Carlos Rubio et la littérature pour la jeunesse au Costa Rica : des documents entrent à la BnF

Par Fabien Douet, Responsable des collections de langues et littératures d’Espagne et d’Amérique latine hispanophone au département Littérature et art de la BnF Traduit par Fabien Douet
Photographie de Carlos Rubio

On a du Costa Rica l’image d’un pays de carte postale, véritable paradis pour la biodiversité, avec ses plages et ses parcs naturels luxuriants, ses volcans et ses fleuves. Le Costa Rica, c’est aussi le premier pays à avoir aboli constitutionnellement son armée en 1949 en réaffectant notamment ce budget dans l’éducation et la santé. Aux richesses naturelles s’ajoutent des atouts culturels et patrimoniaux, parmi lesquels la littérature et singulièrement la littérature pour la jeunesse.

 

En 2023, le pays a célébré le centenaire de la fondation de son Académie de la langue et a souhaité, notamment au travers de son Ambassade située à Paris, faire le don à la Bibliothèque nationale de France de cent ouvrages représentatifs de la recherche et de la création du Costa Rica. Dans ce don1 figuraient notamment quelques-uns des titres représentatifs de la littérature costaricienne pour la jeunesse dont l’une des voix importantes a été celle de Carmen Lyra. Nous nous entretenons aujourd’hui avec Carlos Rubio, membre de l’Académie de la langue du Costa Rica, professeur, universitaire et auteur de littérature pour la jeunesse.

 

En quelques phrases, pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs français ?

Je suis un écrivain avec l’âme d’un enfant en moi. Bien que mon visage révèle un homme de 56 ans et que les plis de mon visage soient plus marqués, le petit garçon qui regardait avec émerveillement par la fenêtre vit toujours en moi. Je suis resté le même enfant qui recevait, avec une joie singulière, un livre de contes des mains de sa mère ; le même qui écoutait les histoires populaires de la bouche d’une tante attentionnée qui, malgré sa faible instruction, possédait l’un des plus beaux trésors que conserve l’être humain, le langage.

Je viens tout juste de prendre ma retraite. J’ai exercé comme instituteur en école primaire, comme rédacteur d’une revue pour enfants2, mais j’ai consacré presque toute ma vie professionnelle à l’enseignement et à l’apprentissage de la littérature jeunesse à l’Université du Costa Rica et à l’Université Nationale, deux établissements publics de l’enseignement supérieur. J’ai toujours essayé de faire en sorte que mes étudiants aiment profondément la lecture, car si on ne trouve pas dans les livres des amis et des amours cachées, voire secrètes, nous ne pourrons jamais transmettre ce plaisir de lire aux nouvelles générations.

J’ai bien essayé d’écrire pour les adultes, mais c’est toujours l’enfant en moi qui s’est exprimé, celui qui me fait jouer avec les mots. C’est pour cette raison que j’ai écrit une dizaine de livres pour la jeunesse, parmi lesquels on trouve des recueils de contes, de la poésie et des romans. Je suis également conteur dans les écoles, les bibliothèques et les théâtres. J’emporte avec moi un kamishibai ou petit théâtre de papier d’origine japonaise et des marionnettes. C’est une activité sérieuse dans laquelle on contrôle sa respiration, sa diction et son expression corporelle. Il faut comprendre que l’origine de la littérature jeunesse se trouve dans l’oralité, dans le mystère qui surgit entre la parole et l’imaginaire.

Avec la dévotion et le sérieux que l’on doit aux travaux pour la jeunesse, j’ai aussi mené des recherches sur l’œuvre d’autres écrivains et de textes costariciens. Par exemple, j’ai étudié Los cuentos de mi tía Panchita, de Carmen Lyra, qui a été traduit en français, par Georges Pillement, probablement dans les années 303, sous le titre Les contes de ma Tante Panchita, contes populaires du Costa Rica ; l’œuvre poétique de la pédagogue Emma Gamboa ou la figure de Pinocchio au Costa Rica, récemment publié en italien à Rome.

Ainsi donc, je suis un éternel enfant, comme Peter Pan, mais je me définis aussi comme un travailleur de la culture.

