Naviguer entre les langues, écrire
Entretien avec Fouad Laroui, auteur
Fouad Laroui navigue entre l’arabe dialectal marocain, le français, l’anglais et le néerlandais… Dans son essai Le Drame linguistique marocain, il cerne les enjeux linguistiques au Maroc, entre l’arabe classique, l’arabe dialectal, le tamazight, le français… et milite pour la reconnaissance de l’arabe dialectal marocain comme langue à part entière. Pourtant, sa langue d’écriture reste le français. Rencontre.
Vos deux livres pour enfants publiés au Maroc aux éditions Yomad, La Meilleure façon d’attraper les choses (2001) et L’Eucalyptus de Noël (2007), ont été écrits en français. Avez-vous envisagé l’éventualité d’écrire en darija (arabe dialectal) quand vous vous adressez aux jeunes lecteurs marocains ? Quels seraient les enjeux d’une telle initiative ?
Non, je n’ai jamais envisagé de les écrire en darija. Ma langue d’écriture est le français. Même s’il s’agit de livres pour enfants ou adolescents, j’essaie de faire œuvre littéraire et cela ne se fait que dans la langue dans laquelle on est le plus à l’aise. Cela dit, je serais ravi si les deux ouvrages étaient traduits en arabe dialectal.
À votre avis, le fait de proposer des livres à lire en darija pourrait-il contribuer à réhabiliter la langue maternelle des enfants marocains ? Cela aurait-il un effet sur le rapport à l’écrit de ces enfants et, par conséquent, sur l’apprentissage de l’arabe littéral à l’école ?
Tout à fait. Je vous renvoie à mon essai Le Drame linguistique marocain, dans lequel je détaille ce cheminement : rendre à la darija son statut de langue à part entière (la réhabiliter, donc) rendrait l’apprentissage de toutes les langues (y compris l’arabe littéral) plus facile. Et cela rendrait l’enseignement, en général, plus aisé.
Dans La Meilleure façon d’attraper les choses, vous écrivez : « La meilleure façon d’attraper les choses, ce sont les mots ». Vous vivez avec une multitude de langues, apprises durant l’enfance ou à l’âge adulte. Avec les mots de quelle langue attrapez-vous le mieux les choses ? Chaque langue répond-elle pour vous à un besoin particulier, correspond-elle à un registre spécifique ?
J’ai fait toutes mes études en français et partiellement en anglais (pendant l’écriture de ma thèse d’économie). C’est en français que je pense et que j’écris. Cela dit, l’arabe dialectal m’accompagne tous les jours, « j’entends » dans ma tête toute sorte d’expressions venues de l’enfance. Il faut ajouter que je vis depuis plus de vingt ans à Amsterdam et que c’est donc le néerlandais que je pratique quotidiennement. J’enseigne aussi dans cette langue, au niveau du bachelor, mais aussi en anglais au niveau de master. Ce n’est pas simple ! Mais je ne crois pas que chaque langue corresponde à un registre spécifique. Ça dépend plutôt des moments, du contexte, des gens avec qui je parle, etc.
Racontez une histoire, un souvenir, une anecdote qui résume votre rapport aux mots et à la langue…
Un jour, je me trouvais dans le train entre Casablanca et Rabat. L’homme qui est assis à côté de moi me pose une question en (mauvais) français. Je lui réponds en arabe dialectal, lui signifiant ainsi que non seulement, je suis parfaitement capable de tenir une conversation en darija, mais que c’est que je veux faire, parce que c’est plus logique, entre deux Marocains… À ma grande surprise, l’homme continue de me parler en mauvais français et moi en arabe dialectal. Au moment où le contrôleur passe, mon voisin lui parle en arabe dialectal, c’est donc sa langue natale, mais il continue ensuite mordicus de me parler en français, bien que je n’utilise pas un seul mot de français dans mes réponses. Je vous laisse le soin de trouver une explication à cette situation bizarre, qui s’est d’ailleurs plusieurs fois reproduite, sous diverses formes…
Pour aller plus loin
Biographie
Fouad Laroui est né en 1958 à Oujda, au Maroc. Après des études au Lycée Lyautey à Casablanca, qui lui inspireront Une année chez les Français, il suit les cours de l’École nationale des ponts et chaussées en France et décroche son diplôme d’ingénieur. Après avoir travaillé dans une usine de phosphates au Maroc, il obtient un doctorat en sciences économiques au Royaume-Uni. Installé aux Pays-Bas, il enseigne à l’Université libre d’Amsterdam. Il écrit ses romans en français et ses poèmes en néerlandais.
Bibliographie
Ouvrages pour la jeunesse
- Une année chez les Français. Paris, Pocket Jeunesse, 2011.
- L’Eucalyptus de Noël. Ill. Nathalie Logié Manche. Rabat, Yomad, 2007.
- La meilleure façon d’attraper les choses. Ill. Pierre Léger. Rabat, Yomad, 2001. Prix du Grand Atlas (2005).
Ouvrages pour les adultes
- Le Drame linguistique marocain. Léchelle, Zellige/Casablanca, Le Fennec, 2011. †
- La Vieille Dame du riad. Paris, Julliard, 2011.
- Des Bédouins dans le polder : histoires tragicomiques de l’émigration. Léchelle, Zellige, 2010.
- Une année chez les Français. Paris, Julliard, 2010. Paris, Pocket, 2011.
- La Femme la plus riche du Yorkshire. Paris, Julliard, 2008. Paris, Pocket, 2009.
- Le Jour où Malika ne s’est pas mariée : nouvelles. Paris, Julliard, 2009.
- De l’islamisme : une réfutation personnelle du totalitarisme religieux. Paris, Robert Laffont, 2006.
- L’Oued et le Consul et autres nouvelles.Paris, Flammarion, 2006.
- De quel amour blessé. Paris, Julliard, 1998. Paris, Hatier, 2008. Paris, J’ai lu, 2003.
- La Fin tragique de Philomène Tralala. Paris, Julliard, 2003.
- Chroniques des temps déraisonnables. Léchelle, Emina soleil, 2003.
- Tu n’as rien compris à Hassan II : nouvelles. Paris, Julliard, 2003.
- Méfiez-vous des parachutistes. Paris, Julliard, 1999. Paris, J’ai lu, 2002.
- Le Maboul : nouvelles. Paris, Julliard, 2001.
- Vreemdeling aangenaam [Étranger plaisant]. Amsterdam, G. A. van Oorschot, 2001.
- Les Dents du topographe. Paris, Julliard, 1996. Paris, J’ai lu, 2000. Prix Découverte Albert-Camus
Ressource en ligne
Humour et vérité dans l’œuvre de Fouad Laroui. [Consulté le 17.01.2012]
Vidéo d’une durée de 1h20mn réalisée le 6 juillet 2009 in www.archivesaudiovisuelles.fr