La Bande dessinée dans le magazine Planète Jeunes

Eyoum Ngangué, rédacteur en chef de Planète Jeunes
Vignette extraite de Planète Jeunes n° 111, 2010, p. 16

Peut-on imaginer un journal destiné à la jeunesse qui ne possède pas de pages de bande dessinée ? Difficile. Planète Jeunes ne déroge pas à cette tradition. Magazine destiné aux 15-25 ans d’Afrique, il est distribué dans un univers où le livre est rare mais où la soif de lire est grande. Or, les bandes dessinées occidentales, généralement de seconde main, font le bonheur de nombreux lecteurs : Tex Willer, Blek le Roc, Tarzan, Michel Vaillant, Mickey, etc. sont des personnages que connaissent bien les jeunes d’Afrique.

L’une des propriétés de la bande dessinée étant la souplesse de sa lecture, qui convient à des personnes qui lisent peu, les lecteurs de Planète Jeunes abordent donc avec beaucoup de plaisir ce genre dans notre magazine. Lors de nos tournées dans les écoles, nombreux sont ceux qui nous disent qu’ils commencent la lecture du journal par là… Car, il faut savoir que la bande dessinée dans Planète Jeunes s’articule autour de deux moments forts : les séries LSD et Takef.

Une série d’aventures éducatives : la saga LSD

Planète Jeunes, n° 109, 2010,
p. 21

Montrer les réalités africaines contemporaines

Le pari de Planète Jeunes a été, dès sa création, de donner à voir à ses lecteurs le reflet des réalités africaines contemporaines. Du côté de la bande dessinée, Planète Jeunes achève un cycle qui a duré plus de huit ans avec la saga LSD. Ces initiales provocatrices à dessein rappellent un célèbre stupéfiant. Mais en réalité, elles se rapportent au Lycée Samba Diallo1, établissement d’enseignement secondaire que fréquentent les protagonistes de cette bande dessinée faite maison. Scénarisée par la Camerounaise Kidi Bebey et dessinée par le Congolais Pat Masioni, ce feuilleton dessiné réaliste campe des élèves dans leur vie de tous les jours, au lycée et ailleurs. Les aventures à suivre de cette bande de copains qui s’est baptisée les « 4 A » (Anna, Alain, Alimata et Iba) et qui anime le journal du lycée permettent de dresser un tableau des réalités auxquelles les jeunes urbains d’Afrique francophone peuvent être confrontés aujourd’hui : conflits avec les parents, rêves et tentatives malheureuses d’émigration vers l’Europe ou l’Amérique, cybercriminalité et piège des rencontres sur Internet, corruption des élites, pauvreté des parents, violences conjugales, abus de droit d’aînesse, droit de cuissage, consommation de drogue, « notes sexuellement transmissibles », infections sexuellement transmissibles, sida, etc.

 

Relativiser sans banaliser

Au sein du magazine, sur quatre pages, cette bande dessinée, lorsqu’elle traite de sujets de cette envergure, donne à rire et à penser, tout en dépassionnant le débat mais sans le banaliser pour autant. Si les mêmes sujets étaient traités dans l’actualité (comme fait divers) ou dans la thématique d’une rubrique « classique », ils conserveraient alors un caractère dramatique qui pourrait faire perdre toute efficacité au message que l’on veut faire passer.

Lever les tabous

L’autre avantage de la bande dessinée Lycée Samba Diallo est qu’elle a permis à Planète Jeunes d’aborder des sujets tabous comme, par exemple, les relations amoureuses entre professeurs et élèves, l’amour à distance entre deux jeunes, la drogue, le travail forcé des enfants, la pédophilie ou les orientations sexuelles différentes. La bande dessinée permet d’indiquer aux lecteurs comment des personnages de fiction qui ont leur âge et qui partagent les même préoccupations qu’eux se sortent de diverses situations compliquées dans lesquelles ils se retrouvent souvent par leur propre faute.

L’outil de la bande dessinée, en tant qu’œuvre issue de l’imagination d’un scénariste, a également le mérite de permettre au lecteur de garder de la distance par rapport à cette série d’aventures fictives et qui permet à tout un chacun d’accepter un quotidien bien plus douillet que les mésaventures des personnages de LSD.

Un défouloir tragi-comique : la série Takef

Le deuxième temps fort de Planète Jeunes en matière de bandes dessinées, c’est la série Takef. Un personnage à l’orée de l’adolescence qui fait l’unanimité de nos lecteurs. Depuis son introduction dans nos pages en 2002, il essaie sans succès d’obtenir un bisou de Tinée, la jeune fille qu’il convoite. Mais jamais il n’y parvient, malgré les stratagèmes qu’il imagine, des plus ingénieux aux plus loufoques. Pour les lectrices de Planète Jeunes, cette planche est un vrai régal, car elle montre les déboires d’un garçon qui butte sans cesse sur le refus poli d’une fille altière. Quant aux garçons, certains se reconnaissent en Takef et sont soulagés parce qu’ils ne sont pas les seuls à collectionner les refus. D’autres rient bien des mésaventures du pauvre Takef et leur moquerie tient du défouloir, comme lorsqu’on se paie la tête d’un pauvre hère… Vu le succès de Takef, Planète Jeunes a publié un hors-série de reprises de la série (complété par quelques inédits) en juillet-août

2010. Avec, en prime, une interview et une biographie de Willy Zékid2, l’ingénieux auteur, congolais, de cette planche.

 

Planète Jeunes n° 111, 2010, p. 38.