 

Los cuentos de mi tía Panchita, de Carmen LyraLes contes de ma Tante Panchita, contes populaires du Costa Rica de Carmen Lyra

 

En tant qu’auteur et professeur, comment définiriez-vous la littérature pour la jeunesse ?

En priorité, la littérature doit distraire et apporter du réconfort aux enfants. Si la lecture n’apporte pas cette sensation de distraction, de réconfort, elle ne sert à rien. Un bon livre pour la jeunesse intéressera une personne quel que soit son âge, il ne faut jamais sous-estimer les capacités d’intelligence et de compréhension des lecteurs.

Si l’on fait appel à l’étymologie du mot espagnol infante (enfant, nourrisson) selon ses racines latines, on pourrait dire qu’il s’agit d’une personne muette car le préfixe in- est une négation, et -fante signifie celui qui parle. C’est ainsi que l’on percevait les enfants, non seulement dans les cultures grecques et romaines, mais aussi au Moyen-Âge ou à la Renaissance, comme des êtres dépourvus de parole, ou dont la parole n’atteignait pas le niveau du discours.

Aujourd’hui, à la différence de cette vision, on développe une littérature dite de jeunesse à partir des mots des enfants, de leurs sentiments, de leurs préoccupations, de leurs désirs. Il s’agit de rendre à l’enfant cette parole refusée, de faire de lui un citoyen qui mérite d’être écouté.

L’esthétique est un élément fondamental, et bien que cela paraisse dépassé de le dire aujourd’hui, la littérature doit conduire à la beauté, et donc doit induire le plaisir des sens. Un texte pour la jeunesse doit être plaisant à voir imprimé, à admirer ses illustrations : on doit ressentir de la joie lorsqu’il est lu à voix haute, et même, il doit susciter chez l’enfant le plaisir d’en parcourir de ses doigts la surface des pages. On doit trouver dans ses pages l’harmonie et le défi quitte à faire usage de la rhétorique du grotesque.

Loin de toute prétention morale ou éducative, c’est un texte dans lequel la complicité avec l’enfant est évidente : le texte peut tomber dans l’espièglerie, l’absurdité ou l’expression du politiquement incorrect car, en fin de compte, sa raison d’être est profondément humaine.

Comme le signale Adela Ferreto, institutrice costaricienne, la littérature pour la jeunesse a trois sources fondamentales : le folklore, les livres écrits spécifiquement pour les enfants et les grands classiques universels4.

C’est donc un genre littéraire qui puise son origine dans les mythes, les légendes, les contes populaires, les comptines, les fables que les grands-parents racontaient à haute voix à leurs petits-enfants. Au fil du temps, principalement à partir du XVIIIème siècle et l’apparition des écoles en Europe, ce genre a commencé à se spécialiser, avec des textes susceptibles d’être compris par les enfants plus facilement et des illustrations pour développer leur imagination. C’est ainsi que sont apparus les livres spécialement dédiés aux enfants. C’est aussi une littérature qui se nourrit continuellement de ces œuvres immortelles, que l’on peut et que l’on doit lire à n’importe quel moment de sa vie comme la Bible, Les mille et une nuits ou l’Odyssée d’Homère.

 

Pouvez-vous nous parler d’une action menée pour le développement de la lecture chez les jeunes et qui vous rende particulièrement fier ?

À l’Université du Costa Rica j’ai développé « El Ricón de Cuentos, un lugar para libros, sueños y esperenzas5 » (Le Coin des Contes, un lieu pour les livres, les rêves et les espoirs), un projet d’action sociale. Après des années d’études, nous avons compris que susciter des habitudes de lecture dans l’enfance est quelque chose de complexe, qui ne peut se réaliser avec une formule magique. En outre, les mêmes schémas ne peuvent pas être appliqués à tous les contextes culturels. Chaque enfant, du point de vue de la construction de son identité, chaque famille, école et communauté, a besoin de motivations différentes pour parvenir à cet amour des textes littéraires.

Dans notre cas, il a été fondamental de connaître l’expérience menée par l’organisation non gouvernementale (ONG) « Libros para Niños » (Livres pour enfants) dans plusieurs régions du Nicaragua. Grâce à cette organisation, nous avons également pu discuter avec la très expérimentée Geneviève Patte6, spécialiste française des bibliothèques. La vision qu’elle a mise en œuvre il y a près de soixante ans, d’une bibliothèque ronde, au sein de laquelle les enfants auraient accès à des livres pour eux, s’est avérée fondamentale.

