Retour sur le projet Ressources éducatives – Lire pour apprendre

« Faire du livre jeunesse le compagnon des apprentissages »

Propos recueillis par Emilie Bettega
Dame lisant sur une montagne de livres

Il n’est pas toujours simple de parler d’un projet de coopération sans tomber dans le vocabulaire de l’ingénierie de projet et se perdre dans la complexité des montages administratifs et financiers. Pourtant, le projet Ressources éducatives – Lire pour apprendre- mérite que l’on se penche sur ses objectifs parce qu’il a favorisé et rendu possibles de nombreux projets autour du livre de jeunesse en Afrique subsaharienne.

Les Ressources Éducatives: qu'est-ce-que c'est ?

logo RE

Pour cela, l’équipe de Takam Tikou a décidé de donner la parole à quelques acteurs et actrices bénéficiaires du projet, et tout d’abord, à ses ingénieures de projet. 
Direction l’Institut français où nous sommes reçus par Clémence Théveniau et Solène Leblanc-Maridor, chargées de projet au sein du pôle Culture et Partenariats solidaires.

Clémence travaille pour le projet Ressources éducatives depuis son lancement en 2020. Elle nous raconte comment l’Agence Française de Développement a pensé et initié le projet : « L’enjeu initial était d’améliorer les apprentissages scolaires dans seize pays d’Afrique subsaharienne francophone. Pour ce faire, L'AFD a choisi une approche globale et innovante : appuyer la production et la diffusion de la littérature de jeunesse en complément des manuels scolaires. » Ainsi l’AFD a proposé à l’Institut français de porter la composante du programme autour de la littérature de jeunesse et du livre « compagnon des apprentissages ». En parallèle, l’UNESCO s’est vu confier les deux autres composantes autour des manuels scolaires.

Freiné dans ses débuts par la crise sanitaire de mars 2020, le projet s’adapte et parvient à poursuivre ses objectifs autour d’une méthodologie éprouvée : faire se rencontrer l’ensemble des acteurs de la chaîne du livre et de l’éducation. Parmi les seize pays ciblés par l’AFD, six sont identifiés par l’Institut français : Bénin, Burkina, Madagascar, Guinée, Mali et Sénégal. Pour la première phase du projet (2020-2022), trois types d’actions sont mis en œuvre: les actions de plaidoyer, des actions de sensibilisation, de médiation et de formation ainsi que des actions visant à renforcer les capacités des acteurs de la chaîne du livre en accompagnant la structuration de la filière au niveau local.

Les actions de plaidoyer

Afin de stimuler le développement de politiques publiques en faveur du livre et de la lecture des rencontres multi-acteurs sont organisées: ministères en charge de l'Éducation, de la Culture et de la Jeunesse, professionnels de la chaîne du livre, bibliothécaires et enseignants....

Portrait d'un hommeRéférent francophone pour les livres auprès de l’ADEA (Association pour le développement de l’éducation en Afrique), se souvient d’ateliers de plaidoyer qu’il a préparés et animés pour l’Institut français : « En 2021, lors des ateliers de plaidoyer, j’ai travaillé avec l’ensemble des acteurs de la chaîne du livre du Burkina Faso, du Bénin, de la Guinée, du Mali et du Sénégal. Les participants sont sortis des deux jours d’atelier avec des projets de plans d’action nationaux de plaidoyer qui constituent des outils de travail pour les comités de suivi mis en place. Je me réjouis d’avoir été associé en tant que mandataire de l’IF à ce projet d’actions de plaidoyer en faveur du livre de jeunesse comme facteur d’amélioration des apprentissages. »  
À l’issue de ces actions, trois pays pilotes ont été choisis  : le Bénin, la Guinée et Madagascar. 

Intéressons-nous maintenant aux plans d’action nationaux dont parle Aliou Sow en donnant la parole à Mamadou Alpha Diallo, chef du département des acquisitions et de la documentation des bibliothèques de lecture publique au CELPAC (Centre de lecture publique et d’action culturelle) en Guinée.

 

Portrait d'homme portant des lunettes

En effet, Alpha Diallo a été l’un des acteurs du programme en Guinée aussi bien pour le volet plaidoyer du projet que pour la réalisation de projets de médiation pour les bibliothèques, par exemple. Dans l’entretien que nous avons eu avec lui, il revient sur l’un des projets : le plaidoyer pour les bibliothèques en Guinée auprès des élus locaux et des autorités préfectorales qu’il a conduit au premier semestre 2022.


