Je suis devenue autrice au fil des livres
Entretien avec Joëlle Ecormier
Après avoir reçu le prix Vanille en 2012 pour le roman Braises, Joëlle Ecormier a reçu, pour son nouveau roman Kô, la mention spéciale du prix Vendredi, ce prix national qui récompense un ouvrage francophone pour adolescents. C'est un grand pas pour cette autrice et un vrai coup de cœur pour le comité de lecture océan Indien qui a eu envie d’en savoir plus sur son parcours.
Comment devient-on autrice ? Est-ce un choix ou le hasard s’en est–il mêlé ?
Je suis devenue autrice au fil des livres … En 1998, j’ai participé à un concours d’écriture avec France Loisirs. Yann Queffélec avait écrit le premier chapitre d’un roman et l’éditeur proposait aux auteurs francophones du monde entier d’en écrire la suite. En quelque sorte, il s’agissait de créer un roman comme un cadavre exquis, à quatorze mains ! C’est mon admiration pour l’auteur des Noces barbares qui m’a poussée à envoyer un texte. Il a été retenu pour être le deuxième chapitre de Trente jours à tuer qui était le premier roman créé sur Internet. Sa publication version papier en 1999 m’a valu ma première invitation au Salon du livre de Paris !
Jusque-là et depuis très longtemps, j’écrivais des nouvelles, sans l’assumer vraiment. Cela m’a pris du temps avant de pouvoir dire aux autres et à moi-même : j’écris et je suis autrice. Il m’a fallu de nombreux livres pour me sentir légitime.
Pour vous, être autrice, paraissait inaccessible ?
Pour moi, les auteurs de littérature c’étaient Flaubert, Balzac, Giono… Il m’a, en effet, fallu du temps pour savoir que j’étais autrice et quelle autrice j’étais. Je crois qu’il faut de nombreuses années avant de savoir pourquoi on écrit. Aujourd’hui, j’ai publié de nombreux textes, mais je pense qu’on n’a jamais fini de savoir quel écrivain on est, pourquoi on écrit et ce que l’on cherche !
Ce n’est pas facile pour moi de répondre aux enfants que je rencontre dans les écoles et qui me demandent pourquoi j'écris. J’essaie de leur donner des réponses simples en leur disant que j’écris parce que j’aime inventer des histoires, que j’aime les mots et surtout trouver le mot juste.
Écrire pour vous va bien au-delà de simplement publier des textes ?
Oui, l’écriture ouvre un espace de découverte de soi et de partage avec les autres tellement immense, c’est fabuleux ! Je considère l’acte d’écrire comme une tâche sacrée qui consiste à trouver à l’intérieur de soi ce qui appartient à un monde imaginal, imaginaire, de l’ordre du sacré, pour l’offrir en partage aux autres.
Vous écrivez des textes courts, Kô en est un exemple mais je pourrai en citer d’autres, est-ce un choix ? Écrire une série en plusieurs volumes ne vous a jamais tentée ?
Non, les sagas ne m’intéressent pas, je n’ai pas envie de faire revivre des personnages. J’aime le souffle et la densité puissante dans un texte court. J’aime recommencer une nouvelle histoire, aller vers quelque chose de différent. J’ai besoin de l’intensité des formats courts, je pense que je m’essoufflerais, que je m’ennuierais dans un roman très long.
Après le succès de la publication d’Enzo, 11 ans, sixième 11, j’avais peur que l’éditeur Nathan me demande une suite...
Écrire pour les enfants ou les adultes est-ce un souhait personnel ou répondez-vous aux demandes d’éditeurs ?
Cela vient de moi, sans que ce soit vraiment une volonté mais c’est ainsi que cela se produit. J’ai beaucoup de difficulté à me mettre dans une case, à rester dans un registre, je veux garder la liberté d’aller vers tous les genres d’écriture et tous les publics.
Lorsque je propose un texte jeunesse à un éditeur? c’est lui qui se charge de trouver un ou une illustrateur (trice). Il y a des exceptions comme les projets avec Modeste Madoré. Je travaille avec lui depuis plus de 15 ans, nous formons un duo, travailler ensemble est vraiment fluide, j’écris les textes en pensant à sa manière d'illustrer.