Pour les « rincones de cuentos » au Costa Rica, nous n’avons pas seulement cherché les budgets pour acheter des collections de livres à apporter aux communautés socialement vulnérables. Nous avons considéré qu’il était nécessaire de développer des cours et des ateliers avec des instituteurs afin que les communautés utilisent les livres de la meilleure manière possible, car il y avait un risque qu’ils ne les voient que comme des décorations, des ornements littéraires, sans utilité ni bénéfice pour les plus petits. Comme l’a exprimé le poète Jorge Luis Borges, nous avons appris que pour qu’ils s’animent et prennent vie, les livres doivent être lus, parcourus, et dans certains cas, ils doivent même être abîmés et réparés en conséquence de leur utilisation.

Nous avons appris qu’il n’était pas nécessaire d’avoir un nombre de livres écrasant pour encourager la lecture mais que la qualité est bien plus importante. Et quand on parle d’un livre pour enfants, il ne faut pas oublier que l’on parle d’une œuvre complète, dans laquelle dialoguent l’écriture, l’illustration, le graphisme et même la qualité du papier dans le cas des livres imprimés et non numériques.

Nous avons monté ces coins de lecture dans des écoles publiques des quartiers ouvriers de San José, la capitale du pays, et aussi à l’Hôpital national pour enfants. Mais je me sens particulièrement fier d’avoir fondé les trois premières bibliothèques spécialisées en littérature pour la jeunesse dans des centres éducatifs autochtones du territoire de Talamanca dans la province caribéenne de Limón. Il faut savoir que c’est la province qui compte le moins de bibliothèques et de librairies du pays et que ces territoires indigènes, ruraux, frontaliers du Panama, ont été traditionnellement oubliés par les politiques en exercice. C’est l’un des objectifs de la littérature pour la jeunesse : humaniser et sensibiliser tous les enfants, sans faire de distinction d’aucune sorte.

 

En tant qu’auteur, y a-t-il un message ou un thème en particulier que vous avez voulu développer dans vos propres livres ?

Je ne suis porteur d’aucun message particulier. Comme le disait la poétesse argentine María Elena Walsh, « si vous voulez me mettre une étiquette, que ce soit celle de l’humanité ». Rendre plus humain par la lecture est probablement le seul but que je recherche. Et quand on dit cela, il faut penser aux valeurs transcendantes que cela signifie comme la solidarité, l’amitié, la tolérance qui sont, en fin de compte, des manières d’exprimer l’amour. J’ai toujours dit que mes enfants sont mes livres. Les enfants sont conçus dans un acte d’amour et de plaisir, et les livres aussi s’écrivent dans un acte amoureux qui peut être agréable.

Quand les enfants grandissent, chacun développe sa propre identité, fait ses propres choix. Nous autres, en tant que parents, nous tâchons de leur apporter des conseils, mais ils finissent par faire ce qu’ils veulent de leur vie. De la même manière, chaque livre prend un chemin différent, et dès lors, nous les auteurs, nous ne pouvons plus les arrêter. On trouve cachés dans les livres nos désirs les plus intimes, nos confessions les plus secrètes qu’ils finissent par dévoiler sans que nous ne puissions obtenir d’eux la discrétion ou parvenir à les faire taire.

C’est pour cela que la seule chose que je me propose de faire, dans ce métier, c’est d’amuser les enfants : rien qu’avec cela, je suis satisfait.

 

Parlons maintenant plus spécifiquement de littérature pour la jeunesse au Costa Rica. Depuis quand diriez-vous qu’il existe une littérature pour les enfants au Costa Rica et qui en sont les auteurs et les sujets principaux ?

