique au monde.

En effet, quand nous étions couchés […], elle nous récitait des contes. Elle était vraiment vieille, et parler l’essoufflait. Après une ou deux phrases, elle se taisait, et on avait l’impression que sa respiration se coupait. Au bout d’un moment, elle laissait échapper un long souffle qui s’en allait en sifflant, et reprenait le fil du récit. Ah ! Le suspense de cet interminable moment. Nous étions tous silencieux, attendant qu’elle reprenne le fil de l’histoire. Ce n’était pas seulement l’histoire de la tortue ou de la panthère, du potamochère si sot ou de sa femme si sage, de la petite orpheline ou de l’ogre Emomoto1. C’était aussi une classe de chant, car il y avait de nombreuses chantefables. Nantis de ce bagage, nous allions à notre tour raconter aux autres lors des veillées ou quand elle n’était pas là. Il faut dire que les veillées que j’ai connues étaient en fait des compétitions dans tous les sens du terme. Elles ont disparu très vite à cause de l’école qui occupa désormais toutes les soirées des enfants du village, et je suppose qu’il en fut de mon village comme de tous les autres dans les environs, et même du pays Beti, mais aussi à cause des tensions qui divisèrent à partir d’un moment donné nos parents […]. Il n’y a pas eu que ma grand-mère. Quand elle n’était pas là, ma mère racontait, et souvent aussi, ma grande sœur. Elles ne l’ont pas fait aussi régulièrement que Grand-Mère, mais elles étaient assez remarquables […]. Ma grand-mère est morte quand j’avais dix ans, mais je peux encore réciter ce qu’elle nous a raconté, et chanter les comptines de ses chantefables. Ce fut ma première vraie leçon de littérature, et je crois que c’est là que le moule de l’écrivain s’est creusé : je suis resté d’abord et avant tout un narrateur » (Patrimoine, mai 2006).

Il semblait indispensable, avant de présenter l’œuvre pour la jeunesse de Séverin Cécile Abega, de replacer l’enfance de l’auteur dans ce contexte familial fait d’amour, de douceur et de confiance, propice à cet art de conter qui ravit les jeunes et les adultes. L’émotion du jeune Abega écoutant sa grand-mère est grande, autant que l’attente de nouvelles rencontres avec cette grand-mère qui vit dans un village éloigné et ne monte en ville que de temps en temps pour voir ses enfants et petits-enfants.
Par ailleurs, Séverin Cécile Abega est né dans une société de seigneurs, les Beti2. Cette noblesse non seulement s’appuie sur une société de classes d’âge, mais aussi sur des prises de décisions collégiales qui renforcent l’égalité entre les membres d’une même classe d’âge – même s’il revient, par la suite, au plus âgé du groupe de porter en public la décision adoptée3. Séverin Cécile Abega reste attaché à cet idéal absolu de l’égalité entre hommes qui explique bien son attachement à défendre, dans ses livres, l’humble et l’enfance maltraitée.