 

Des représentations de la société africaine à mettre à jour

Avec ces deux bandes dessinées – la première plutôt réaliste dans le dessin et le scénario, et la seconde à lire au second degré –, Planète Jeunes offre à ses lecteurs deux visages de la bande dessinée africaine. Mais le rapport du magazine avec la bande dessinée n’a pas commencé avec LSD ou Takef.

La série K-libre

Dans le passé, la série K-libre mettait en bulles les aventures d’un groupe de rappeurs africains ayant remporté un concours les conduisant à donner des concerts à travers le monde entier. Ce parti-pris permettait à nos lecteurs de voyager sous le couvert de leurs héros et de découvrir des aspects du monde qu’ils n’auraient pas vus dans un livre d’histoire, dans un magazine d’actualité internationale classique ou en regardant un documentaire à la télévision. Car, en plus de ce qu’ils voyaient, les K-libres rendaient compte de leurs émotions, de leurs sensations (de froid et de chaud, par exemple), de leurs rencontres et de leurs nombreuses difficultés rencontrées sur le terrain.

Un nouveau projet

Pour le début de l’année 2012, une nouvelle bande dessinée est en préparation (toujours avec un scénariste et un dessinateur africains) pour remplacer LSD qui a déjà exploré de nombreuses situations et donné tout ce qu’elle pouvait de mystère et de suspense. Ses personnages sont désormais un peu déphasés par rapport à la vitesse des changements du monde actuel.

Pour cela, la prochaine bande dessinée devra refléter cette tendance à la promptitude qui est une nouvelle exigence d’un lectorat de jeunes africains qui reçoivent de plein fouet le choc de l’ère du numérique avec des bouquets télé offrant des dizaines de chaînes, même dans les quartiers les plus pauvres des principales villes du continent noir. Cette mise à jour s’impose pour un magazine thématique comme Planète Jeunes, contrairement à la règle du genre qui veut que les héros de BD (comme Tintin ou les Daltons) ne vieillissent ni ne changent de look pendant des années. De même que K-libre a été remplacé par LSD, cette nouvelle bande dessinée va plonger les lecteurs dans un nouvel univers graphique avec, en prime, plus d’aventures, de rêves, d’implication dans la résolution de conflits entre jeunes.

Soutenir les créateurs

Le rapport à la bande dessinée de Planète Jeunes va au-delà de la publication régulière de séries pour la jeunesse. À chaque fois qu’un auteur africain de bandes dessinées publie une œuvre, nous rédigeons une chronique qui annonce sa sortie en librairie. Mais le plus grand service que notre magazine puisse rendre aux dessinateurs africains consiste à leur ouvrir nos colonnes pour des illustrations diverses. Cela représente un débouché pour leur savoir-faire et une ressource qui, même minime, leur permet de travailler sur des projets plus importants…

Notes et références

1. Samba Diallo étant également le personnage principal de L’Aventure Ambiguë, roman à portée philosophique de référence du Sénégalais Cheikh Amidou Kane. Dans ce livre, Samba Diallo est partagé entre la tradition et le modernisme.

2. Willy Mouellé, de son vrai nom. Il est à la fois scénariste et dessinateur de Takef.


Pour aller plus loin

Planète Enfants ou le règne du dessin roi

« Petit frère » de Planète Jeunes, lancé en 1998, il est destiné aux lecteurs âgés de 8 à 14 ans. Et, bien plus que dans les pages de son « grand frère », la bande dessinée joue un rôle central qui permet d’éveiller la curiosité des plus petits et de leur faire acquérir des valeurs de citoyenneté.

Passeurs d’univers

La découverte et l’aventure sont dévolues aux deux personnages emblématiques du magazine qui, il y a un an encore, étaient systématiquement en couverture : Max (le garçon) et Dina (la fille). Sous la plume de Kidi Bebey et Jean-Louis Couturier, incarnés par le trait de Christian Cailleaux, ces deux bambins entraînent le lecteur dans divers lieux de leur ville (école, piscine, zoo, cérémonie familiale, culturelle ou sportive), voire ailleurs ou dans leurs rêves... Ils font quelques bêtises, mais à la fin, tout se termine bien. Leurs tribulations permettent d’apporter culture et esprit critique, tout en offrant un véritable droit de cité aux plus jeunes de nos lecteurs. Aujourd’hui, les trois pages de la bande dessinée restent au cœur du journal, même si ses personnages ne sont plus systématiquement à la « une ».

Vignettes manichéennes

À côté de Max et Dina, il y a d’autres personnages qui évoluent toujours par paires, comme c’est le cas dans bon nombre de bandes dessinées enfantines. Il y a ainsi Ka et Ba, deux jeunes filles aux comportements opposés, qui alternent, une édition sur deux, avec Kola et Bola, deux garçonnets aux attitudes tout aussi divergentes. Le scénario est signé Moudjibath Daouda-Koudjo et les illustrations, Samba Ndar Cissé. Ici, il s’agit clairement de faire distinguer aux lecteurs les bonnes attitudes des mauvaises. Très morales, à la limite du manichéen, ces bandes dessinées ne s’offrent pas le luxe du second degré, car il s’agit de toucher directement les enfants.

Rire et imagination

De même, les gags de Krik et Krak ont longtemps fait rire les jeunes africains friands d’histoires drôles. Cette dimension a été reprise durant une année par Tuk et Zem, du scénariste et dessinateur camerounais Almo, deux personnages à l’aspect mi-schtroumpfien, mi-martien, qui avaient la capacité de donner vie à leur dessin, mais ne pouvaient pas s’en servir dans la vie courante. La place du dessin qui amuse et qui laisse libre cours à l’imagination est également centrale dans Planète Enfants.


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