« Livres jeunesse en Caraïbe » : un concours de création d’albums à la Guadeloupe

Patricia Navet et Ernest Pépin

Le conseil général de la Guadeloupe, à travers la bibliothèque Caraïbe Bettino Lara, a décidé de s’impliquer dans une action qui permet à la fois de favoriser la création de livre pour enfants et de développer, dans les familles, les pratiques de lecture en direction des plus petits. « Livres jeunesse en Caraïbe » est un programme exemplaire d’organisation d’un concours de création littéraire, car il a permis une réflexion sur les enjeux de l’album pour les futurs auteurs ou illustrateurs et, au final, sur la lecture d’un beau livre partagée entre enfants et parents.

Les coulisses du concours : entretien avec Patricia Navet

Patricia Navet est bibliothécaire, responsable de la section jeunesse de la médiathèque Caraïbe. Elle a pris en charge la conception et la réalisation de ce projet.

Comment est née cette idée de faire écrire et illustrer des livres pour les plus petits ?

Tout a commencé à la médiathèque Caraïbe Bettino Lara, établissement du conseil général de la Guadeloupe, spécialisée dans l’information et la documentation sur la Caraïbe. Elle regroupe l’ensemble des publications produites dans la région et les fait connaître. De ce lieu d’observation, il est aisé de constater que trop peu de livres s’adressent aux plus petits.

En proposant ce concours, elle a donc souhaité à la fois impulser une dynamique autour du livre et de la lecture des jeunes et participer à la création et à la promotion de l’édition jeunesse caribéenne, particulièrement pour les enfants de 0 à 6 ans.
Un tel concours ne peut que susciter l’émergence de nouveaux talents littéraires et artistiques.

Quelles consignes ont été données aux créateurs ?

Les candidats devaient remettre une maquette avec les textes et les illustrations mises en page : des textes inédits bien sûr, écrits en langue française ou dans une autre langue parlée dans la Caraïbe, avec sa traduction en français et des illustrations proposées par le même auteur ou par un illustrateur différent.

Cette œuvre de fiction devait présenter des qualités littéraires, artistiques et esthétiques. Elle devait permettre au lecteur d’accéder au monde de l’imaginaire et à la langue du récit, susciter sa surprise, son étonnement, et favoriser des constructions de sens multiples. Elle devait aussi participer au questionnement du lecteur sur son identité et son rapport au monde, et lui faire découvrir la richesse culturelle, patrimoniale ou contemporaine, de la Guadeloupe et de la Caraïbe.

Comment accompagner l’émergence de nouveaux talents d’auteurs et d’illustrateurs ?

Plusieurs actions ont été mises en place :

  • un guide à l’usage de ceux qui veulent écrire et illustrer pour la jeunesse était joint au règlement du concours et téléchargeable sur le site de la médiathèque Caraïbe.
  • Dominique Mwankumi, Président de l’association Illusafrica, a présenté une conférence sur les ateliers d’illustration qu’il a menés en Afrique - notamment au Burkina-Faso, au Togo, au Mali, au Bénin, au Gabon et en République Démocratique du Congo.
  • un atelier de l’album a accompagné pour quatre jours une quarantaine d’auteurs et illustrateurs en devenir dans leur projet d’écriture. L’objectif était de leur faire découvrir la littérature de jeunesse ou d’en approfondir leur connaissance en matière de production éditoriale (locale, nationale, internationale) : public destinataire, outils et techniques littéraires et artistiques, métiers liés à la création du livre illustré.

Il s’agissait aussi de favoriser les échanges et les rencontres avec des auteurs et des illustrateurs comme Trish Cooke, Dominique Mwankumi, Nicole Noizet et Javie Munoz ; des éditeurs comme Thierry Petit-Lebrun et Chantal Mattet (PLB éditions) ; des bibliothécaires et enseignants, médiateurs du livre jeunesse, comme Sylvana Artis, Eléna Duro-Delag, Nicole Brissac et moi-même.

Cela devait encourager l’émergence de projets réalistes et de qualité - individuels ou en collaboration - et la publication d’œuvres inscrites dans la réalité de l’édition pour la jeunesse contemporaine.