En matière de la littérature pour la jeunesse, notre pays se distingue pour plusieurs raisons. En 1915 une chaire spécialisée a été ouverte à l’École normale, aujourd’hui disparue, dédiée à la formation des instituteurs du primaire au Costa Rica. Cette chaire, à l’initiative de l’intellectuel Joaquín García Monge, avait pour objectif de faire connaître la littérature pour enfants aux jeunes qui allaient devenir instituteurs dans différents centres scolaires du pays. Cette chaire a été bien plus qu’une démarche pédagogique, elle est devenue le creuset d’écrivains qui ont créé des contes, des recueils de poésie, des romans et des pièces de théâtre pour les enfants. Donc, si l’on remonte à ses débuts, la littérature pour la jeunesse au Costa Rica a déjà une histoire de plus d’un siècle.

García Monge n’a pas seulement été un remarquable écrivain, un intellectuel et le directeur d’une célèbre revue culturelle nommée Repertorio Americano, diffusée entre 1919 et 1958, année de son décès. Il a aussi édité des œuvres fondamentales de la littérature costaricienne dont quelques-unes destinées aux plus jeunes. C’est ainsi que l’on a pu découvrir des livres canoniques de notre littérature comme Los cuentos de mi tía Panchita de Carmen Lyra (1920), El delfín de Corubicí d’Anastasio Alfaro (1923), Cuentos viejos de María Leal de Noguera (1923) ou Mulita Mayor de Carlos Luis Sáenz (1949). Il faut savoir que ces livres se rééditent aujourd’hui, ce qui témoigne de leur actualité.

 

Cuentos viejos de María LealMulita Mayor de Carlos Luis Sáenz

 

Dans ces mêmes années, l’activité théâtrale destinée à la jeunesse a également été importante. À titre d’exemple, on peut citer María del Rosario Ulloa Zamora qui a permis la circulation de la première édition de Dramatizaciones infantiles (Pièces de théâtre pour les enfants) en 1925 et Aida Fernández de Montagne qui a publié El teatro de los niños (Le théâtre des enfants) en 1938.

D’autres écrivains costariciens ont contribué de manière significative avec des œuvres comme Cocorí (1947), un roman que Joaquín Gutiérrez a publié dans une première édition à Santiago du Chili ou le poème El sombrero aventurero de la niña Rosaflor, qui a été publié par la pédagogue Emma Gamboa en 1969.

Toutes ces œuvres ont comme point commun de reposer sur l’idée que le folklore est la source première de la littérature pour la jeunesse et de se dérouler en milieu rural. En fait, l’économie du Costa Rica se basait alors sur un modèle d’agro-exportation de produits comme le café, les bananes ou le sucre.

 

Comment se porte aujourd’hui le secteur éditorial pour la jeunesse au Costa Rica ?

À partir du début des années 1970, la littérature de jeunesse au Costa Rica a connu des changements notables qui sont encore visibles aujourd’hui. L’économie costaricienne a subi progressivement les transformations de son modèle agro-exportateur avec l’apparition des industries manufacturières et la vision d’un pays comme destination touristique a également émergé grâce à ses richesses naturelles. En conséquence, cela a entraîné un exode de la population des zones rurales vers les zones urbaines, et évidemment, une augmentation des projets immobiliers principalement concentrés dans le centre du pays. La majorité des enfants a arrêté de vivre dans les zones bucoliques, consacrées à la culture du café, de la banane ou du sucre, et a commencé à vivre dans des résidences protégées de barreaux, avec une plus forte prédominance des appareils technologiques tels que le téléphone ou la télévision.

Les nouveaux auteurs de littérature pour la jeunesse à cette époque-là, comme Lara Ríos, Floria Jiménez, Mabel Morvillo, Adela Ferreto, Alfredo Cardona Peña, Alfonso Chase et Floria Herrero, reflétaient ces changements en faisant une littérature pour les enfants qui vivaient dans ces zones urbaines et mettaient en avant des thématiques nouvelles comme la guerre ou les problèmes écologiques.

Ces livres ont été publiés par des maisons d’édition de l’État qui émergeaient alors. C’est le cas d’Editorial Costa Rica, créée par une loi de la République en 1959, qui a commencé à faire paraître une collection pour la jeunesse dans les années 1970. Il en a été de même avec les éditions d’universités publiques comme l’Editorial de la Universidad Estatal a Distancia (EUNED), l’Editorial de la Universidad de Costa Rica (EUCR) ou l’Editorial de la Universidad Nacional (EUNA).

