Mémoire de l’esclavage
En naviguant vers les Indes, vol. 2
Dans ce second tome d’une trilogie annoncée, le bédéiste congolais Serge Diantantu poursuit, dans la rigueur et avec une grande richesse documentaire, le devoir de mémoire auquel il s’est attelé. Il retrace la découverte, par les navigateurs portugais, du royaume Kongo à partir de la côte ouest de l’Afrique centrale dans les dernières décennies du XVe siècle. Le prétexte en est la découverte d’une route maritime vers les Indes et l’une des conséquences, la mise en place de la déportation des Africains vers l’Europe.
L’album évoque chronologiquement les expéditions de Bartolomeo Dias (qui trouvera le passage par le Cap de Bonne Espérance), de Diego Cão à nouveau (voir le tome I, Mémoire de l’esclavage : Bulambemba), et à la toute fin, de Christophe Colomb abordant les îles du Nouveau Monde pour le compte des rois d’Espagne.
Solidement soutenues par des images fortes, vigoureuses, aux plans et cadrages variés, donnant réalisme et chair au propos, les pages de récit alternent, dans une sorte de va-et-vient, avec des pages documentaires très fournies sur ces premiers contacts « pacifiques » entre les navigateurs et le roi du Kongo. La plus grande attention est portée à la reconstitution des rencontres humaines. Les approches, la diplomatie, les négociations, pactes d’amitié et de coopération, et bientôt manipulations, vont être de telle nature que la déportation des populations progressivement mise en place sur la côte pourra, dans un premier temps, passer inaperçue.
On s’arrêtera sur le retour dans leur pays des premiers africains « enlevés », en échange de missionnaires laissés comme « garants » dans le pays, bien traités, éduqués au Portugal, sur ces premières implantations de populations portugaises — prisonniers, Juifs —, sur les métissages autorisés, la christianisation forcée, le baptême des rois Kongo, la naissance d’une langue créole, les échanges commerciaux. Et comme un rappel lancinant au drame caché, des images obscures récurrentes disent l’horreur au fond des cales, les viols et les suicides.
Cette bande dessinée, comme la précédente d’ailleurs, requiert une lecture très attentive, et sans doute des approfondissements annexes et des relectures, tant l’information, y compris visuelle, fourmille de détails et interroge. Mais elle peut ainsi répondre au souci de transmission hautement salutaire qu’elle s’est fixé.
Marie Laurentin