Dodo vole, d’Antananarivo à Francfort

Entretien avec Johary Ravaloson des éditions Dodo Vole

Propos recueillis par Laurence Hugues, de l'Alliance internationale des éditeurs indépendants
Photographie de Johary Ravaloson (Copyright Institut français de Madagascar)

En 2017, la Foire du livre de Francfort a mis à l’honneur la langue française. Dodo vole – maison d’édition malgache pour la jeunesse - était l’un des vingt éditeurs d’Afrique et d’Haïti qui, pour la première fois, y ont partagé un stand. Laurence Hugues, directrice de l’Alliance internationale des éditeurs indépendants, interroge Johary Ravaloson autour de cette expérience au sein de la plus importante foire éditorial du monde.

La Foire du livre de Francfort en Allemagne (Frankfurter Buchmesse) se tient chaque année en octobre, réunissant en moyenne 7 000 exposants pendant 5 jours. Si le grand public y est nombreux, la Foire est avant tout un espace dédié aux ventes et achats de droits. Les éditeurs se contactent en amont, se rencontrent pendant la Foire, présentent les titres de leur catalogue… Parfois, des contrats entre éditeurs sont négociés, voire signés – c’est ainsi qu’un livre est ensuite traduit dans une autre langue, pour un nouveau lectorat.

, sur un stand de 60 m².

Johary Ravaloson, des éditions Dodo vole à Madagascar, membre de l’Alliance internationale des éditeurs indépendants est l’un de ces vingt éditeurs, convié dans le cadre du programme d’invitation de la Foire.
 

Pourriez-vous nous expliquer en quoi consiste le « programme d’invitation » de la Foire du livre de Francfort ?

En fait il y a deux programmes différents, le « Fellowship Programme » destiné à de nouveaux éditeurs, récents dans le métier, et l'« Invitation Programme » auquel j'ai eu le plaisir de participer, qui concerne des éditeurs « émergents » ayant déjà un certain nombre de titres au catalogue et souhaitant se lancer sur le marché international. Ce programme permet de faciliter la participation à ce marché. On nous a donc invités un peu avant la Foire à la « Haus des Buches », « Maison du livre » qui regroupe sous le même toit les acteurs du livre allemands2.

Johary Ravaloson avec l'écrivain mauricienne Ananda Devi.

Nous étions une vingtaine d'éditeurs du monde entier et avons participé à des ateliers : présentation de la Foire, du marché, des droits relatifs au livre, des règles juridiques mais aussi des caractéristiques esthétiques requises par le marché international. Puis après avoir déterminé nos offres et demandes, on a chacun ciblé les partenaires potentiels. Lors de la Foire elle-même, on nous a facilité leur approche : accès au Business Club où l'on peut rencontrer en face-à-face des partenaires potentiels, invitations à des forums, participations à des tables-rondes et bien-sûr la mise à disposition du stand d'exposition.

Je profite de l'occasion pour remercier  le Frankfurter Buchmesse (l'organisateur), le BIEF (Bureau internationale de l'édition française) et l'OIF, qui ont été les soutiens nécessaires à notre participation, ainsi que l'Alliance internationale des éditeurs indépendants pour la « soirée des Indé », réunissant des éditeurs indépendants du monde entier, qui a permis des contacts inattendus.

Quels sont les partenariats, les cessions de droits ou achat, les échanges professionnels, les rencontres, les retombées médiatiques qui découlent de votre présence à Francfort, sur le stand collectif « Afrique-Haïti » ?

Le fait de pouvoir être présent constituait déjà un grand encouragement. La dimension collective du stand a rendu possible la connaissance mutuelle et la création de liens. J'espère vraiment que cela débouchera sur une coopération concrète. La diffusion des livres dans la totalité des pays africains francophones pour chacun de nous est quasi-impossible. La coopération, notamment la coédition et les échanges de services de diffusion, semble une très bonne solution. Nous envisageons ainsi d'adhérer à Afrilivres, association d’éditeurs d’Afrique francophone.

Dans le cadre de l’invitation de la France et des langues françaises, une rencontre professionnelle portant sur les évolutions actuelles du marché de l’édition francophone était organisée par le BIEF. Quels sont, de votre point de vue, les points marquants de cette rencontre ?