Des recueils de nouvelles engagées

L'apologie de l'humilité

Le premier recueil de nouvelles pour la jeunesse publié par Séverin Cécile Abega en 1980, Les Bimanes, met en scène des hommes et des femmes dans des contextes très précis. La signification du mot « bimanes » renvoie à l’idée d’un être qui a deux mains et qui sait s’en servir pour sortir de la misère. Tel est en effet le cas des personnages principaux mis en avant par Abega. Ces hommes et femmes forment la classe des laissés-pour-compte ; ils ne vivent que du labeur de leurs mains. Ainsi, dans « Le Fardeau », le vieux Tchakarias qui se ruine la santé dans des travaux durs et ingrats refuse pourtant les cadeaux du grand fonctionnaire de la ville épris de sa fille. « Dans la forêt », Abombo, la jeune fille aux lunettes, récemment sortie de l’école polytechnique, l’une des grandes écoles qui forment des ingénieurs, prépare la terre pour les murs de la cuisine de sa mère et met en échec la vanité d’un jeune homme, un nouveau bachelier. Pour ce dernier, le travail de la terre n’est que dégradant, la vie rurale impensable et le village, un espace qui ne peut abriter que des ignorants. « La Petite Vendeuse de beignets », une version camerounaise de « La Petite Marchande d’allumettes » d’Andersen, présente une fille obligée de vendre des beignets au bord de la route, le soir, pour subvenir aux besoins de sa famille. Ou encore, dans « Le Savon », Mbah, l’écumeur de poubelles, transforme et revend les matériaux récupérés dans les tas d’immondices. Après le travail, il récure son corps et, une fois propre, essaye d’apprendre à lire et à écrire. Enfant maltraité dans sa jeunesse, il a réussi à renverser la situation. Tous ces personnages vivent du travail manuel et gagnent leur vie à la sueur de leur front.

L’admiration de l’auteur pour ces petites gens n’a pas de limites, et ce d’autant plus que leur soif d’étudier, de savoir, de maîtriser la langue pour se faire comprendre est réelle. Ces derniers éléments constituent d’ailleurs des thématiques incontournables de l’œuvre de Séverin Cécile Abega. Dans « Un étranger de passage », Ahanda, après quelques études, devient chef de village. La science, tremplin de son instruction, l’oppose aux villageois qui ne peuvent se résoudre à se passer de l’alcool. Il doit user d’astuces et de stratégie pour amener ses administrés à consentir à une nouvelle façon de vivre. Dans la nouvelle « Au ministère du soya », quartier dont la spécialité est la vente de viandes grillées, Garba, ressortissant du Nord du Cameroun, se coupe le bras alors qu’il taillade sa viande. À l’hôpital, les infirmiers refusent de le soigner. Il essaie de protester dans un français approximatif mais personne ne veut l’entendre. Un jour, ces infirmiers, voulant faire plaisir à leur chef en lui offrant de la viande grillée, l’amènent dans le quartier de Garba. On refuse de les servir : c’est la vengeance du pauvre et la mise à nu de la corruption qui mine ce pays où l’on ne soigne que les nantis.

Chez Abega, la nouvelle prend des allures de conte philosophique, plaisant, drôle parfois, ironique à d’autres moments, et la morale qui en découle apparaît de manière explicite. Qu’il s’agisse des gens des villages ou des petites gens des villes, ils marquent le lecteur par cette volonté tenace de bien faire ce qu’ils ont à faire. Ils ignorent ceux pour qui ils ne comptent pas. Contrairement aux intellectuels, toujours prétentieux, aux fonctionnaires de l’État pétris de suffisance, arrogants et sûrs de leur réussite sociale, jusqu’au jour de la chute, les « humbles » incarnent les valeurs positives, non pas uniquement celle du travail qui fait vivre, mais également celles de la probité et de la simplicité. C’est leur grandeur d’âme que l’auteur donne à louer et à respecter.

Comprendre le monde

Le deuxième recueil de nouvelles de Séverin Cécile Abega, publié en 1986, intrigue par son titre, quelque peu énigmatique : Entre ciel et terre rend compte d’une situation, celle de l’inadéquation entre le rêve, la chimère, le fantasme et la réalité du vécu. Ce recueil, qui compte six histoires, s’ouvre sur la nouvelle « La Papaye »4, déjà publiée précédemment. Ce premier récit montre deux réalités opposées : celle de l’univers rural où l’on peut cueillir une papaye dans n’importe quel champ, parce que cette plante est un cadeau de la providence ; et celle de la ville où la propriété privée est soumise à une législation sévère. Perché sur le papayer, Abanda apprendra à ne plus confondre les espaces. Le message d’Abega ne comporte aucune ambiguïté : il est nécessaire d’intégrer et de savoir décrypter les codes de la société dans laquelle on vit. C’est d’ailleurs le fil conducteur qui tisse les nouvelles entre elles. La dernière nouvelle, « Medoua »5, conte l’histoire de Beyeme, dit « le Londonien », revenu d’Europe et totalement inadapté aux réalités locales. Sa prétention, qui l’amène à refuser le repas qu’on lui présente, l’obligera pourtant à voler les dés de manioc qu’il méprisait, une fois tenaillé par la faim. Voulant échapper aux regards des paysans, il se fera prendre à un piège destiné au gros gibier. On le retrouvera suspendu au gibet. Abega reprend ainsi, dans une version moderne, un des contes du cycle de la belle-mère et du gendre : les lois et les usages qui régissent les rapports entre ces deux êtres sont tels que l’un et l’autre doivent chercher à garder leur dignité à tout moment. Une incartade condamne le fautif à la disgrâce.

