Le libraire, un agent culturel
Vendre des livres pour enfants en Afrique : mission impossible ? Il semblerait que non… À Bamako, par exemple, Awa Dagnoko a fait le pari d’une librairie dont c’est l’activité principale. Comment ? Avec une vocation et une formation de départ. Avec une offre judicieuse où l’édition africaine de jeunesse de différents pays est majoritaire. Avec des démarches de vente variées, bien conçues et organisées. Avec des partenariats interprofessionnels multiples. Avec une participation active dans l’association de libraires francophones. Et aussi avec l’aide française qui a permis, lors de la Caravane du livre, de rapprocher le prix des livres des bourses des lecteurs. Si la distribution reste « le maillon faible » de la chaîne du livre en Afrique, la librairie Edilac, ainsi que d’autres, montrent que, dans les capitales au moins, elle a bien commencé à se fortifier.
Pouvez-vous vous présenter ?
Je m’appelle Awa Viviane Dagnoko Bawar Bahou. Je suis de nationalité ivoiro-burkinabè, mariée, mère de deux enfants. Je suis libraire à Bamako.
Y a-t-il une action, un événement, un livre ou une personne qui vous a donné envie de devenir libraire ?
Ma vocation s’est forgée petit à petit au contact des libraires alors que je travaillais encore pour les éditions CEDA, en Côte-d’Ivoire, en tant que responsable commerciale. Mais le livre a toujours fait partie de ma vie depuis mon enfance. Je ressens une immense joie quand je suis entourée de livres. Le livre a toujours été un peu magique pour moi et j’ai envie de partager ce sentiment.
Comment percevez-vous le monde du livre et de la lecture ? Hier ? Aujourd'hui ?
J’ai ouvert la première librairie à Bamako en juillet 2003 et la deuxième en août 2008. C’était un pari très risqué étant donné le faible taux d’alphabétisation et en considérant l’adage qui dit que « le Malien ne lit pas ». Mais, de plus en plus, entrer dans la librairie devient un geste banal. Nous avons réussi à démystifier la librairie grâce à des manifestations comme la Caravane du livre et de la lecture, organisée par l’Association Internationale des Libraires Francophones, chaque année, dans les pays de l’Afrique subsaharienne. En effet, pendant la Caravane, les livres sont vendus 50% moins cher que leur prix de vente public grâce à la subvention du Centre national du livre en France. Ce rabais permet aux lecteurs maliens d’acquérir des livres à moindre coût. Aujourd’hui, la Caravane est le rendez-vous des lecteurs (enfants, jeunes, adultes), des établissements, des partenaires culturels, des libraires et des éditeurs. Tout ce beau monde se retrouve pour fêter le livre. Cette année, nous avons apprécié la présence du Ministre de la Culture à nos côtés, ce qui signifie indubitablement, pour nous, que le livre et la lecture sont en pleine expansion.
Comment vous inscrivez-vous dans ce monde ?
Je m’inscrirais plutôt comme un agent culturel, quelqu’un qui aurait pour rôle de permettre à ses lecteurs de profiter des pensées des autres en lisant leurs écrits ; un rôle d’information parce que, grâce aux livres qu’il met à la portée de ses lecteurs, il leur permet de s’informer de ce qui se passe dans le monde. Un rôle de sensibilisation parce qu’il prône les bienfaits de la lecture à tout moment, en tout lieu et à toute occasion.
Quels sont vos projets, vos envies, vos rêves ?
Je rêve de mettre à la disposition des lecteurs maliens une grande librairie dans laquelle tous les genres se retrouvent, un espace convivial auquel tout le monde penserait quand le besoin d’acheter un livre se présente. Je souhaite rapprocher d’avantage le livre du lecteur à travers des activités, plus nombreuses, organisées avec des établissements pour développer le goût de la lecture dès la maternelle.
Quelle part de votre fonds, et de vos ventes, les livres pour la jeunesse occupent-ils ? Comment les choisissez-vous, et auprès de quels éditeurs ?
Notre credo est la promotion de la lecture, surtout auprès des enfants qui sont les lecteurs de demain. Les livres de jeunesse représentent 60% de notre fonds. Notre objectif principal est de promouvoir la littérature de jeunesse parce que, pour nous, la culture de la lecture s’acquiert dès la maternelle.
