Wameed, un projet qui donne une voix à ceux que l’on réduit au mot de “réfugiés”

La rencontre du hip-hop et de l’action en faveur des réfugiés

Par Rémy Dahi, fondateur de Wameed
Photographie de Rémy Dahi

Tout a commencé début 2016, lors de ma rencontre avec Tarafa Sahloul. Franco-syrien comme moi, il est présent dans le rap depuis plus de quinze ans. Ensemble, nous souhaitions nous impliquer à notre manière dans le sort de notre peuple. Tarafa avait été à l’initiative du projet Amal, un album instrumental enregistré par les meilleurs compositeurs hip-hop français ; toutes les recettes de cet album avaient été reversées à l’association syrienne A Syrian Dream, qui déploie des programmes éducatifs auprès des jeunes réfugiés syriens en Turquie.

Cette fois, je lui ai proposé d’aller plus loin : permettre à des réfugiés de produire et d’enregistrer eux-mêmes un album complet de musique hip-hop.

C’est alors qu’est intervenue une rencontre décisive : celle de Jérémy Lachal, directeur général de l’ONG Bibliothèques Sans Frontières. Depuis plusieurs années, BSF a construit une présence au Moyen-Orient à travers le déploiement de l’Ideas Box, une médiathèque en kit qui contient des ressources culturelles aux formats physique et numérique et qui permet l’accès à la culture de publics en grande vulnérabilité. Lorsque je lui ai présenté ce projet, il a tout de suite été séduit car nous nous sommes retrouvés sur une vision commune : la création artistique comme moyen de se construire.

Wameed, « étincelle » en arabe, était né, comme l’étincelle que nous voulons voir dans les yeux des participants, par le processus de création artistique.

Le premier épisode : Amman, Jordanie

Une expérimentation directement inspirée du contexte local

Très vite, nous avons choisi de réaliser la première expérimentation avec BSF à Amman, dans le quartier d’Hashmi Shamali, quartier défavorisé qui accueille un grand nombre de réfugiés irakiens et syriens. C’est dans ce cadre que BSF a déployé une Ideas Box, dans un centre communautaire administré par Care : ce centre, qui propose plusieurs services sociaux et culturels, est donc un carrefour de passage important pour tous les habitants de ce quartier, qu’ils soient adultes ou enfants.

Pour la plupart, ces familles habitent Amman depuis quelques années ; leur dynamique est celle de la construction. Se faire une place dans un nouveau pays qui partage la même langue, mais où l’on n’est pas accueilli à bras ouverts par toute la population. Se faire une place dans un environnement où l’on est ramené systématiquement à son statut de réfugié. Se construire une individualité lorsque toute sa vie semble promise à un lot de démarches et de demandes d’aides en tous genres.

C’est dans ce contexte que nous avons réalisé une visite de repérage au mois d’août 2016 : une visite du centre communautaire, une rencontre avec les accompagnateurs et avec un groupe d’adolescents qui fréquentent régulièrement ce lieu.

Cette étape importante nous a permis d’affiner notre dispositif. Autour des possibilités offertes par le centre et l’Ideas Box, nous avons imaginé comment travailleraient les participants. Le premier groupe serait chargé d’écrire les textes des chansons ; le deuxième d’en composer la musique ; le troisième enfin tournerait les clips vidéos qui donneraient encore plus de vie au projet. La complémentarité de ces trois volets amènerait une dynamique entre tous les participants, tout en permettant à chacun de se concentrer sur une seule mission.

Notre défi était de trouver les personnes capables de former des adolescents à la production artistique sur ces trois disciplines. Notre réseau en France permettait de mobiliser des artistes français, mais pour ancrer le projet localement, nous avons également cherché des rappeurs locaux. Ainsi, l’équipe de « coachs » ou formateurs s’est constituée de six personnes, trois Jordaniens et trois Français.

Après l’achat du matériel nécessaire pour compléter les éléments inclus dans l’Ideas Box, tout était prêt pour mettre en place le projet pendant les vacances scolaires en Jordanie, fin janvier.

Sur le terrain, deux semaines intensives riches en création et en émotions

Entre le 22 janvier et le 2 février 2017, ce sont au total 56 jeunes qui ont participé au projet Wameed. Garçons et filles, à parité, ont choisi leur groupe de prédilection et se sont ainsi embarqués dans l’aventure et ont été pris en charge par leurs formateurs.