Quant aux autres nouvelles du recueil, elles relèvent d’une observation sans complaisance de la société. La nouvelle « Fils de ma mère » se lit comme une double satire : non seulement ce récit met en évidence les abus de la parenté et le parasitisme qui en découle, mais il attire également l’attention sur les aléas de la vie et sur leurs conséquences. « Raz de marée », c’est ainsi qu’on peut qualifier la situation de Jean pris d’un malaise après avoir volé et bu le vin de messe. Il est ainsi, après les catéchistes coupables de la même faute, puni pour ce forfait qui, pour autant, ne lui a pas fait passer l’envie de boire. Quant à la nouvelle « Docteur », elle est une satire du charlatanisme et du mensonge.

Entre terre et ciel cultive les décalages : les personnages semblent vivre « entre deux », confirmant ainsi leur inadaptation à leur monde. Il peut s’agir d’une simple naïveté, d’une confiance aveugle que le monde et les hommes sont partout les mêmes, mais souvent ce sont la vanité et la prétention qui déclenchent le ridicule. Le monde apparaît alors comme incertain, fluctuant, insaisissable, échappant à toute logique. Le personnage est puni parce qu’il n’a pas su s’adapter, parce qu’il a confondu deux univers, parce qu’il s’est laissé emporter par une trop grande confiance en son intelligence. Or, l’intelligence ne sauve pas toujours de la bêtise ni du ridicule.

La nouvelle est généralement considérée comme une forme brève de la narration réaliste, c’est-à-dire un « récit de choses vraies ». Rien d’étonnant dès lors que les récits contenus dans les deux recueils ci-dessus cités reflètent la vie dans les villages et en ville. Ils rendent compte des comportements humains et mettent en évidence ces maux qui minent la société camerounaise. Quant au conte, il est vu comme un « récit de choses inventées », mais dont la morale apparaît pourtant de manière évidente. Les personnages rencontrés dans les nouvelles d’Abega diffèrent-ils tout à fait de ceux de ces contes qu’il emprunte tantôt à sa grand-mère, tantôt à d’autres sources ? Qu’est-ce qui caractérise les personnages de cet autre genre court qu’est le conte ?

Des contes aux personnages hautement symboliques

Les contes d’Abega cultivent la cohabitation entre les hommes et les animaux, dont les comportements sont totalement similaires. Les contes sont ainsi peuplés d’animaux de toutes sortes, surtout ceux qu’on retrouve dans la zone de la forêt équatoriale. De la fourmi à l’éléphant, toutes les espèces sont représentées. La perdrix apparaît, comme la tortue, pleine d’intelligence et de ressources. Elle est présentée à plusieurs reprises comme la reine, celle qui décide de tout. Aux antipodes de cette intelligence, on rencontrera Beme, le cochon, que nous analyserons en détail plus loin. La litanie de ses exploits malheureux occupe tout un livre, Contes du Sud du Cameroun : Beme et le fétiche de son père, et reflète la vanité, l’envie et les autres défauts des humains. Autre animal d’importance sur lequel nous reviendrons : le chimpanzé qui apparaît dans les recueils la Hache du chimpanzé et Jankina et autres contes pygmées. Abega donne à découvrir le monde et le fonctionnement de ces primates si proches des hommes.
Mais d’autres présences se manifestent dans les contes d’Abega : Emomoto apparaît à plusieurs reprises. Cette « chose » à la forme animale est capable d’avaler tout un pays, habitants et bâtiments compris. Par moments, Abega parle d’un « ogre ». On retrouve un autre phénomène dans ces récits, celui de la bête à plusieurs têtes qui, en dépit de toutes ses têtes, est toujours aussi stupide.