Nous travaillons au Mali avec les éditions Donniya qui, de plus en plus, offrent au jeune public des livres très bien illustrés, ainsi qu’avec les éditions Jamana et Cauris. Les éditions Ruisseaux d’Afrique (Bénin) occupent une grande place dans nos rayons, parce qu’elles offrent un catalogue très varié en littérature de jeunesse, avec des sujets d’actualité. Depuis 2009, nous avons rajouté à notre fonds les livres des Nouvelles Éditions Ivoiriennes (Côte-d’Ivoire), des éditions Bibliothèque Lecture Développement (Sénégal) et actuellement nous explorons les livres de jeunesse des éditions Clé (Cameroun).
Les livres de Ruisseaux d’Afrique et de NEI représentent plus de 50% de nos ventes en livres de jeunesse parce que plusieurs ONG les achètent régulièrement pour des bibliothèques scolaires. La littérature de jeunesse africaine parle des réalités africaines et du vécu de l’enfant africain.
Comment se compose votre clientèle intéressée par les livres pour la jeunesse ? Quelles démarches entreprenez-vous pour les vendre ?
Depuis maintenant trois ans, nous avons positionné notre première librairie en tant que librairie jeunesse et nous en avons ouvert une deuxième qui, elle, est générale. La clientèle de notre librairie jeunesse se compose en majorité d’écoles primaires, d’ONG, de bibliothécaires, d’expatriés et de quelques nationaux.
Pour vendre nos livres de jeunesse, nous organisons des expositions-ventes qui tournent chaque mois dans les établissements, et des visites de la librairie pour les enfants en collaboration avec les établissements scolaires. Enfin, la Caravane du Livre et de la lecture est une période de vente promotionnelle forte, très attendue des enfants et des parents.
Pouvez-vous nous en dire plus sur la Caravane du livre et de la lecture, sur votre participation, sur l’intérêt de cette opération ?
Je suis la coordinatrice des activités de la Caravane au Mali. Nous organisons plusieurs activités en collaboration avec les librairies, les associations, les institutions culturelles et les éditeurs, parmi lesquelles : une exposition-vente au Centre culturel français et dans les écoles, un bibliobus qui sillonne la ville et les écoles avec à son bord des animateurs, un wagon bibliothèque qui va dans les zones éloignées de Bamako, notamment à Mahina et Diamou, à environ 200 km, un atelier d’écriture qui réunit les élèves de plusieurs établissements, et, enfin, un concours d’illustration sur un thème donné à destination des plus jeunes enfants.
La première année de la Caravane au Mali, en 2005, nous comptions sur la participation de cinq établissements. En 2009, ce sont onze établissements qui ont répondu présents, trois associations culturelles, le Centre culturel français, la Bibliothèque nationale, le ministère de la Culture et certaines entreprises privées comme Orange Mali qui nous ont soutenus. C’est la preuve que la Caravane du Livre et de la lecture au Mali a pris une vraie dimension au fil des années ; c’est une idée novatrice au Mali qui contribue, à n’en point douter, à développer la culture de la lecture, car en insistant sur les bienfaits de la lecture, l’action rassemble ceux qui sont déjà acquis à la lecture et ceux qui ne le sont pas encore, pour une meilleure sensibilisation.
Les opérations subventionnées par la France sont-elles indispensables à la survie de la librairie ?
Étant donné le coût du livre au Mali, nous pouvons affirmer que les opérations de soutien du Centre national du livre sont primordiales à la survie de la librairie, surtout pour nous qui sommes installés dans des zones où le taux d’analphabétisme est très élevé et où la culture de la lecture ne s’instaure que petit à petit, grâce à des opérations comme la Caravane du livre.
L’AILF, Association internationale de libraires francophones, est-elle importante pour vous ?
Dès le départ, j’ai voulu me munir de tous les atouts pour réussir mon projet de librairie. On ne peut pas entamer une nouvelle carrière et un métier comme celui de libraire sans avoir des confrères avec qui partager expériences communes, questionnements et angoisses. L’AILF m’a permis de connaître des libraires francophones installés à l’étranger et de me faire des amis dans le milieu. Ces derniers n’hésitent pas à me conseiller lorsque je les sollicite. Par ailleurs, les formations offertes par l’AILF me permettent d’avoir confiance en moi et de mieux pratiquer ce métier.
Propos recueillis par Viviana Quiñones.