Une militante de la lecture dans la région de Majunga à Madagascar

Augustine Rasoazananoro, documentaliste au collège français de Majunga
Portrait de Augustine Rasoazananoro. Elle porte un petit chemisier blanc ajouré. Elle pose en studio devant un fond bleu nuageux.

Les bibliothèques scolaires, comme les bibliothèques publiques, peuvent tenir lieu d’un dépôt de livres, gardé par quelqu’un qui y a été « condamné », ou, au contraire, devenir de vraies bibliothèques qui rapprochent les enfants de la lecture quand des personnes motivées et formées les animent.

Dans ce grand pays qu’est Madagascar où l’offre de lecture publique, quoiqu’insuffisante, est multiple et variée (voir l’article sur ce thème dans Vie des bibliothèques), les bibliothèques scolaires peuvent jouer pleinement leur rôle. Comment ? En travaillant en réseau, en faisant le lien entre la bibliothèque de quartier et l’école, en collaborant avec un partenaire étranger pour la formation… Augustine Rasoazananoro témoigne, avec conviction, de cette dynamique possible.

Augustine Rasoazananoro, qui êtes-vous ?

De nationalité franco-malgache, je suis née en mars 1952 dans la capitale de Mada. Je suis institutrice autodidacte. J’ai fait des stages en Alsace, à la bibliothèque du Bas Rhin, dans le Centre de lecture du Brûlé, à la Réunion, et à Tananarive, sur les animations dans les bibliothèques scolaires.
Je travaille comme documentaliste au collège français de Majunga. Depuis 2004, en dehors de mes heures de travail, j'interviens dans le domaine de la lecture publique comme bibliothécaire consultante dans la ville de Majunga. J’anime, j’encadre et je forme une équipe composée d’une vingtaine de bibliothécaires dans les villes de Maevatanana, Ambato Boeny et Majunga. Je suis officiellement retraitée cette année mais toujours en fonction, après négociation, pour une ou deux années encore.

Y a-t-il une action, un événement, un livre ou une personne qui vous a tout particulièrement marquée ?

Enfant, j’ai grandi dans un logement de fonction d’une école où se trouvait une bibliothèque ouverte à des heures impossibles : les livres me tenaient compagnie mais je n’avais pas la vocation de travailler dans ce genre de lieu... En 1995, j’ai été mutée à la bibliothèque du collège français de Majunga. À l’époque, cette bibliothèque tenait du dépôt de livres, tout simplement. Depuis, je n’ai cessé d’évoluer dans mon métier grâce à de nombreuses formations.

Comment percevez-vous le monde du livre et de la lecture ? Hier ? Aujourd’hui ?

Le livre a eu son heure de gloire mais il n’est pas en voie de disparition. Il existe et continue à exister. Aujourd’hui, la concurrence est très forte : le livre est amené à prendre une autre forme mais le mot « livre » reste dans toutes les bouches.
Les difficultés en lecture, qui apparaissent dès les petites classes, sont de plus en plus fortes dans les écoles et collèges pour des raisons multiples : manque de suivi à la maison, enfant livré à lui-même parce que les deux parents travaillent, problèmes de santé, déménagement, parents divorcés… L’accès au livre n’est pas forcément un problème en soi quand le jeune lecteur sait où se rendre ; le problème se pose quand il ne sait pas ce qu’est une bibliothèque et quel est l’intérêt d’y aller.
Cependant, ce n’est pas forcément un handicap pour devenir lecteur plus tard, à l’adolescence ou à l’âge adulte, car les « ateliers de remédiation », avec des activités spécifiques répondant aux besoins et aux difficultés, se sont multipliés.

Comment vous inscrivez-vous dans ce monde ?

Dans la région de Majunga où je travaille, grâce aux animations dans les lieux de lecture, la fréquentation augmente petit à petit. Les écoles travaillent en partenariat avec les bibliothèques de quartier. Motiver les enfants dès la maternelle est la meilleure solution dans mon pays, car, sinon, les jeunes deviennent lecteurs tardivement. Statistiquement, le nombre de lecteurs diminue mais il faut croire au travail des militants du livre, formateurs, bibliothécaires, etc.

Pouvez-vous nous donner des exemples d’initiatives que vous mettez en place ?

Par exemple, nous essayons de mettre en place des animations de lecture en direction des adolescents dans trois villes différentes :

À Maevatanana

Rodarline et Voahirana, qui travaillent à la bibliothèque du collège, ont réussi à former de petits groupes de lecteurs pour des échanges autour d’un roman ou d’un thème.