Au miroir des chimpanzés

Le conte de La Hache du chimpanzé, publié en 2000, narre les mésaventures et pérégrinations de Mbia, décidé à récupérer sa hache volée par les chimpanzés, après que ceux-ci l’ont battu. Ce conte, qui permet une incursion dans l’univers des habitants de la forêt, peut être lu comme un récit initiatique. Mbia, en partant à la recherche de sa hache, se lance également dans une quête dont le parcours ressemble à une longue enquête jalonnée d’épreuves. Si les chimpanzés sont ses adversaires, l’homme rencontre cependant sur sa route des adjuvants qui vont l’aider dans sa mission. La volonté d’Abega de montrer qu’on ne réussit une mission qu’à force de contrôle de soi et d’écoute des conseils s’inscrit ici dans la logique même du conte initiatique. On réussit parce qu’on a été humble, parce qu’on a été plus rusé, parce qu’on a su respecter l’ordre établi du monde dans lequel on vit. Un homme, dans l’univers des animaux, ne peut réussir que s’il se laisse traiter comme les animaux, s’il épouse leur façon de faire. Mais s’il s’écarte de ces prérogatives, il met sa vie en danger. Enfin, ce conte relève du merveilleux : les chimpanzés ne sont pas que des animaux, ils forment un monde parallèle à celui des hommes ; ils constituent l’univers des ancêtres, de ceux qui sont morts. On peut voir dans ce conte une invitation au respect des animaux.

Il est courant de rapprocher Jankina et autres contes pygmées (2003) du recueil La Hache des chimpanzés. Des onze contes qui structurent l’ouvrage, « Jankina », conte qui donne son nom au recueil et qui signifie « le souffre-douleur », raconte en cinq chapitres les mésaventures de l’épouse de Fam partie à la recherche de son fils enlevé par les chimpanzés. À l’instar de La Hache des chimpanzés, c’est la quête initiatique qui prévaut, avec au terme du parcours, la qualification de l’initié qui réussit à tromper les ravisseurs de son enfant. Pourtant, en dépit de l’issue heureuse de ces deux contes, se pose la question du jankina, cet être considéré par tous comme un bouc émissaire et devant répondre, en termes de maltraitance, des malheurs et des problèmes des autres. C’est justement cet état de fait que le conteur et moraliste Abega cherche à combattre. La situation du jankina est des plus injustes, des plus inacceptables, une situation qui rappelle celle de l’orphelin dans les contes du cycle de l’orphelin. Le jankina, c’est la figure même de celui qui n’est pas protégé, rejeté de tous : une image insupportable pour Abega qui reste le fil conducteur de son combat à travers ses nouvelles et ses contes. Ceux-ci sont autant de textes qui invitent à la ruse, à la perspicacité, à l’observation et à la retenue. Chaque morale est également un conseil.

Beme ou la bêtise du cochon

Ce recueil de contes6 pourrait aussi bien s’intituler « Le Cycle de Beme » car les exploits malheureux de Beme se déploient sur près de quarante-sept contes, empruntés à tout le groupe pahouin – à savoir les Fang, les Boulou, les Beti et leurs voisins – dont l’homogénéité linguistique rappelle des pratiques, des usages et une culture similaires. L’ouvrage s’ouvre sur une introduction d’une trentaine de pages, « Beme et son corps », et se clôt sur la postface de Jacques Fédry, « Beme, mon semblable, mon frère », titre qui laisse suggérer combien le comportement souvent étrange de cet être est proche de celui des humains.