Au cours des années 1980, 1990, et au début du XXIème siècle, sont apparues des maisons d’édition privées spécialisées dans la littérature jeunesse comme Editorial Farben, Editorial Farben-Norma, Club de Libros ou La Jirafa y Yo, parmi tant d’autres. Tout cela signifiait l’épanouissement du livre pour la jeunesse. On peut dire qu’aujourd’hui, dans ce pays d’environ 5 millions d’habitants, plus d’une centaine de livres pour les enfants sont produits chaque année. Une proportion aussi large et variée n’a pas que des conséquences positives. Beaucoup d’œuvres manquent de qualité d’un point de vue de l’écriture, des illustrations ou du graphisme. De plus, en étant considéré comme une simple industrie, le livre est fabriqué en accord avec les besoins des adultes et non des enfants, et cherche à atteindre des objectifs éducatifs, en oubliant que la littérature c’est du divertissement, du jeu, du plaisir et même du transgressif ou du politiquement incorrect.

 

En 1990 vous avez reçu le prix Carmen Lyra qui récompense un auteur de littérature pour la jeunesse au Costa Rica. Pouvez-vous nous parler de ce prix et de qui était Carmen Lyra ?

Photographie de jeunesse de Carmen Lyra, vers 1910 (Wikimedia commons)Au travers de ce prix, on rend hommage à une femme extraordinaire, non seulement du Costa Rica, mais aussi d’Amérique latine. Carmen Lyra était le pseudonyme utilisé par María Isabel Carvajal. Elle est née en 1887 à San José. Elle s’est formée comme institutrice au Colegio Superior de Señoritas, une institution révolutionnaire pour l’époque car elle se consacrait à l’éducation des femmes, ce qui n’était pas commun. Là-bas, elle n’a pas seulement reçu une formation humaniste et scientifique d’excellence, elle a aussi acquis une bonne maîtrise de la langue française et anglaise. Il faut avoir à l’esprit que la France était une référence en matière d’éducation et de culture au Costa Rica au XIXème.

Cette jeune femme a produit une œuvre littéraire précieuse qui couvre différents genres, notamment des nouvelles, des essais, des romans, du théâtre et de la littérature pour la jeunesse. Comme on l’a déjà dit, son livre Los cuentos de mi tía Panchita (1920) a été une œuvre pionnière dans ce domaine. Pourtant, d’autres de ses œuvres, comme le roman En una silla de ruedas (1917, revu et corrigé en 1946), lui ont conféré une grande notoriété.

Elle s’est consacrée à l’enseignement dans le primaire et a été à l’origine de l’ouverture en 1925 de l’Escuela Maternal, le premier centre d’éducation préscolaire du pays, après avoir découvert la pédagogue Maria Montessori lors d’un voyage d’études qu’elle a fait en Italie, en France, et probablement en Belgique en 1919.

Carmen Lyra a laissé une profonde empreinte politique. Au cours de sa vie, sa pensée a évolué d’une vision religieuse catholique avec de profondes préoccupations sociales vers l’anarchisme. Dans les années 1920, elle a souscrit aux thèses du mouvement APRA (Alliance populaire révolutionnaire américaine) qui mettait déjà en évidence l’impérialisme des États-Unis sur l’Amérique Latine. À partir de 1931, elle s’est affiliée au jeune Parti Communiste au sein duquel elle a milité jusqu’à la fin de ses jours. Elle est décédée dans la ville de Mexico en mai 1949. Pedro y su teatrino maravillosoEnviron un an auparavant, elle avait dû s’installer au Mexique avec la fin de la Guerre civile de 1948. Elle est morte loin de sa patrie avec le fervent désir d’y revenir.

L’Editorial Costa Rica a lancé un prix de littérature pour la jeunesse en 1972 pour rendre hommage à la mémoire de cette femme. Le premier a été décerné en 1975, il y a exactement un demi-siècle. 

Le jury a décerné cette distinction à mon livre de contes Pedro y su teatrino maravilloso7 il y a 35 ans ; j’étais alors un très jeune auteur et cela a signifié pour moi un engagement absolu, pour le reste de ma vie, avec l’écriture et la diffusion de la littérature pour enfants. J’ai la chance de voir mon travail récompensé qui continue à être réimprimé et lu dans les écoles et les foyers.

