Se former aux métiers du livre au Maroc

Entretien avec Houda Abaylou, Coordinatrice de la filière Métiers du livre à la Faculté des lettres Ain Chock de Casablanca

Propos recueillis par Hasmig Chahinian
Photographie Houda Abaylou

Quels sont les enjeux des formations aux métiers du livre au Maroc ?

Le secteur du livre au Maroc est en pleine restructuration. L’évolution technologique ainsi que l’apparition de nouveaux outils d’accès à l’information sont à l’origine de cette prise de conscience de la nécessité de moderniser le secteur. C’est dans ce contexte qu’est née, en 2007, la licence professionnelle Métiers du livre à la Faculté des lettres Ain Chock de Casablanca. À mon avis, la formation des professionnels du livre est le premier levier pour que le secteur s’améliore et gagne en efficacité.

Je résumerais les enjeux de la formation aux métiers du livre en trois objectifs :

- Mettre à disposition des dispositifs de formation adaptés aux besoins du marché de l’emploi, alliant apprentissage des savoirs et du savoir-faire.

- Anticiper les besoins de modernisation du secteur et y répondre au mieux, à travers des programmes sans cesse remis à jour

- Former des diplômés motivés et directement opérationnels pour travailler dans tous les domaines du livre et de la lecture.

Pouvez-vous nous présenter les formations que cette filière propose ?

La filière Métiers du livre de la Faculté des lettres Ain Chock propose à ses étudiants une formation polyvalente en bibliothéconomie, librairie et édition. La formation vise à les doter de connaissances de bases solides, nécessaires dans les métiers du livre et de la culture. Nous veillons également à leur fournir des outils de pratiques professionnelles. Outre ces domaines majeures qui constituent le socle de la formation, ils bénéficient de formations dans des disciplines parallèles leur permettant une ouverture sur l’environnement professionnel et culturel ; je peux citer à titre d’exemple, la diffusion/ distribution ; le marketing et la commercialisation des produits culturels, l’animation culturelle, avec un focus sur l’animation destinée à la jeunesse ; le droit de la propriété intellectuelle ; la culture générale (art, littérature) ; le tout est agrémenté d’un module à part entière dédié au développement personnel, visant à les doter d’un savoir-être.

Dans ces différentes formations, accordez-vous une place spécifique aux livres et à la lecture des enfants et des jeunes ?

La formation que nous proposons est polyvalente. Elle ne permet pas aux étudiants de se spécialiser dans le domaine du livre ou de la lecture jeunesse. Toute l’équipe pédagogique accorde une attention particulière à la sensibilisation des candidats à la lecture sous toutes ses formes. Des cours portant sur la culture générale (littérature, art, questions d’actualité) sont programmés à cet effet. Ils ont pour objectif de susciter chez les étudiants le goût de la lecture.

Le parcours de formation est couronné par un stage et la réalisation d’un projet dans la spécialité choisie par le candidat dans l’un ou l’autre des secteurs retenus : librairie, édition ou bibliothèque, que le secteur choisi soit orienté vers la jeunesse ou pas. Il arrive que des stages jeunesse occasionnels soient proposés à nos étudiants, notamment dans le cadre d’événements spécifiques jeunesse. Je peux citer à titre d’exemple : La Cigogne Volubile1 ou le Salon du livre de l’enfant et de la jeunesse de Casablanca.

Les professionnels des métiers du livre sont-ils impliqués dans vos formations ?

Évidemment, ce sont nos partenaires privilégiés. L’apport des professionnels du livre est, pour nous, incontournable. Ils étaient associés à la réflexion même autour de la création de la filière Métiers du livre. Soucieux de la réussite du projet, le fondateur de la filière, M. Kacem Basfao, a tenu à les impliquer. La connaissance qu’ils ont du terrain et des exigences du secteur du livre au Maroc était déterminante dans l’élaboration des cursus de formation. L’objet est de former des professionnels capables de répondre à des besoins particuliers dans le secteur du livre et parfaitement adaptés aux nouvelles exigences de performance dans le domaine du livre. Leur polyvalence est, somme toutes, une qualité fortement valorisée et recherchée. Après le lancement de la filière, les professionnels du livre ont continué à faire partie de l’équipe : des rencontres, des débats ou des conférences sont régulièrement programmés ; des cours entièrement assurés par des professionnels et orientés vers tel ou tel besoin particulier ont lieu en dehors des murs de la Faculté ou à l’intérieur ; des visites des entités composant le tissu professionnel sont systématiquement organisées pour les étudiants, et ce, dans le cadre des différents modules. Nos étudiants bénéficient également de l’encadrement des professionnels lors des différents stages obligatoires qu’ils effectuent pendant leur formation, que ce soit au Salon international du livre et de l’édition de Casablanca, ou lors des stages de fin de cursus.

Nous sommes convaincus que l’échange avec les professionnels ne peut être que bénéfique pour les étudiants. Il suscite et entretient leur motivation par rapport au domaine et accroît leur engagement dans le processus de formation, puisqu’ils constatent que leur cursus est construit en fonction de besoins réels. Les enseignants dispensent un savoir, les professionnels partagent leurs expériences. Les deux apports sont, à nos yeux, complémentaires.

Pouvez-vous nous donner une idée du nombre d’étudiants par formation et par an depuis la mise en place de cette filière ?