C'était une thématique pertinente et cette rencontre a permis de conforter nos choix : coopération, publication de livres adaptés au public et au niveau de vie local. Sur ce dernier point, il a été demandé aux éditeurs du Nord de céder des droits d'édition locale pour les ouvrages publiés dans le Nord mais intéressant également le public du Sud. Non seulement les ouvrages en question auront plus de lecteurs (grâce à l'adaptation du prix) mais cela évitera les piratages, les éditions sauvages (j'ai vu, dans les rues d'Abidjan, des photocopies reliées du roman Le Soleil des indépendances d'Amadou Kourouma, publié au Seuil ; elles sont vendues vingt fois moins cher que l'original dans la librairie en face). Je me félicite que la plupart des éditeurs africains soient là-dessus sur la même longueur d'onde. Les perspectives ouvertes se concrétiseront dans la réalité, j'espère. Bien-sûr la cession de ces droits territoriaux pour les livres des auteurs africains publiés en France requiert la coopération des éditeurs français mais ils vont y venir, surtout si les auteurs le demandent et si les éditeurs locaux s’engagent à maintenir une qualité analogue. C'est de toute façon mieux pour toute la chaîne du livre que les contrefaçons Ainsi, lors de la publication de mon roman Géotropiques par les éditions Vents d'ailleurs en France (2010), cette maison d'édition n'a posé aucun problème pour que je garde les droits de ce roman pour Madagascar. De même, le livre Madagascar 1947 de Raharimanana est coédité par Vents d'Ailleurs en France et les éditions Tsipika à Madagascar pour une meilleure diffusion et pour atteindre ses lecteurs.

La question de la « posture » et du « regard » de l’édition française vis-à-vis de l’édition en Afrique francophone a notamment été abordée, pourriez-vous nous en dire plus ?

Si l'édition française, se parant d'universalisme, envahit le marché et les bibliothèques de l'Afrique francophone, elle considère les productions locales comme n'intéressant pas son public car trop particulières et de moindre qualité. Des rencontres entre éditeurs pourraient permettre de réviser les positions, mais encore faut-il le vouloir… Je n'ai pas senti cette volonté de la part des membres de l'édition française à Francfort. Il faut dire à leur décharge que la Foire est énorme et que leurs intérêts sont focalisés ailleurs. Néanmoins, des contacts ont eu lieu et s'avèrent prometteurs avec des éditeurs indépendants de même taille (en termes de poids économique, d’organisation de structure…) et surtout avec le même souci de diversité.

Peut-être, un forum spécifique, un salon de l'édition d'Afrique francophone à Paris ferait évoluer les regards et les postures.

ill de Griotte extraite de Zanfan Zavavirano - Les Filles de l'eau. Dodo vole, 2016

La question du don de livres a également été au centre des échanges lors de cette rencontre. Quel est votre avis sur le sujet ?

Je pense que le débat a été un peu escamoté. Les pays du Sud souffrent de manque de livres. Dodo vole veut faire de beaux livres pour les enfants malgaches. Nous avons pu placer nos ouvrages dans quelques bibliothèques et centres de lecture à Madagascar. Mais certains nous disent que nos livres sont trop chers alors qu'ils reçoivent des livres gratuits en quantité et que les lignes budgétaires pour l'achat de nouveautés locales ont été supprimées.

Le problème n'est pas alors seulement un manque à gagner pour Dodo vole. Cela devient un problème culturel. Si l'enfant n'a pas de livre qui parle de lui, ou s'il n'a comme beaux livres que des livres venant de l'extérieur, il aura un problème de positionnement culturel et d'estime de soi.

Certes, il vaut mieux des livres non adaptés que pas de livres du tout. Mais ce qu'on veut n'est pas l’aumône. Je ne suis pas loin de penser d'ailleurs que ce soi-disant don de livres n'est que du bon vieil impérialisme sinon de l'hypocrisie, une façon de se débarrasser des livres invendus en se donnant des airs de philanthropes (sinon, je ne trouverais pas un Guide de Lyon ou L'Histoire de la maison du vin de X, dans un centre de lecture au fin fond de la brousse malgache où ne pousse pas même une vigne). Et ces livres inutiles, parfois même pas sortis de leurs cellophanes, couverts de poussière sur les étagères, coûtent cher rien qu'en frais de transport.

Nous voulons des échanges équitables. Dodo vole propose ainsi des livres bilingues en français et en malgache. En achetant des livres bilingues, les parents français – même s'ils ne veulent pas apprendre le malgache à leurs enfants –, peuvent avec ces livres ouvrir leurs esprits à une autre culture et à une autre langue, et nous permettent de faire des livres adaptés à nos enfants.

De surcroît, il s'agit de tarir le lait culturel qui fait penser que "l'ailleurs est toujours meilleur", dont le pire des effets, comme le rappelait justement Béatrice Lalinon Gbado des éditions Ruisseaux d'Afrique (Cotonou) lors du débat, est d'inciter des milliers de migrants à la traversée de la mer des illusions...

Que retirez-vous de cette première expérience à Francfort ? Que vous a-t-elle apporté ?