À Ambato Boeny

Deux responsables d’une bibliothèque municipale, très motivées par le projet, essaient sans se décourager d’inciter les jeunes à lire des romans en présentant des livres pas trop difficiles dans leur école, à la bibliothèque ou à la radio. C’est très encourageant !

À Majunga

À la bibliothèque municipale, Voahangy, une collègue, a commencé, en janvier 2009, des médiations avec des classes de sixièmes dans une école privée du quartier. Elle intervient avec Aimée, une autre collègue, pendant six heures auprès des collégiens : un planning est en place pour le plus grand plaisir des enseignants et de la directrice d’école. Elle a débuté avec les activités de base : présentation du fonds de la bibliothèque, lecture de contes en français et en malgache, etc.
Au collège français où je travaille, ma collègue Lalasoa a animé deux clubs de lecture avec les élèves de sixième. Ces derniers ont présenté les livres qu’ils ont lus aux CM2, en présence de la principale et de deux enseignants du primaire. C’était réussi !

Vous avez bénéficié du soutien de l’IRCOD (Institut régional de coopération développement) en Alsace. Pouvez-vous nous raconter cette expérience ?

Le projet avec l’IRCOD a réellement débuté en 2004, suite à la mission de deux bibliothécaires de la bibliothèque du Bas Rhin à Majunga. Mais, dès 2003, les bibliothécaires de la ville avaient reçu une formation de base sur le fonctionnement d’une bibliothèque et les animations autour des albums, menée par Francine Haegel. Mon rôle consistait alors à appuyer leurs acquis, à les diriger vers une formation performante et à assurer un transfert de compétences. J’intervenais en dehors de mes heures de travail à l’école française de Majunga – un accord ayant été conclu en ce sens entre l’IRCOD, le collège et la commune.

Mes débuts sur ce projet furent très difficiles : les bibliothécaires n’acceptaient pas ma présence, car je venais d’une école privilégiée de la ville. La motivation pour transmettre le goût de la lecture – et plus encore pour proposer des animations – était absente chez certaines. À cela s’ajoutaient des problèmes d’ouverture au public des lieux de lecture : ils étaient ouverts le samedi toute la journée, quand le reste de la ville était en week-end, mais pendant la semaine, les fermetures étaient fréquentes. C’était insupportable pour les jeunes lecteurs, assez motivés. Pour résoudre ce problème, la  commune de Majunga a proposé de muter des femmes, policiers bureaucrates pour la plupart, dans les bibliothèques municipales et les maisons de quartier. Le nombre de bibliothécaires a ainsi augmenté en 2006 : nous sommes passés de six bibliothécaires à une dizaine. En 2008, d’autres femmes, plus motivées, ont été mutées des bureaux de l’état-civil aux bibliothèques. Aujourd’hui, en 2010, l’équipe que j’ai formée est composée d’une vingtaine de bibliothécaires dans les villes de Maevatanana, Ambato Boeny et Majunga.

Enfin, tous les deux ans, un stage en France, financé par l’IRCOD, récompense les bibliothécaires qui s’investissent le plus dans leur travail (elles partent à deux à Strasbourg). C’est un bon moyen pour augmenter la motivation chez les responsables des lieux de lecture. En outre, une session d’échanges a lieu tous les ans : c’est un moment fort où elles exposent, critiquent, argumentent et défendent leurs avis.

Comment faites-vous pour vous procurer des livres ? Les fonds sont-ils adaptés à vos lecteurs ? Avez-vous des livres en malgache ?

Nos livres proviennent de dons de l’IRCOD. Ce sont des ouvrages en français. Le niveau en français de notre lectorat étant assez faible, les fonds ne sont pas toujours adaptés. Depuis l'année dernière, nous avons mis au programme l’achat de livres en malgache.

Quels sont vos projets, vos envies, vos rêves ?

Parmi mes projets : visiter le Salon du livre de Paris, continuer à rencontrer des bibliothécaires et à échanger avec eux, et partager « mon vécu » avec des collègues d’autres nationalités.
Mon rêve est de continuer à œuvrer dans le domaine du livre en le liant à d’autres actions. Par exemple, je travaille à un projet sur l’environnement : il s’agit de trouver un moyen de substitution au sac plastique dans mon pays...


Propos recueillis par Viviana Quiñones.