 

En avril 2016 vous avez intégré l’Académie costaricienne de la langue. Que pouvez-vous nous dire de cette institution et de vos missions en son sein ?

L’Académie costaricienne de la langue8 est une institution savante à but non lucratif fondée en 1923, elle est l’équivalent de la Real Academia Española (RAE) et fait partie de l’Association des Académies de langue espagnole (Asale). Nous étudions la langue espagnole pratiquée dans notre pays dans sa diversité ainsi que les productions littéraires écrites dans cette langue, tout cela dans le contexte d’une nation multilingue, multiethnique et multiculturelle. Nous collaborons aux travaux sur le panhispanisme réalisés dans les différentes académies des pays où l’on parle l’espagnol et ses variantes. Parmi ses projets on trouve le Diccionario de la Lengua Española, Nueva Gramática de la Lengua Española, Ortografía de la Lengua Española, Diccionario Histórico de la Lengua Española, Diccionario de Americanismos ou le Diccionario Fraseológico Panhispánico. De plus, l’Académie costaricienne de la langue participe à la promotion de la Red Panhispánica de Lengua Claro y Accesible (Réseau panhispanique pour une langue claire et accessible).

Actuellement, notre Académie compte 21 fauteuils, répartis selon des lettres qui vont de « A » à « V ». On m’a attribué le fauteuil portant la lettre « O ».

Cela a été un honneur pour moi d’être nommé comme membre de plein siège et à vie, à l’âge de 48 ans. Je crois que j’ai été considéré non pas seulement pour avoir écrit une œuvre littéraire pour les enfants. On a également apprécié mes publications sur la littérature pour la jeunesse du Costa Rica et le fait que j’avais étudié certains textes d’auteurs comme Carmen Lyra, María Leal de Noguera, Carlos Luis Sáenz ou Adela Ferreto. J’étais aussi en train de faire plusieurs recherches, aujourd’hui publiées, sur l’œuvre poétique d’Emma Gamboa.

Je suis actuellement secrétaire du conseil d’administration de cette institution. Outre la préparation de procès-verbaux et de la correspondance officielle, je travaille sur plusieurs projets académiques qui, comme vous le mentionnez à juste titre, sont des missions qui deviennent des raisons d’exister. L’un de ces projets est l’élaboration d’un dictionnaire de la littérature pour enfants du Costa Rica dans lequel seront réunis les profils des auteurs qui ont contribué à ce genre dans le pays depuis plus de 100 ans.

 

Quels auteurs avez-vous lus étant enfant que vous lisez toujours aujourd’hui ? Quels auteurs admirez-vous ou quels auteurs vous inspirent ? Certains sont-ils Français ?

Ma mère, Vera Marta Torres, institutrice à l’école primaire, a eu la sensibilité de me donner des livres dès mon plus jeune âge. Elle m’a constitué une bibliothèque personnelle composée en grande partie de contes populaires ou de contes de fées, comme on les appelle dans la tradition française.

À partir de 1974, ma mère a également pris la peine de m’emmener voir des adaptations de contes classiques pour les enfants au Théâtre National du Costa Rica, un bâtiment historique et patrimonial fondé en 1897. Sa façade néoclassique majestueuse et la délicatesse de ses salons intérieurs au sein desquels se dévoile la pureté d’un style baroque et rococo, m’ont permis d’avoir une nouvelle vision du sublime, et de comprendre que l’humain a besoin de la beauté comme il a besoin d’eau et de nourriture.

Au Théâtre National, j’ai vu des adaptations d’œuvres littéraires comme Blanche-Neige, Aladin ou la Lampe merveilleuse ou Pinocchio. Mais c’est l’histoire de Cendrillon qui m’a permis de croire en la bonté des gens et que le sentiment de beauté fait étinceler la joie même dans une robe recouverte de cendres.

Je conserve avec dévotion beaucoup de ces livres. Par exemple, ma mère m’avait mis entre les mains deux éditions anciennes de La Belle au bois dormant et La Belle et la bête publiées en Espagne en 1953 : des livres aux illustrations en relief qui rivalisent encore très bien aujourd’hui avec nos livres électroniques réalisés avec les dernières technologies.