Car Beme n’est pas un personnage anodin. Il appartient d’abord à la famille des porcs, des cochons, et à ce titre, non seulement il est éternellement affamé et mange de tout, mais il est également jaloux et égoïste. Beme ne sait pas partager. D’où cette revendication qui est l’invariant des contes : « c’est donc toi qui as volé l’héritage que m’a laissé feu mon père ! Je te retrouve enfin ! Donne-moi ce nez tout de suite ! Je le reconnaîtrais entre mille » (p. 66)7. En effet, Beme part du principe que tout ce qui existe sur Terre lui a été légué par son père. Se voulant possesseur universel, il cherche à déposséder ceux qui l’entourent et à devenir le seul maître du monde. Par ailleurs, piètre imitateur, Beme veut faire comme tout le monde, mais n’y réussit jamais car il cherche à imiter l’inimitable, comme lorsqu’il tente, tel un perroquet, de se tenir sur une patte et entreprend pour cela de couper son pied (p. 37), exploit qu’il réitère dans « Beme et l’infirme » (p. 38-42). Cette gloutonnerie viscérale, inhérente au personnage, et cette maladie de l’imitation revêtent bien des aspects qui ne trompent pourtant pas. Et lorsque Jacques Fédry affirme « Qui est donc ce Beme, glouton, jaloux et égoïste ? Personne d’autre que nous-mêmes » (p. 217), les contes d’Abega, dans cette écriture alerte et croustillante, plaisante et drôle, renvoient le lecteur au projet des moralistes : instruire et plaire. Si le thème et la structure linéaire des textes sont constants d’un conte à l’autre, la variation vient de la multiplicité des vis-à-vis de Beme qui présentent chacun une particularité  à laquelle le personnage doit s’affronter. La succession des contes s’organise en une construction hyperbolique, grâce à laquelle l’homme doit atteindre la sagesse, en se confrontant aux maladresses de Beme qui jamais ne changera.

 

Des recueils de nouvelles aux recueils de contes, malgré le passage d’une veine réaliste à une écriture du merveilleux, les personnages et leurs motivations comptent de nombreuses ressemblances. Présents aussi bien dans les nouvelles que dans les contes, peu de choses distinguent les hommes des animaux, surtout au niveau des comportements. La vanité de l’intellectuel, du riche ou d’un infirmier n’a d’égale que celle d’un Beme. Abega confère plus de sagesse, d’abnégation et d’humilité à l’homme de la campagne qu’à celui qui n’a rien en ville. Le culte de la vertu revient aux petites gens qui savent ce que valent le travail et la souffrance. Chacun des récits que nous livre Abega se construit comme un apologue qui invite les hommes à davantage d’humilité et de discrétion, reprenant à leur manière cette conclusion de La Fontaine dans la fable « Le Grillon » : « pour vivre heureux, vivons caché ».

Notes et références

1- Déformation de mot qui signifie humain.

2- « Beti » est le pluriel de « nti », c’est-à-dire « seigneur », « noble ».

3- Toutefois, cette égalité ne concerne pas les rapports entre les Beti et les autres groupes avec lesquels ils se livraient des batailles. Les prisonniers de guerre étaient toujours durement traités.

4- Troisième prix du cinquième concours de la meilleure nouvelle de langue française.

5- C’est ainsi qu’on nomme, chez les Fang-Boublou-Beti, les dés de manioc cuits et rouis dans la rivière pendant quelques jours avant leur consommation.

