Histoire des tirailleurs sénégalais
Juillet 1914 en France : Jaurès est assassiné. La guerre paraît inéluctable et devrait être courte. La mobilisation générale est déclarée en août. Ce même été dans un village du Sénégal, le jeune Yacouba Ndaw, orphelin et brave, entend les dernières visions du griot. Visions de mort et de sang, d’une pluie de métal s’abattant sur des hommes blancs et noirs. Ainsi s’ouvre ce documentaire engagé, très complet et abordable, qui rend justice à l’histoire méconnue de milliers d’hommes qui, de 1897 jusqu’au début des années 60, seront constitués progressivement en bataillons dans la plupart des régions de l’empire colonial français. Ces hommes sont des «Indigènes » et vont payer « l’impôt du sang ». Si la mémoire collective a retenu la dénomination de « tirailleurs sénégalais » auxquels ce livre s’intéresse particulièrement, ils peuvent être autres que sénégalais ; en effet, le temps a effacé la diversité des origines, des ethnies, des langues… La fiction en bande dessinée (qui a ici pour cadre le conflit de 14-18), découpée en chapitres, bien ancrée au départ dans la culture d’un village sénégalais, donne vraiment chair à l’histoire de ces groupes humains jetés malgré eux dans les épopées tragiques loin de leur pays d’origine. Un nouveau monde qui leur est totalement étranger, où ils vont vivre collectivement des événements terrifiants en étant confrontés à de nouveaux systèmes de valeur. Les images sont très fortes (plans rapprochés ou plus larges), dans des tonalités sombres, orangées, violettes, accordées à la violence du conflit. Elles traduisent l’indicible d’une rupture entre un monde ancien traditionnel et la démesure inouïe du conflit. Guidées par un regard humaniste, elles savent évoquer l’engagement au combat et la bravoure, la rudesse des tranchées et la mort omniprésente, autant que le racisme, la camaraderie, le rapport à la hiérarchie militaire et aussi la confrontation avec ses semblables du camp d’en face. De nombreuses pages documentaires très instructives émaillent le récit avec cartes, photos, repères historiques, chiffres. Elles livrent une foule d’informations et élargissent aussi le champ de l’histoire des seuls tirailleurs sénégalais aux Chinois engagés dans la guerre de 14-18, aux bataillons algériens, tunisiens ou marocains... Le mémorial musulman de Douaumont en est une autre expression. Le devoir de mémoire est ainsi accompli avec justice.
ML