Zina et Bouzid rencontrent Slim

Hasmig Chahinian
Portrait de Slim en noir et blanc. Au premier plan, Bouzid, Zina et Elgatt en couleurs.

Slim crée les personnages de Zina et Bouzid en 1964. La rencontre entre Bouzid le fellah (paysan) et Zina, « belle, intelligente et moderniste », a lieu près de Oued Tchicha, et le coup de foudre est immédiat ! Le couple, qui partage le quotidien tumultueux des Algériens, conquiert très rapidement leur cœur et devient la coqueluche de toute une génération, qui passe le flambeau à ses enfants.
Cependant, depuis l’album Walou à l’horizon, publié en 2003 et réédité en 2009, Bouzid et Zina restent très silencieux… Le site internet de Slim ne manque pas de témoignages chaleureux de fans, en attente de nouvelles aventures du couple mythique. Un groupe s’est même créé sur Facebook qui milite « pour le retour de Bouzid et Zina »… Mais qu’en pensent les principaux intéressés, Zina, Bouzid… et Slim ?

Bouzid : Quand je me présente, je dis que je suis « Bouzid el Bessbessi. Profession : Algérien ». C’est un travail à plein temps d’être Algérien… Non ?

C’est vrai. Être Algérien n’est pas une sinécure ; il faut, chaque jour batailler sec pour s’en sortir au pays de la bureaucratie arabisée…

Walou à l'horizon, Tartamudo éd.,
2003, p. 3

Bouzid : Tu sais que tu me fais rire ? Tous ces clins d’œil que tu adresses à tes lecteurs algériens,ces expressions dialectales que tu accompagnes de petites « traductions » à la sauce Slim… Avoue que tu as un faible pour ton lectorat algérien…

Quand, en 1968, un quotidien algérien m’a demandé de réaliser une BD qui reviendrait tous les jours, je me suis posé la question : « comment capter l’attention des lecteurs ? ». Le seul moyen, c’était de leur parler de leurs préoccupations directes, au jour le jour, et en employant le langage de la rue : un mélange d’arabe parlé et de français basique. Quand je t’ai fait dire pour la première fois « Fakou ! »1, le déclic a marché avec les lecteurs. Pour les non-algériens, il leur faudra un décodeur comme pour Canal+…

Bouzid : Après avoir été maire de Oued-Besbes (et puis avoir perdu les élections suivantes), j’ai vraiment cru que je serais élu président de la république… Pourquoi m’avoir fait perdre ces élections ?

La BD où tu as perdu les élections se voulait une BD « en direct », en prise immédiate avec le vécu des lecteurs. Alors que les intégristes allaient vers un deuxième tour victorieux, il fallait t’impliquer dans le drame qui frappait ton pays. Tu as beau être un « héros populaire », tu devais perdre aussi car c’est ce que vivait en même temps le lecteur. Mais grâce à cette BD, tu nous fais comprendre que des patriotes ne vont pas se laisser faire et qu'ils vont reprendre le dessus, même si la situation est désespérée…

Bouzid : Tu nous as mis au placard pendant des années, Zina et moi. Tu es même allé vivre de l’autre côté de la Méditerranée... Puis, tout d’un coup, tu décides de publier la suite de nos aventures en France, en 2003, à l’occasion de l’année de l’Algérie en France. Et depuis, plus rien… On le fait quand, notre come-back en Algérie ? C’est prévu ?

Ces derniers temps, avec ce qui se passe dans les pays arabes, j’ai envie de te faire revenir pour réagir à l’histoire contemporaine : tu te rendrais compte que, finalement, toi, en tant que héros officiel, tu as été manipulé par les tenants de l’Algérie. Tu ne voudrais plus de ce rôle, tu voudrais dire non, mais ça comporterait un risque ; voir des icônes comme Zina et toi se retourner contre le Pouvoir actuel ferait des dégâts en matière de communication. Je n’ai pas envie d’être ciblé par les « patrons actuels » de l’Algérie. Tu attendras…

Zina : Quand vas-tu faire de moi une honnête femme ? Tu me fais vivre avec Bouzid, qui est la lumière de mes yeux, d’accord, mais pas mon mari ! Alors ?

En tant qu’auteur de BD, c’est dur de marier mon héros, Bouzid… Quand je faisais de la BD, en 1968, il y avait beaucoup de tolérance, les Barbus étaient encore petits. J’ai fait ce que le cinéma et théâtre algériens n’ont jamais fait : montrer des personnages (non unis par le mariage officiel) se donner des bisous (petits cœurs au-dessus de leur tête et des « smacks » partout). Et, Zina, reconnais que tu es bien contente de te retrouver à côté d’un « révolutionnaire », même si tu n’as pas de livret de famille...