« Suite à l’équipement en matériel informatique et à la mise à disposition de ressources numériques libres de droit et de la formation des personnels de dix bibliothèques pilotes réparties dans toute la Guinée, projet mené en partenariat avec le SCAC de l’Ambassade de France, l’Institut français, le COBIAC et l’Association EDA (Les enfants de l’Aïr), le CELPAC a mené une action de plaidoyer dans le cadre du plan national de plaidoyer auprès des acteurs concernés pour soutenir le succès remporté ou bien remédier aux problèmes structuraux qui empêchaient à l’investissement réalisé d’être réellement opérant. De cette mission de plaidoyer, je garde un souvenir radieux car ce séjour sur le territoire guinéen a permis au CELPAC de signer huit conventions avec les autorités locales sur les dix bibliothèques concernées. Dans le cadre de ces conventions, il était demandé aux autorités de prendre en charge le nettoyage et le gardiennage des bibliothèques mais aussi un renouvellement de l’alimentation électrique suite à l’équipement en informatique et en ressources numériques des bibliothèques ainsi que la rémunération des bénévoles qui avaient été formés pendant la réalisation du projet. Ce succès, sur le terrain, j’ai envie aujourd’hui de l’illustrer en parlant de deux bibliothèques : celle de la préfecture de N’Zérékoré en Guinée forestière et celle de la municipalité de Kamsar en Basse-Guinée.

À N’Zérékoré, nous avons été reçu par le préfet lui-même, un colonel de l’armée guinéenne. Il y avait là un vrai problème d’alimentation électrique. Eh bien, cet officier, militaire engagé et convaincu de l’importance de la lecture publique a réglé le problème en direct devant nous, en décrochant son téléphone et en demandant le raccordement immédiat de la bibliothèque avant de se rendre sur place pour voir le succès remporté par cette dernière en terme de fréquentation. À Kamsar, le cas était un peu différent car la bibliothèque n’est pas préfectorale mais municipale et c’est donc le maire qui a nous reçus chez lui alors même qu’il était souffrant. Convaincu de l’importance de cet effort déjà opéré par le CELPAC dans le cadre du programme RE, il ne souhaitait pas, néanmoins, signer la convention que nous lui proposions, considérant que la bibliothèque était, pour des raisons historiques, davantage une bibliothèque préfectorale. Les années avaient amené cette situation où le dialogue entre le maire et la bibliothécaire, chacun en poste depuis longtemps, était rompu. Notre action de plaidoyer fut ici une action de médiation qui eut pour résultat le retour du maire à la bibliothèque, la signature de la convention et l’achat de la part de la mairie d’un grand écran pour la salle d’animation de la bibliothèque. » 

Des actions de sensibilisation, de médiation et de formation

Comme on peut le percevoir dans le témoignage d’Alpha Diallo, son action de plaidoyer est venue soutenir la mise en place d’une action de sensibilisation et de médiation permettant de faire évoluer la perception et l’usage du livre. Le projet Ressources éducatives a axé une grande partie de ses activités autour du volet « Sensibilisation, médiation et formation », par exemple : des actions de formation destinées aux bibliothécaires, aux enseignants, des soutiens apportés à des salons littéraires, des animations pour les jeunes…

Enfant de face avec un livre
Ces actions ont été conduites et soutenues dans les trois pays pilotes mais également au Mali, au Burkina Faso et au Sénégal, au fil des projets présentés à l’équipe et de leur intégration dans la dynamique générale du programme : les rentrées littéraires et la formation à l’édition numérique au Mali, le Salon du livre compagnon des apprentissages au Bénin, la formation d’enseignants et de bibliothécaires à Madagascar... Ce fut aussi le cas de la Biennale des Littératures francophones d’Afrique noire de Bobo-Dioulasso dont la cinquième édition a eu lieu du 17 au 21 mars 2022. 

Safiatou Faure Sissoko est à l’origine de cet événement culturel organisé par deux associations, l'Agence de médiation culturelle des pays du Sahel et le Goût du Livre. La biennale se donne pour but de faire connaître, autrement, aux élèves des écoles burkinabè (public prioritaire de ses actions) les cultures africaines, à travers la littérature notamment. Cette année, le programme Ressources éducatives _– Lire pour apprendre a permis à la biennale de parler de littérature de jeunesse lors d’une journée professionnelle sur le thème « Identité et identification ». Des ateliers et formations animés par des auteurs en résidence de création ont également pu être organisés. En raison de l’importance de cette biennale et du dynamisme de sa responsable, il nous a semblé important de lui donner la parole : 

Portrait de femme de face« Sans l’aide du projet Ressources éducatives, il n’y aurait pas eu de biennale cette année à Bobo-Dioulasso. Je voudrais relever la place qu’accorde le projet à la possibilité de médiation, à la fois par les organisations de l’État et par les opérateurs culturels privés. Avec le projet RE, le rôle de la médiation a pris toute son importance.
J’ai trouvé que c’était d’une intelligence remarquable d’affirmer que la place du livre loisir était incontournable dans les apprentissages en classe, et particulièrement dans les écoles burkinabè qui ont des effectifs moyens de cent élèves par classe. D’où l’importance de la formation des enseignants à l’utilisation des livres de jeunesse en classe pris en compte dans le cadre du programme RE.
De plus, ce programme a permis la mise en réseau des opérateurs de plusieurs pays afin de créer non seulement une dynamique nationale mais également une dynamique régionale, et internationale. La rencontre bilan à Dakar en juin 2022 nous a convaincus, s’il en était besoin, que le projet RE est un projet hautement utile pour tous les acteurs de la chaîne du livre : responsables politiques, éditeurs, libraires, documentalistes, bibliothécaires, responsables des festivals de littérature, enseignants et parents d'élèves.


