Muna Kalati : une ambition pour le livre de jeunesse africain

Rencontre avec Christian Elongué

Propos recueillis par Emilie Bettega
homme en costume traditionnel

 

Christian Elongué est le co-fondateur d’une plateforme numérique qui propose de nombreux contenus autour de la littérature de jeunesse africaine. Muna Kalati, en langue duala, signifie entre autres choses, « livre pour enfant». L’association fédère les écrivains, illustrateurs, éditeurs et autres professionnels du livre jeunesse africain, afin d'assurer une meilleure promotion et une plus grande valorisation de toute la chaîne du livre pour enfants.

 

 

Pouvez-vous définir Muna Kalati en quelques mots?

Juridiquement, Muna Kalati est une association à but non lucratif qui a comme mission la promotion de la littérature de jeunesse africaine. Pour cela, nous avons mis en place une plateforme qui permet de promouvoir le travail des auteurs et éditeurs de livres jeunesse
en Afrique. Nous publions un magazine trimestriel, Muna Kalati, qui rassemble l’actualité de l’édition africaine jeunesse, les initiatives et les projets que nous menons sur le terrain ainsi que la présentation des dernières parutions de livres pour enfants. L’essentiel de nos activités est financé par les formations et ateliers que nous menons ainsi que par le financement participatif et nos fonds personnels.

 

Couverture du Magazine Muna Kalati où l'on voit une bibliothèque sous forme d'arche de Noé

 

Mais Muna Kalati c’est avant tout une équipe et une famille panafricaine composée de huit personnes : un président (moi), un directeur éditorial (Dr. Narcisse Fomekong), une chargée des programmes de littérature de jeunesse (Délali Kpotufe), un responsable administratif et des partenariats (Herman Labou), un trésorier (Hector Flandrin), une équipe chargée de la communication digitale (Arthur Kevin, Polina Khoroshevskaya), et une chargée d’animation culturelle (Guinaelle Kengne). Le réseau que nous tissons sur toute l’Afrique a été possible grâce aux membres du comité consultatif qui méritent toute notre reconnaissance. Nommons entre autres l’illustrateur Joël Ebouemé, l’écrivaine Kidi Bebey, l’activiste littéraire Acèle Nadale et l’éditrice Akoss Ofori-Mensah.

Rendre visible l’édition jeunesse en Afrique, c’est la raison d’être de Muna Kalati : quelles formes cela prend-t-il sur votre plateforme?

Il s’agit d’un travail de promotion, de formation et de sensibilisation. Tout d’abord, nous faisons la promotion des livres de jeunesse – du point de vue de vue de l’actualité éditoriale et d’un point de vue rétrospectif et patrimonial- mais nous produisons aussi des analyses sur différentes problématiques, comme l’éducation à la lecture, la bibliothéconomie, la bibliothérapie et l’enseignement de la littérature de jeunesse. Par exemple, nous avons récemment publié deux articles l'un présentant le livre comme un médicament aux vertus multiples et un autre qui explore les facteurs qui freinent l'essor de la littérature de jeunesse en Afrique francophone.

 

Des enfants brandissent des livres à l'extérieur

 

Par ailleurs, nous encourageons l’établissement de prix littéraires pour célébrer, consacrer et légitimer le travail des auteurs, éditeurs et libraires jeunesse en Afrique. C’est dans ce cadre que nous accompagnons le Prix Hervé Gigot pour l’Illustration du Livre Jeunesse en Afrique, organisé par les éditions Ruisseaux d’Afrique et l’Association Semaine du Livre Béninois de Jeunesse (Asso-SELIBEJ). Nous promouvons aussi le salon alternatif du livre de jeunesse du Bénin – Salon du Livre Compagnon des Apprentissages (LICA) – dans le cadre du projet Ressources Éducatives qui s’est déroulé du 24 au 28 novembre 2021.

Nous avons également promu le travail de l’ARED (Associates in Research and Education for Development) au Sénégal où le nombre de livres pour jeunes dans les langues nationales est très faible. Pour y remédier, ARED-éditions développe du matériel didactique et des livres en langues sénégalaises. L’ARED a aussi publié 28 titres de livrets de lecture pour le plaisir en français, en pulaar et en wolof, tiré en 446 000 exemplaires et distribués gratuitement à 235 000 élèves dans la zone d’intervention de son programme bilingue.


Quelles sont les actions d’animation et de formation que vous menez ?


En termes d’animation, nous avons deux orientations : une orientation sociale et une orientation plus scolaire.
Nous nous intéressons par exemple à la création de bibliothèques dans les orphelinats pour faciliter l’accès aux livres pour les enfants moins nantis. Lors de notre venue, à l’orphelinat MANDRAPP à Edéa, nous avons animé une séance de lecture autour de l’album Une merveilleuse grand-mère de Joël Ebouemé. L'un des personnages étant un orphelin, les enfants ont été très attentifs.