Vous pouvez écrire des albums ou des romans sans soucis. Votre dernière publication est Wshh ! publié chez Zébulo Éditions, comment ce projet est-il né ?
Wshh ! est un projet très particulier.
Au départ, Maïwenn Vuittenez est venue avec son projet en me demandant de reprendre l’histoire qu’elle avait déjà écrite sans en être satisfaite. Sa confiance m’a beaucoup touchée. Je l’ai fait avec beaucoup de précautions. J’ai gardé le personnage de Gaétan, fils de pêcheur, mais qui ne se sent pas pêcheur dans l’âme. Il rêve de devenir musicien Maïwenn a été tout de suite d’accord avec ce changement. Cela a été un travail passionnant, une vraie amitié est née à la suite de ce travail partagé.
Vous êtes née à La Réunion, est-ce de là que vous puisez vos inspirations ?
Toutes mes histoires ne s’ancrent pas toujours à La Réunion. Ma culture réunionnaise est l’une de mes constituantes, mais je me revendique de plus loin qu’une identité culturelle. Je m’inspire de ce que je suis et ce que j’écris est forcément nourri de ma langue, de mes traditions, de mon environnement naturel, mais je me sens bien au-delà de toutes les identités. Je ne me perçois pas comme une autrice réunionnaise, mais comme une autrice tout court.
J’ai vécu en France quelques années, à Toulouse, à Cherbourg mais j’ai fini par revenir à La Réunion. J’ai un attachement pour La Réunion, c’est un lieu qui a une énergie particulière, je me sens en synergie avec cette île.
Kô a connu un vif succès. Comment est née l’histoire de ce roman ?
Tout est parti d’un fait divers réel : en 2015, on a retrouvé sur une plage de l’île de La Réunion un débris d’avion qui provenait du Boeing 777 de la Malaysia Airlines, disparu le 8 mars 2014 au-dessus de l’océan Indien avec 239 personnes à bord. La presse internationale est venue, une véritable chasse au trésor a démarré, tout le monde voulait trouver des morceaux de l’avion !
C’est de là qu’est venue mon inspiration, il m’a semblé qu’il y avait une histoire à imaginer : et si quelqu’un trouvait des choses qu’il gardait secrètes ? Pourquoi en vient-on à mentir ?
Pour moi le deuil n’est pas le sujet principal du roman, ce jeune garçon a perdu son père mais en réalité la question qui m’intéressait était celle du mensonge: pourquoi s’enferme-t-on dans le mensonge ? Et surtout comment s’en sort-on ? Le mensonge est une prison que l’on fabrique pour soi et pour les autres.
Comme il fallait de l’aide à ce garçon, j’ai imaginé cette belle relation frère et sœur. La sœur est pleine de vie, elle est tournée vers les technologies. La confiance de la mère est importante aussi.
Vous aviez imaginé un tel succès ?
J’ai eu très peu de retours sur Kô après sa publication. Lorsque presqu’un an plus tard il reçoit une mention spéciale du prix Vendredi, c’est une réelle surprise ! Recevoir une récompense pour l’un de mes livres me touche toujours beaucoup, mais je pense d’abord à l’éditeur qui a cru au roman, qui a pris un risque, pour moi c’est une façon de le remercier de m’avoir fait confiance.
En tant qu’autrice, chaque récompense renforce ma confiance dans le fait qu’écrire n’est pas vain, c’est un encouragement à continuer. Plus j’écris, plus je trouve quelque chose de nourrissant pour moi et pour les autres
Vous rendez hommage à votre éditeur, quelles sont vos relations avec vos éditeurs ?
Cela dépend des éditeurs, bien sûr. La relation de confiance auteur-éditeur est fondamentale pour moi, je ne peux pas avoir une collaboration avec un éditeur s’il n’y a pas cette confiance, j’ai besoin d’un lien d’humain à humain. C’est aussi le cas dans le travail avec les illustrateurs.