Francfort nous a permis de présenter notre production au marché international, et elle a été plutôt bien accueillie. J'ai constaté que notre spécificité nous donne une plus grande visibilité, ou du moins elle attise les curiosités. Nos livres d'art malgache ou de contes ont suscité davantage d'intérêt que nos livres d'art contemporain (même d'auteurs malgaches). 

Nous espérons par ailleurs nouer des partenariats pour des coéditions, notamment avec les autres éditeurs africains francophones, et améliorer notre distribution. Si les projets de cessions de droits territoriaux et à la traduction se concrétisent, ce sera la cerise sur le gâteau.

Johary Ravaloson avec Kainene et Ayodele

Pensez-vous que l’édition africaine francophone peut trouver sa place au sein d’une telle Foire ?

Bien sûr. Non seulement la demande existe à cause de la diaspora mais les lecteurs et les éditeurs ne sont pas rares à chercher ce que l'Occident ne peut pas produire. Charge à nous, éditeurs « des ailleurs », d'apporter, de faire connaître et de développer notre spécificité.

Projetez-vous de participer à Francfort en 2018 ?

Non, on ne projette pas de participer de manière indépendante, car ce serait trop lourd financièrement. Dodo vole veut faire des livres pour Madagascar et sa région, nos ressources modestes sont consacrées entièrement à cela. L'expérience était très riche. Nous en avons beaucoup appris, notre production sûrement sera influencée par ce que nous avons vu et les partenariats seront développés à distance.

Notes et références

1. Ago Média (Togo), Amalion (Sénégal), Atelier des nomades (Maurice), Bakame (Rwanda), C3 éditions (Haïti), les Classiques ivoiriens (Côte-d’Ivoire), Dodo vole (Madagascar), Éburnie (Côte d’Ivoire), Elondja (RDC), FratMat éditions (Côte d’Ivoire), Ganndal (Guinée Conakry), Gashingo (Niger), Graines de Pensées (Togo), Ifrikiya (Cameroun), LEGS (Haïti), Ntsamé (Gabon), Presses universitaires d’Afrique (Cameroun), Proximité (Cameroun), Ruisseaux d’Afrique (Bénin), Tsipika (Madagascar).

2. L'association représente les intérêts d'environ 5 000 éditeurs, librairies, librairies d'occasion, librairies intermédiaires et agents de publication. Elle organise la Foire du livre de Francfort , décerne le Prix de la paix du commerce du livre allemand et participe à la promotion de la lecture.


Pour aller plus loin

  • L’Alliance internationale des éditeurs indépendants

L’Alliance internationale des éditeurs indépendants est un collectif professionnel qui réunit plus de 500 maisons d’édition indépendantes présentes dans plus de 50 pays dans le monde. Créé sous forme d’association en 2002, elle s’articule en 6 réseaux linguistiques (anglophone, arabophone, francophone, hispanophone, lusophone et persanophone). Les membres de l’Alliance sont des maisons d’édition et des collectifs d’éditeurs nationaux.

L’ensemble des activités de l’Alliance tendent à promouvoir et à faire vivre la bibliodiversité (la diversité culturelle appliquée au monde du livre).

Dans le cadre de ses missions, l’Alliance a ainsi créé un Observatoire de la bibliodiversité, qui rassemble les recherches, analyses et outils de mesure produits au sein de l’Alliance, à destination des professionnels et des pouvoirs publics. L’Observatoire a pour objectifs d’évaluer et de renforcer la bibliodiversité dans les différentes régions du monde. 

Par ailleurs, l’Alliance organise et anime des rencontres professionnelles internationales et des ateliers thématiques (par exemple sur l’édition jeunesse, sur le numérique…) permettant aux éditeurs indépendants de différents continents d’échanger et d’initier des collaborations. Ces rencontres favorisent le renforcement des capacités par l’échange entre pairs, dimension développée notamment autour de l’édition numérique dans le cadre du Labo numérique. L’Alliance soutient enfin des projets éditoriaux internationaux (coéditions solidaires, traductions, cessions de droits…), pour une plus grande circulation des textes et un accès aux livres le plus équitable possible pour les lecteurs.

  • Bibliographie jeunesse de Dodo vole

Catalogue 2017

Titres présentés dans Takam Tikou

Cent sous de sagesse

Les filles des lataniers

Gouzous gouzous

Ietsé, l’origine de la vie et de la mort des hommes

Isa ny amontana...

Kartié Bambous : Gout’anou !

Les Larmes d’Ietsé

Lekozity et la racine magique

Mon Kaz

L’origine des marées suivi par les trois bêches

L’Origine du Mont-Saint-Michel

Le Petit Dernier

Rakotojabo suivi de Mâchepet

Les Secrets des autres

Les Sirènes de Morne Plage

Zahay Zafimaniry