Par souci d’efficacité, et pour assurer un encadrement personnalisé à nos lauréats, nous avons limité le nombre d’étudiants recrutés par promotion à 30 étudiants, selon la qualité et le nombre des postulants. Le recrutement est sélectif. Les candidats présélectionnés doivent attester d’un certain nombre de prérequis, linguistiques, entre autres. Ils passent, à cet effet, une épreuve écrite qui devrait nous garantir une maîtrise correcte de la langue véhiculaire des enseignements, qu’est le français. Leurs motivations sont également mises à l’épreuve à travers un entretien oral. Nous avons pu former quelques 200 étudiants, depuis l’ouverture de la filière.

Quelles sont les débouchés pour vos étudiants diplômés ? Dans quelles structures travaillent-ils à la fin de leurs études ?

Le diplôme délivré par la Filière à l’issue des deux années de formation permet à nos étudiants de travailler dans des bibliothèques, des librairies ou des maisons d’édition. Les postes qu’ils occuperont et les statuts dont ils vont bénéficier dépendent, bien évidemment, de la formation qu’ils ont à leur actif, mais aussi de leurs qualités humaines et leurs motivations professionnelles. Les débouchés, en termes d’emplois envisagés et constatés, sont :

- Assistant bibliothécaire, bibliothécaire adjoint ou même bibliothécaire responsable d’une petite unité ou d’un centre de documentation d’établissement scolaire, d’entreprise publique ou privée, ou de bibliothèque de lecture publique…

- Assistant d’édition, gestionnaire de produit multimédia dans le secteur de l’édition...

- Vendeur en librairie, chef de rayon, libraire...

Parmi tous vos étudiants diplômés, combien travaillent dans le domaine du livre et de la lecture jeunesse au Maroc ?

Je ne dispose pas de pourcentages actualisés des étudiants travaillant dans le domaine du livre jeunesse mais je peux vous dire qu’au jour d’aujourd’hui, nos lauréats évoluent dans les différents secteurs du livre et avec ses acteurs les plus imminents. Certains travaillent à la Bibliothèque nationale du Royaume du Maroc, à la Bibliothèque de la Fondation du Roi Abdelaziz Al Saoud de Casablanca, ou à la Médiathèque de la Fondation de la Mosquée Hassan II (qui est l’une des plus importantes bibliothèques publiques du Royaume), à la Bibliothèque universitaire Mohammed Sekkat, dans les médiathèques de l’Institut français au Maroc... Les centres d’information et de documentation des établissements scolaires recrutent, de plus en plus, des lauréats de la filière. Beaucoup de nos diplômés travaillent dans le secteur de l’édition, jeunesse ou autre. Ceux qui se sont orientés vers la librairie ont également fait leurs preuves ; certains sont même gérants ou propriétaires de petites entreprises de librairies.

À l’ère du numérique, comment adaptez-vous votre offre de formation ?

Nous essayons autant que faire se peut d’offrir à nos étudiants une formation adaptée aux exigences actuelles des métiers, que ce soit en matière de formation aux technologies de l’information ou en matière de normes professionnelles en vigueur à l’échelle internationale. L’apparition de supports autres que le livre a révolutionné le secteur et nous avons l’exigence de suivre ces évolutions. Les bibliothèques, par exemple, pour ne citer que leur cas, se voient assignées de nouvelles missions, notamment à travers la mise à disposition d’une offre documentaire variée et adaptée aux besoins sans cesse grandissants des usagers, ou à travers une offre de services qui doivent désormais permettre un accès à l’information sur le web et surtout un accompagnement de l’usager dans ses nouvelles stratégies de recherche de l’information. Dans le domaine de la librairie et de l’édition, l’offre en matière de livre numérique ainsi que l’essor du commerce en ligne ont forcément impacté les deux secteurs. Accompagner ce changement n’est pas un choix, c’est une nécessité de l’heure. La pertinence et la crédibilité de la formation que nous offrons en dépendent largement. Comme je l’ai déjà avancé, les contenus enseignés au niveau de la filière ne relèvent pas d’un processus figé, ils s’inscrivent, bien au contraire, dans une dynamique basée sur l’échange d’expérience. J’avoue que nos partenaires professionnels jouent dans ce sens un rôle déterminant. Grâce à ce réseau de partenaires, nous participons à des sessions de formation professionnelle répondants à des besoins spécifiques, ainsi qu’à des colloques, des débats ou des tables rondes sur des thématiques de l’heure.

Avez-vous des perspectives d’évolution prévues pour ces formations dans les années à venir ?

Pouvoir lancer un master « Métiers du livre » au sein de la Faculté des lettres est un rêve qui nous a longtemps bercés, étudiants et enseignants. À l’heure actuelle, ce projet est difficile à réaliser à cause du manque de ressources humaines spécialisées dans le domaine, je pense bien évidemment aux professeurs chercheurs dans les différentes spécialités du livre.

Notes et références

1. La Cigogne Volubile – Le Printemps des livres jeunesse du Maroc est une manifestation de trois jours consacrée à la littérature jeunesse, dédiée aux jeunes de 4 à 12 ans. Elle est organisée sur l’ensemble des sites de l’Institut français du Maroc.


Pour aller plus loin

Houda Abaylou est Docteur en linguistique. Elle a suivi la formation aux métiers du livre  à MEDIADIX- Saint Cloud, à l'Université Paris10 Nanterre, puis elle est devenue responsable du module « Bibliothèque » au sein de la filière Métiers du livre à la Faculté des lettres Ain Chock de Casablanca à son ouverture en 2007. Depuis septembre 2016, elle en est la Coordinatrice de la filière Métiers du livre.