 

Un animateur lit un livre entourés d'enfants


Dans le cadre de nos actions en direction des écoles, nous organisons des ateliers dits de « Lecture Plaisir » avec les écoles au Togo et  avec l’Alliance Française au  Cameroun. Ces ateliers incluent le conte, le slam, la poésie, le débat scolaire et la peinture artistique pour permettre aux jeunes de découvrir toute la richesse possible de la littérature jeunesse et des activités que l’on peut susciter avec les livres.


Sur le plan de la formation, nous nous adressons au grand public mais aussi aux médiateurs et particulièrement aux professeurs. Etant donné que beaucoup d’enseignants ne sont pas des familiers du livre jeunesse, il est important non seulement de les informer, mais aussi de les former à la médiation de la lecture et aux pratiques pédagogiques à partir des livres jeunesse. Les Ecoles Normales Supérieures sont généralement les institutions de l’enseignement supérieur responsables de la formation des enseignants et ce sont donc des institutions que nous cherchons à toucher.


Pour influencer les politiques nationales sur la lecture et le livre, nous organisons des webinaires avec les chercheurs et personnalités du monde de l’éducation pour leur apprendre des pratiques innovantes. En novembre dernier nous avons fait notre 10ème webinaire autour des « racontages ».  Plutôt dans l’année nous avions organisé une rencontre avec Christophe Cassiau Haurie sur la Bande Dessinée camerounaise. La réécriture de l’histoire africaine a été aussi le sujet d’un webinaire. Ces derniers sont désormais disponibles en podcast sur Podbean ou via SoundCloud.


Pouvez-vous nous parler de vos valeurs?


Notre passion, notre équité, notre intégrité et notre croyance en la diversité nous conduisent à travailler avec tous les acteurs de l’édition jeunesse et à destination de de tous les âges - de la petite enfance à l'adolescence- . Nous donnons accès à une information fiable et de qualité transmise par des organismes reconnus et des spécialistes des questions traitées. Nous soutenons des concours pour encourager les écrivains. Enfin, nous croyons que la littérature jeunesse devrait refléter la réalité et nourrir l’imaginaire de tous les enfants.
Nous défendons la nécessité de traduire et de publier dans les langues africaines pour accroître la visibilité des livres pour enfants et promouvoir l’interculturalité ainsi que  la promotion des éditeurs indépendants et auteurs jeunes ou « peu » visibles à qui nous donnons une tribune par le biais d’interviews. Et nous menons surtout des actions de plaidoyers lors des rencontres internationales avec les décideurs et acteurs influents du livre jeunesse. J’ai toujours été en faveur de la diversité éditoriale et de la pluralité des voix et des histoires. Et nous parlons de toutes les initiatives qui font la promotion de la bibliodiversité.

Muna Kalati va fêter ses cinq ans dans un mois. Pourriez-vous revenir sur la naissance du projet ?


C’est l’aboutissement du projet professionnel sur lequel j’ai travaillé avec assiduité pendant deux ans à l’Université Senghor d’Alexandrie. Pendant mes études de master, j’ai eu l’occasion d’être accueilli en stage à la Bibliothèque nationale de France. Et mon expérience au Centre national de la littérature pour la jeunesse (CNLJ) sous la supervision de Viviana Quiñones (co-fondatrice de Takam Tikou), m’a permis d’avancer dans mon projet. À la suite, j’ai rédigé un ouvrage publié par l’Harmattan à Paris en 2019 : Introduction à la littérature Jeunesse du Cameroun. Au-delà du Cameroun, cet ouvrage présente un aperçu détaillé du livre jeunesse dans l’espace francophone africain. Enfin, mes rencontres avec des écrivains et des chercheurs m’ont permis de finaliser le montage du projet, aboutissant au lancement du site web www.munakalati.org en avril 2017.
Ceux qui aimeraient nous rejoindre dans la promotion du livre jeunesse africain peuvent nous contacter à content@munakalati.org ou m’écrire à elongue@munakalati.org. Nous sommes également disponibles sur Twitter, Facebook, Linkedin ou SoundCloud pour nos podcasts.  

 

Pour aller plus loin

Au cours d’une formation universitaire en Gestion des Industries Culturelles et créatives, Christian Elongué a écrit un ouvrage sur la promotion et la légitimation de la littérature d’enfance et de jeunesse en Afrique francophone. Il a collaboré à la revue Takam Tikou du Centre national de la littérature pour la jeunesse à la Bibliothèque nationale de France. Passionné par le livre et la lecture depuis l’enfance, il est convaincu de l’enjeu du livre pour enfants auprès des jeunes africains. 

www.munakalati.org