Petit à petit, les participants devaient saisir les enjeux de la production artistique dans leur discipline et aboutir à un résultat concret.

Dans l’atelier chargé des textes, les jeunes ont été formés à trouver des rimes, à travailler le rythme de leurs phrases, et ainsi à raconter leurs histoires de manière percutante. Le rap s’appuie sur des textes scandés sur un rythme que chacun doit trouver. Apprendre à écouter la musique pour caler son texte et trouver son intonation était le défi des participants. Ceci leur a permis d’être capables d’enregistrer leurs textes dans le studio mis en place dans le centre.

Du côté du groupe de compositeurs, la base est le rythme imposé par les percussions. À partir de l’écoute de morceaux hip-hop ou de musique orientale, les adolescents ont appris à identifier les percussions, les instruments utilisés. Puis un élément fondamental de la production hip-hop a été intégré : le « sampling », ou utilisation de pistes musicales issues d’autres chansons qui sont découpées et réarrangées de manière originale. Ces deux éléments sont utilisés pour réaliser la composition sur ordinateur. Après avoir été formés à un logiciel professionnel, les participants ont pu produire les compositions sur lesquelles les apprentis rappeurs ont posé leurs textes.

Quant aux vidéastes, leur formation a couvert la compréhension des différents types de plans, le lien entre images et musique et les techniques permettant de raconter une histoire sans dialogue. À partir de plusieurs exercices, ils ont travaillé la mise en scène et les techniques de tournage pour réussir à réaliser les clips des chansons.

Sur le fond, les participants des différents ateliers nous ont surpris. Si quelques uns ont traité de la guerre en Syrie, de ses conséquences sur leur vie, d’autres ont choisi des thématiques plus inattendues : l’amour, l’amitié, l’égalité hommes-femmes.

Les discussions ont mis à jour ce qui les animait : se décrire soi-même, être capable de délimiter leur individualité ou leur appartenance à un groupe. En somme, le processus de construction propre à la période de l’adolescence.

À aucun moment nous ne leur avons parlé de leur statut de réfugié, à aucun moment nous ne nous sommes apitoyés sur leur sort ou nous leur avons demandé de nous raconter leur histoire. Certains ont choisi de parler de leur passé, d’autres non. Surtout, le centre d’Hasmi Shamali a connu un déferlement d’énergie, de créativité et de joie rare. Tous se sont pris au jeu, ont saisi cet espace de liberté et l’outil de la culture hip-hop mis à leur disposition.

Le 2 février 2017, ce travail s'est clos par une représentation à l’Institut français d’Amman. Pour l’anecdote, nous avons appris que les participants et leurs familles n’avaient jamais entendu parler de Jabal Webdeh, le quartier branché où est situé ce haut lieu de la culture française. Accompagnés de leurs proches, ils ont pu découvrir le produit de leur travail et célébrer ensemble ces moments passés.

L’étincelle va continuer à briller

Actuellement, l’équipe de formateurs français travaille en collaboration avec ses homologues jordaniens pour finaliser le projet : peaufiner les sonorités des chansons, concevoir la pochette, monter les clips, etc.

Ces étapes sont nécessaires pour distribuer les chansons et les clips en numérique et sous format vinyle. Nous préparons donc la sortie officielle de toutes ces productions, ce qui permettra de montrer au grand public ce que ces adolescents ont été capables de produire en deux semaines.

Par ailleurs, l’ensemble du projet va faire l’objet d’un documentaire, dont voici les premières images.

Après le succès de cette première édition, financée par BSF, plusieurs partenaires nous ont contactés pour réaliser le même type d’ateliers dans d’autres lieux : en Jordanie, au Liban, en Grèce et en France. Pour parvenir à réitérer l’expérience, nous avons lancé une campagne de financement participatif à laquelle chacun peut participer et obtenir le vinyle du premier épisode. Par ailleurs, nous recherchons actuellement des partenaires institutionnels prêt à nous soutenir à plus long terme, sur une série d’ateliers.

Nous avons hâte de continuer à faire briller l’étincelle.

Pour aller plus loin

Rémy Dahi

Après une formation d’ingénieur, Rémy Dahi a exercé pendant six ans le métier de consultant en organisation. Puis, il a rejoint un organisme d’accompagnement scolaire en tant que responsable marketing et contenus ; en parallèle, il a lancé le projet Wameed.


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