Ma rencontre avec Claudine Serre en 2005, alors éditrice d’Océan Éditions, a été décisive dans ma carrière d’autrice. La confiance a été immédiate. Comme je n’entrais dans aucune collection, Claudine a créé, pour mes textes, des collections sur mesure, de différents formats et genres. Elle m’a ouvert le champ des possibles, je lui en suis vraiment reconnaissante.
Lorsqu’un livre obtient un prix littéraire, c’est celui de l’auteur, de l’éditeur, et de l’illustrateur(trice), c’est un travail collaboratif. J’envisage le monde ainsi, comme une construction avec des forces collaboratives.
Quel est votre meilleur souvenir d’écriture ?
Chaque texte est une expérience d’écriture unique. Dernièrement, j’ai eu l’occasion de vivre quelque chose de très particulier avec l’écriture d’un nouveau roman pour la collection Collège d’Élisabeth Brami chez Nathan. Comme j’avais pris du retard, il me restait deux mois pour l’écrire, ce qui pour moi est un délai très court. Je l’ai pris comme une expérience : accepter d’écrire en immersion complète, quasiment en continu et en recluse, totalement disponible au flux de l’écriture. L’expérience s’est révélée fabuleuse, comme un état de grâce. J’ai terminé le texte en six semaines.
D’une manière différente, le roman Théodore, le passager du rêve a été une expérience très marquante. Le metteur en scène qui l’a adapté au théâtre pour la compagnie le Théâtre des Albert y a tout de suite vu des références très précises à la mythologie dont je n’avais pas connaissance. Cela a été pour moi une révélation en même temps qu’un choc. Je croyais avoir tout inventé seule et j’ai réalisé que j’avais écrit "avec une vieille femme" de plusieurs millions d’années ! Jung dit que nous portons en nous toute l’histoire de l’humanité. L’écriture est un état de conscience qui permet d’accéder à certaines choses de cette gigantesque mémoire. Mon petit ego d’autrice en a pris un coup. J’ai mis longtemps avant d’accepter de n’être qu’un espace d’accueil avec une technique d’écriture au service de ce qui me traverse et que j’essaie de transcrire le mieux possible.
Notes et références
Le Prix Vendredi est un prix national et indépendant, désigné par un jury composé de professionnels, récompensant un ouvrage francophone destiné aux plus de 13 ans. Créé en 2017 à l'initiative du groupe des éditeurs de littérature Jeunesse du Syndicat national de l'édition (SNE), il a été nommé « Prix Vendredi » en référence à Michel Tournier.
Le Prix Vanille - Illustration - Dessin - Œuvre de fiction est organisé par La Réunion des Livres avec le soutien de la direction des affaires culturelles de La Réunion (DAC-Réunion)
https://www.theatre-contemporain.net/video/Theodore-le-passager-du-reve-Bande-annonce
Pour aller plus loin
Joëlle Ecormier est née à La Réunion où elle vit toujours. Elle a écrit des textes depuis toute petite. Après une première expérience d’écriture en 1999, elle est publiée en 2005 par Claudine Serre, éditrice chez Océan Éditions à La Réunion. Romancière, autrice, elle aime à multiplier les expériences d’écriture, pour les enfants, les adolescents ou les adultes. Elle a reçu la mention spéciale du prix Vendredi et le prix Vanille en 2021 pour son roman Kô, aux éditions Zébulo Éditions.
Bibliographie sélective :
Trente jours à tuer, sous la direction de Yann Queffelec, Paris, France Loisirs, 1999.
Théodore, le passager du rêve, illustrations d'Aurélia Moynot, Océan Éditions (Océan Ados), 2013.
Enzo, 11 ans, sixième 11, Paris, Nathan, 2013.
Un rêve à la mer, aquarelles d'Estelle Aguelon, Cipango, 2019.
Kô, Saint-Gilles-les-Hauts (La Réunion), Zébulo Éditions, 2020
Ishka et l'oiseau bleu extraordinaire qui a trouvé comment faire pour grandir d'un seul coup, illustrations de Modeste Madoré. Saint-Denis (La Réunion), Éditions à la gomme, 2021.
Wshhh ! d'après une idée originale de Maïwenn Vuittenez, illustrations de Maïwenn Vuittenez. Saint-Gilles-les-Hauts (La Réunion), Zébulo Éditions, 2021.