6- Contes du Sud du Cameroun : Beme et le fétiche de son père

7- Quelques autres exemples : « N’est-ce pas là le fardeau que mon père m’avait laissé en héritage ? N’est-ce pas celui-là ? » (p. 76) ; « C’est donc toi qui es venu me dérober ma chose que mes grands-parents m’avaient léguée ! Je ne partirai d’ici aujourd’hui qu’après avoir repris mon héritage » (p. 90).


Pour aller plus loin

Biographie

Séverin Cécile Abega naît à Saa, non loin de la capitale Yaoundé, au Cameroun, le 22 novembre 1955. C’est dans cette ville qu’il commence ses études primaires et qu’il les continue au Collège Bullier. Il quitte ensuite le centre du pays pour le littoral et entre au lycée de Nkongsamba en 1971. De retour à Yaoundé pour ses études universitaires à la Faculté des lettres et sciences humaines, il obtient un Doctorat d’État en anthropologie qu’il termine en France en 1992. Par la suite, il occupe plusieurs postes à responsabilité, étant en même temps enseignant et chercheur. Marié et père de quatre enfants, Séverin Cécile Abega meurt le 24 mars 2008, à l’âge de 52 ans.

Œuvre pour la jeunesse de Séverin Cécile Abega

La Papaye, Paris, RFI-Hatier-Larousse-Edicef, 1980.
Les Bimanes
,
nouvelles, Paris, Nea-Edicef-Schöningh, 1982. Réédition en 2001 dans la collection « Afrique en poche, junior » (NEA-Edicef).
Entre terre et ciel
, Paris, Nea-Edicef, 1986. Réédition en 2010 dans la collection « Afrique en poche » (NEA-Edicef).
La Hache des chimpanzés
, conte, Yaoundé, Éditions Clé, 2000.
Contes du Sud du Cameroun ; Beme et le fétiche de son père, Paris, Unesco-Karthala, coll. Contes et légendes, 2002.
Jankina et autres contes Pygmées, Paris, Les Classiques africains, coll. Contes et légendes d’Afrique, 2003.

Autobiographie : Séverin Cécile Abega par lui-même dans la revue littéraire Patrimoine, mai 2006

Bibliographie

Abomo-Maurin, M.-R., « Séverin-Cécile Abega, humaniste engagé, patriote révolté », in Découvertes : 20 auteurs du Sud, Cultures Sud, Notre Librairie, revue des littératures d’Afrique, des Caraïbes et de l’océan Indien, n° 170, septembre 2008, p. 21-26.

Andersen, H. Ch., Contes, Paris, Edition du Chêne, 2005.

Binam Bikoï, Ch. et Soundjock, E., Les Contes du Cameroun, Yaoundé, CEPER, 1984, (2e édition corrigée et augmentée).

Bettelheim, B., Psychanalyse des contes de fées, Paris, Pocket, 1999.

Blin, J.-P., L’Art du conte et de la nouvelle en France de 1938 à 1975, thèse dactylographiée de Doctorat d’État, Université de Lyon II, 1980.

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Deloffre, F., La Nouvelle en France à l’âge classique, Paris, Didier, 1967.

Etiemble, R., « Problématique de la nouvelle », in Essais de littérature (vraiment) générale, Paris, Gallimard, 1975, p. 220-236.

Fonyi, A., « Nouvelle, subjectivité, structure. Un chapitre de l’histoire de la théorie de la nouvelle et une tentative de description structurale », in Revue de littérature comparée, vol. 50, n° 4, oct.-déc. 1976, « Problématique de la nouvelle », p. 355-375.

Frères Grimm, Les Contes pour les enfants et la maison des frères Grimm, trad. Natacha Rimasson-Fertin, José Corti, 2009.

Godenne, R., La Nouvelle française, Paris, P.U.F., coll. SUP, 1974.

Görög-Karady, V., L’Enfant dans les contes africains, CILF, coll. Textes et civilisations, 1988.

Paulme, D., La Mère dévorante. Essai sur la morphologie des contes africains, Paris, Gallimard, 1976.


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