La belle et la bête, Madame Leprince de Beaumont, 1757.Des cycles s’ouvrent et se ferment dans la vie d’une manière curieuse. L’un de mes livres les plus appréciés s’appelle El espejo de la Patria, el Teatro Nacional de Costa Rica contado a la niñez (Le miroir de la Patrie, le Théâtre National de Costa Rica raconté aux enfants)9, et il raconte l’histoire de ce théâtre, petit comparé à d’autres comme l’Opéra de Paris, mais qui m’a fait rêver et croire en la beauté.

Il y a des années j’ai su que certains contes qui ont enflammé mon imagination lorsque j’étais enfant, comme Cendrillon, Le Petit Poucet ou La Belle au bois dormant, étaient des versions tirées du folklore par des auteurs comme Charles Perrault à la cour de Versailles en 1697, ou dans l’histoire de la Belle enfermée dans un château avec un monstre, une version récupérée par Madame Leprince de Beaumont en 1757.

Ce sont des histoires qui voyagent, elles sont universelles. En 1923, une autrice costaricienne, María Leal de Noguera, a écrit sa version de La Belle et la bête sous le titre La mano peluda (La main velue). C’est le signe que nous sommes unis par les mots, que nous vivons tous dans ce pays stimulant de l’enfance.

 

 

Notes et références

1. Les ouvrages donnés à cette occasion reflètent la richesse de l’offre éditoriale et de la recherche au Costa Rica. On y trouve des ouvrages de littérature et d’histoire mais aussi des ouvrages académiques sur les sciences de l’éducation, l’économie ou encore la politique. Les ouvrages sont actuellement en cours d’intégration dans le catalogue général de la BnF (https://catalogue.bnf.fr/index.do). 

2. La revue pour la jeunesse Tambor a été publiée au Costa Rica de 1986 à 1993. 

3. Ce livre de contes a effectivement été traduit en français par Georges Pillement et publié par Ferdinand Sorlot en 1944 [Cote BnF : 8-Z-25571 (69)]. 

4. Ferreto, Adela. Las fuentes de la literatura infantil y el mundo mágico. San José : Ministerio de Cultura, Juventud y Deportes, 1985. 

5. Voir : https://www.ucr.ac.cr/noticias/2023/01/14/el-rincon-de-cuentos-que-rinde-homenaje-a-carlos-rubio-profesor-de-la-ucr-abrio-sus-puertas-en-el-historico-edificio-metalico.html (consulté le 14 mai 2025). 

6. Geneviève Patte est la créatrice de La Joie par les Livres et de La Revue des livres pour enfants (https://cnlj.bnf.fr/fr/page-editorial/la-revue-des-livres-pour-enfants) (consulté le 14/05/2025). 

7. Ce livre n’est pas traduit en français. 

8. Voir https://www.acl.ac.cr/ (consulté le 14/05/2025). 

9. Le livre n’est pas traduit en français à ce jour. 


Pour aller plus loin

Carlos Rubio est né à San José au Costa Rica en 1968. Après des études universitaires réalisées dans son pays, il devient professeur de littérature pour la jeunesse à l’Université du Costa Rica et à l’Université nationale du Costa Rica. Auteur lui-même de plus d’une dizaine de livres destinés aux enfants, il est récompensé en 1990 par le prix Carmen Lyra pour Pedro y su teatrino maravilloso, le plus prestigieux du pays qui récompense une œuvre de littérature pour la jeunesse.

Carlos Rubio est également le promoteur et responsable d’un programme éducatif baptisé « El rincón de cuentos » qui encourage l’apprentissage par le livre et la lecture dans les écoles du pays, singulièrement dans les zones rurales ou éloignées des institutions culturelles. Fervent défenseur du pouvoir des mots, il est intervenu lui-même à de nombreuses reprises auprès des enfants pour conter dans les écoles.

Reconnu par ses pairs, il intègre l’Académie de la langue du Costa Rica en avril 2016, à l’âge de 48 ans. Dans son discours d’installation, il rend hommage à la littérature pour la jeunesse et à quelques-uns de ses maîtres à penser, tels Joaquín García Monge, María Leal de Noguera ou, bien sûr, Camen Lyra.

 


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