C’est arrivé au bon moment pour moi, comme si on avait lu dans mes pensées, je ne peux que dire merci à toute l’équipe de l'Institut français qui m’a permis de réaliser certains de mes projets dans le cadre des objectifs que je me suis fixés à travers l’Agence de médiation culturelle du Sahel depuis 2002 et le Goût du Livre depuis 2014. Grâce aux financements que nous avons eus par l’IF, nous avons commencé à former des jeunes à l’écriture de livres pour les tout-petits. Nous espérons que grâce à ces formations nous aurons bientôt des auteurs jeunesse au Burkina Faso."


Assemblée d'enfants

 

Renforcer les capacités des acteurs de la chaîne du livre en accompagnant la structuration de la filière au niveau local

Il est un volet du programme avec lequel nous souhaitons conclure cet article : celui du soutien aux acteurs privés de la chaîne du livre (éditeurs, libraires, diffuseurs, etc.), autrement dit ceux qui sont à l’origine du dynamisme de la création mais qui, souvent, s’impliquent aussi dans les salons et les actions de médiation. 

À Madagascar, le projet Ressources éducatives a accompagné plusieurs maisons d’édition dans la conception, l’édition et la publication de dix albums de jeunesse bilingues. Au Mali, les Éditions Gafé ont été soutenues pour publier des livres en langues locales. Des formations ont été organisées grâce à des financements du projet : l’Asfored, association française, pour la formation et le perfectionnement professionnels dans les métiers de l’édition, a, par exemple, donné une formation sur l’édition numérique au Mali.

 

De cette formation est née une aventure, celle de Bibook, la première plateforme de livres numériques africains, du nom de l’application qui a été adaptée aux besoins du projet. Nous avons été en contact au mois d’octobre avec AllaDji Ismaïl Sy (Mougnan-Mougnan) artiste comédien, humoriste, auteur, coordinateur général de Culture en Partage et devenu chef opérationnel de la maison d'édition numérique BiBook.

 

 

Homme de trois quart

« Effectivement, BiBook propose des livres africains ou des livres qui ont un lien avec l'Afrique, des livres de jeunesse qui sont la plupart la transcription de contes africains en version bilingue (texte et audio). D’ici la fin de l’année, les livres de jeunesse seront prêts et apparaîtront sur notre l'application BiBook mobile. Nos livres sont uniquement lisibles sur l'application BiBook, téléchargeable gratuitement sur App Store et Play Store sur téléphone et tablette. Actuellement, nous travaillons à la nouvelle mise à jour de l'application, la mise en ligne des nouveaux titres et la mise à jour de nos sites.

La formation de l’Asfored a été primordiale pour permettre de comprendre le fonctionnement de l’application, ses possibilités et ses limites ainsi que les implications de ses mises à jour. Aujourd’hui, le projet avance. Restent les questions complexes de droit d’auteur et de négociation avec les éditeurs. L’idéal serait d’avoir à nouveau, une formation, mais sur les questions de droits d’auteur, cette fois. »

 

 

 

 

En route vers la phase 2 : des rencontres de Dakar à aujourd’hui 

Comme nous l’explique Solène Leblanc-Maridor, qui co-pilote le projet Ressources éducatives – Lire pour apprendre à l’Institut français, la phase 1 s’est achevée lors des rencontres de Dakar en juin 2022 dont nous a parlé Safiatou Faure. Les  pays concernés par le projet – Bénin, Burkina Faso, Burundi, Comores, Congo Brazzaville, Djibouti, Guinée, Madagascar, Mali, Mauritanie, Niger, République centrafricaine, République démocratique du Congo, Sénégal, Tchad, Togo – avaient envoyé, chacun, une délégation de huit personnes. seize

La signature de la phase 2 du programme avec l’AFD aura lieu courant novembre. L’idée est de poursuivre la dynamique enclenchée en phase 1 à l’échelle régionale en déclinant les trois axes du programme : plaidoyer, actions en faveur des professionnels du livre et actions de médiation et formation. Tout est déjà en place dans les trois pays pilotes (Guinée, Bénin, Madagascar). Ils devront poursuivre leurs actions en cherchant à avoir un développement régional. En parallèle, un appel à projets « Lire pour apprendre » ouverts aux treize autres pays sera lancé en décembre 2022. La phase 2 se poursuivra jusqu’en 2025, ponctuée d’actions de plaidoyer et d’organisation de rencontres multi-acteurs et internationales…

Quant à nous, au sein de Takam Tikou, nous continuerons de suivre le projet et nous remercions par avance tous ceux qui souhaiteraient nous faire part de leur expérience passée ou avenir des RE – Lire pour apprendre. En effet, nous avons conscience que ces quelques témoignages, aussi riches soient-ils, ne couvrent pas, loin s’en faut, toute la diversité et la richesse que le programme a permis d’initier.

Photo d'un groupe d'enfants

 

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