Soutenir la lecture en milieu rural au Maroc

l'engagement d'une association

Propos recueillis par Hasmig Chahinian

Avant même la mise en place d’un réseau de lecture publique par les États, certaines associations ont ouvert la voie avec des initiatives visant à « amener le livre à l’enfant » où qu’il se trouve. L’Association d’appui aux bibliothèques rurales en est un exemple. Depuis 1999, date de sa création, son action et ses objectifs ont évolué pour s’adapter aux changements de la société marocaine et répondre mieux à ses besoins, notamment dans le contexte d’un tissu associatif très actif dans le pays et l’implantation, depuis quelques années, de nombreuses bibliothèques dans le réseau de lecture publique piloté par l’État. 

Entretien avec Abderrahman Hansal, Président de l’Association d’appui aux bibliothèques rurales.

Pouvez-vous présenter l’Association d’appui aux bibliothèques rurales que vous présidez ?

L’association d’appui aux bibliothèques rurales (AABR) est une ONG à but non lucratif qui a été créée en juin 1999, et a choisi d’œuvrer dans le secteur des bibliothèques (scolaires et publiques) en milieu rural marocain. Elle s’est assigné les missions suivantes : la promotion de l’accès à l’information et au savoir, la formation à l’autonomie d’apprentissage et à la citoyenneté, l’appui à l‘éducation formelle et non formelle. Elle entend atteindre ses missions à travers les objectifs suivants :

  • contribuer à la création, à la gestion, à l’animation et à la mise en réseau des bibliothèques rurales,
  • développer la lecture publique en milieu rural en préservant la tradition du livre et en promouvant les autres supports de diffusion de l’information et du savoir,
  • contribuer à la formation des gestionnaires et des animateurs des bibliothèques,
  • sensibiliser les décideurs à la nécessité de développer les bibliothèques en milieu rural.

Le bureau de l’association a toujours été composé de personnes de divers horizons : sociologues, économistes, enseignants, mais avec une dominance des professionnels de l’information. Le bureau actuel comporte cinq personnes dont trois sont des « informatistes »1. Tous les membres sont bénévoles. Quant aux autres membres, nous avons beaucoup plus de femmes que d’hommes qui sont pour la plupart des professionnels de l’information. Mais nous comptons aussi des enseignants, des ingénieurs et autres cadres.

Y a-t-il une action, un événement, un livre ou une personne qui a été à l'origine de la création de votre association ou qui a influencé son parcours, son histoire ?

La fondatrice de l’AABR, Houria Senhaji, informatiste, était auparavant associée à un projet de création d’une bibliothèque rurale par une autre ONG 2 dans le Haut Atlas. Marquée par cette expérience, animée par une volonté d’apporter un soutien à ce secteur, préoccupée par l’absence d’accès à l’information des ruraux marocains et fascinée par la soif de lire des enfants, elle décide, avec le concours d’autres personnes, de capitaliser cette expérience et celles des autres membres en créant la première association spécialisée dans le secteur des bibliothèques rurales.
À partir de 2003, grâce à l’arrivée d’autres membres, de nouvelles orientations ont vu le jour pour inscrire les projets de l’AABR dans une optique sociale plus que culturelle. Depuis, l’association s’est attelée à concrétiser ses objectifs par des projets réels et compte à son actif, aujourd’hui, la création de huit bibliothèques scolaires, cinq petites bibliothèques publiques, cinq bibliothèques dans des maisons d’étudiants, ainsi que l’organisation de plusieurs sessions de formation, de journées d’animation autour du livre et de la lecture, et des opérations de don de livres. Elle a aussi été sollicitée par d’autres organismes pour la mise en place de trente-neuf coins de lecture dans des écoles rurales et deux bibliothèques scolaires.

Comment percevez-vous le monde du livre et de la lecture ? Hier ? Aujourd'hui ?

Pour nous, le monde du livre est d’abord un monde riche et passionnant, et la lecture est l’acte qui permet d’accéder à ce monde. Hier, le livre était à la portée seulement d’une élite, aujourd’hui, il est devenu accessible à un large public grâce à plusieurs facteurs. Mais si le livre a, pendant longtemps, monopolisé le rôle de diffusion de la connaissance, désormais, il se trouve en présence d’autres supports de conservation et de diffusion du savoir. Austère naguère dans sa présentation et sa forme, le livre aujourd’hui est un bien économique qui subit les aléas et contraintes du marché. Dans des pays comme le nôtre, on ne peut pas encore parler de démocratisation de l’accès aux livres, et notre marché du livre connaît bien des difficultés.
En ce qui concerne la lecture, si hier elle a joué un rôle crucial en matière d’éducation populaire, aujourd’hui on assiste à d’autres formes de lecture imposées par les nouvelles technologies. Source d’épanouissement de l’esprit et de l’âme, d’enrichissement et de joie, la lecture, chez nous, se cantonne au cadre scolaire, académique et culturel.

Comment vous inscrivez-vous dans ce monde?

D’abord en tant que professionnels de l’information qui ne veulent pas rester indifférents à un secteur auquel ils appartiennent. Participer à la promotion du secteur des bibliothèques, c’est aussi promouvoir une profession qui demeure mal connue au Maroc. On se considère comme des initiateurs de projets pour la création d’espaces de lecture mettant à la disposition des ruraux des livres aussi variés que possible, autres que des manuels, afin de leur permettre de pratiquer l’acte de lire.
Outre les activités d’animation que nous organisons autour du livre, de la lecture et de la bibliothèque, nous agissons sur la motivation en décernant le prix du meilleur lecteur dans nos bibliothèques, ainsi que le prix du meilleur créateur pour les ateliers d’écriture. Puis, nous avons cherché à « vulgariser » le livre en offrant un livre à chaque élève dans les trois dernières écoles où nous avons monté des bibliothèques, car nous estimons que le livre ne s’offre pas assez au Maroc et ne constitue pas suffisamment un objet cadeau. Enfin, nous avons publié l’an dernier un manifeste en faveur de la lecture publique afin attirer l’attention des pouvoirs publics et des décideurs sur son importance.

Quels sont vos projets, vos envies, vos rêves ?

Cette année, nous démarrons par la création d’une bibliothèque pour des adolescents résidant dans un orphelinat de la région de Taroudant, grâce au concours de la coopération technique belge. Nous comptons aussi organiser un séminaire sur les bibliothèques rurales à l’occasion du dixième anniversaire de notre association.
En ce qui concerne nos rêves, nous aimerions pouvoir desservir les coins les plus enclavés du Maroc et voir s’implanter, dans notre pays, des bibliothèques dignes de ce nom, aussi bien en ville que dans les villages. Enfin, nous souhaiterions que l’acte de lire devienne possible pour tous…

 

1 Informatiste est l’appellation donnée à un lauréat de l’École des sciences de l’information (ESI) à Rabat qui offre une formation polyvalente de bibliothécaire, documentaliste et archiviste.
2 AMRASH : Association marocaine de recherche et action pour le développement social et humain.