Qui a choisi le lauréat de ce concours ?

Réunissant deux domaines de compétences du conseil général – la lecture publique et la petite enfance –, ce projet a reçu le soutien de la Direction régionale des affaires culturelles, de la Caisse des dépôts et consignations et de la Caisse d’allocations familiales. Le jury était composé de représentants de ces institutions, de partenaires et de professionnels de l’enfance et du livre et de la lecture. Il était co-présidé par Monsieur Jacques Kancel, conseiller général, et par Madame Nathalie Beau de la BnF/ Centre national de la littérature pour la jeunesse – La Joie par les livres où elle est responsable du secteur international. Il s’est réuni le 5 octobre 2009.

Les débats ont été très animés, car sur les quarante-neuf manuscrits reçus, quinze ont vraiment retenu l’attention. Puis, procédant par élimination, il est resté trois titres très difficiles à départager.

Le prix du jury a été attribué à Zandoli mandè mayé = l’Anoli amoureux, écrit par Gilda Gonfier et illustré par Doumey Durieux. Le manuscrit lauréat sera publié en 2010 par un éditeur local.

Tous les manuscrits ont ensuite été exposés pour permettre au public de découvrir de jeunes auteurs et illustrateurs et valoriser leur travail de création. À cette occasion, le public (enfants et adultes) a été invité à donner son avis.

Que va devenir le livre lauréat ?

Cet album sera offert en cadeau par le conseil général de la Guadeloupe à chaque enfant né en Guadeloupe en 2010. Ce geste, fortement symbolique, témoigne de l’intérêt porté à l’épanouissement du tout-petit au sein de sa famille. Il signifie toute l’importance accordée par la collectivité au développement culturel de l’enfant et sera l’occasion d’introduire le livre dans son univers quotidien.

Avoir un livre à soi dès le plus jeune âge est un premier pas vers l’appropriation d’une pratique culturelle autour du livre, en dehors de l’école. Cette pratique n’a de sens que si les parents participent pleinement à l’éveil culturel du tout-petit par le livre. Une plaquette d’information à l’usage des parents, portant sur l’intérêt et l’importance de lire des histoires à leurs enfants, même s’ils ne savent pas encore lire, accompagnera ce livre cadeau.

Le bonheur d’Ernest Pépin, membre du jury de « Livres jeunesse en Caraïbe »

Ernest Pépin est directeur des Affaires culturelles et du patrimoine au conseil général de la Guadeloupe. Il est aussi poète et romancier.

« Travailler au sein d’un jury destiné à sélectionner le lauréat d’un concours de livres pour la jeunesse (de 0 à 6 ans) a été pour moi une aventure exaltante. Je savais déjà que les livres destinés aux jeunes lecteurs sont les plus difficiles à écrire parce qu’ils exigent que l’auteur retrouve son imaginaire d’enfant dans un environnement qui n’est plus le même. Les langues voyagent aussi dans le temps et les sensibilités évoluent sans qu’on s’en aperçoive. C’est donc un tour de force qui requiert le sens de l’émerveille, le plaisir de conter combiné au langage des images. Autant de qualités que nous avons trouvées dans les albums soumis à notre appréciation. Les uns, presque ascétiques à force de simplicité, les autres luxuriants ou bavards, mais tous plongés dans une poésie (une poétique ?) propre à la Guadeloupe et à l’éveil des jeunes lecteurs. Textes inspirés par des chansons populaires en langue créole. Textes se voulant didactiques ou moralistes ouvrant le grand livre de la nature ou celui des traditions. Il fallait choisir non pas seulement en fonction de nos préférences mais aussi en fonction de l’intérêt et du plaisir du public concerné. C’est avec ce souci que nous avons primé un album en français et en créole, assez proche du conte et magnifiquement illustré. Bonheur d’avoir trouvé... Bonheur de susciter des vocations... Bonheur d’ouvrir une voie nouvelle à la littérature de jeunesse. Puisse l’ouvrage primé trouver aussi des lecteurs dans l’Hexagone ! »