Zina : Je voulais des enfants et tu ne m’as donné que Elgatt Mdigouti, un chat qui est plus attaché à Bouzid qu’à moi !

Dans la première version de Zid Ya Bouzid (dont le journal El-Moudjahid ne m’a jamais rendu les originaux), je faisais écraser Elgatt Mdigouti par une voiture de flics. Ça a choqué beaucoup de lecteurs – je devenais un dissident sans le vouloir. J’ai su par la suite, en écoutant la rue, que beaucoup de lecteurs pensaient que j’avais été mis en prison pour mes « écrits de bulles »…
Mais le rôle principal d’Elgatt était d’accompagner Bouzid pour dialoguer avec lui, car Bouzid, souvenons-nous, est tout seul avec son chat avant de te rencontrer, Zina ! J’aime ces animaux depuis mon enfance. Actuellement, j’ai une petite chatte qui est née à la résidence de l’ambassadeur de France à Alger ; elle m’a donné quatre « mdigoutyines » dans le placard de mon bureau.

Zina : Tu me fais dire que je suis « femme de Bouzid (!), belle, intelligente et moderniste ». C’est vrai que je suis la sagesse incarnée, heureusement que je suis là pour aider Bouzid à réfléchir… Mais est-ce qu’à un moment mes lecteurs pourront me voir sans voile ?

Walou à l'horizon, Tartamudo éd.,
2003, p. 3

Dans la première version de ma BD, tu allais à Hussein Dey rencontrer ta cousine. C’est là que tu retirais ton voile et on voyait ton visage – c’est la seule vignette de toi sans le voile. Par la suite, je me suis rendu compte qu’il ne me fallait pas te « défigurer » : tu es voilée et ça ne change en rien ton statut de femme libre, intelligente et belle.

Bouzid : Tu m’as fait contestataire, revendicateur, politisé, un brin idéaliste, un brin cynique… Tu m’as créé à ton image ?

Évidemment, on ne raconte que ce qu’on sait, ce qu’on pense. J’ai un vocabulaire restreint comme l’exige la BD, l’image doit avoir le monopole. Mais tu n’as rien à voir avec moi ; toi, tu es un héros, moi pas ; tu es aventurier, moi je suis pantouflard… Certes, tu bois du « Leben 33 » comme moi et dragues la première Zina rencontrée… comme moi. Beaucoup de gens me prennent pour un type rigolo et souhaitent m’inviter chez eux pour « mettre de l’ambiance » – ils en sont pour leur frais ; il n’y a pas plus chiant qu’un créateur de BD comme moi. J’envie mes personnages… Un jour, un étudiant à Oran m’a posé une question à laquelle je n’ai pas trouvé de réponse : « Dans notre pays les gens disent : écoute celui qui te fait pleurer et non celui qui te fait rire. De quel côté on se place quand on vous lit ? ». Un autre m’a demandé : « On n’a jamais vu Bouzid faire la prière, pourquoi ? ».

Zina : Et moi ? Tu pensais à qui quand tu m’as créée ?

Tu as été ma première création de personnage. Quand, le 14 septembre 1964, je suis arrivé à Alger, ce qui m’a frappé, c’est la coquetterie des Algéroises avec leur voile sexy et le mollet apparent, sans parler des yeux mis en évidence derrière la voilette ; en comparaison de mes « femmes » de l’Ouest (Oranie), revêtues d’un voile intégral (des pieds à la tête), et sans yeux, quel charme ! Je m’en suis fait une : toi, Zina – que j’aime. Bouzid viendra plus tard.

Walou à l'horizon, Tartamudo éd., 2003, p. 10

Bouzid : À l’ère de Facebook, de Twitter, j’ai l’air de quoi, avec mon bâton de fellah (paysan) ? Tu penses que j’ai toujours ma place dans l’imaginaire algérien, que les jeunes me connaissent ?

Les événements et les troubles qui m’ont fait quitter le pays ont creusé une sorte de fossé qui me sépare de la jeune génération. Aujourd’hui, les lecteurs qui viennent me voir me disent souvent : « Je viens de la part de mon père qui vous aime et voudrait une dédicace ». Mais, parfois, les parents passent le flambeau aux jeunes. Je les rencontre sur les Salons, les Festivals, à l’occasion de séances de signature. On discute de ma façon de travailler, de l’utilisation des nouveaux outils informatiques pour la création de BD... Sur Facebook, j’ai beaucoup d’amis et, sur Internet, on peut acquérir certains de mes livres directement en cliquant. Je pense beaucoup à votre retour tonitruant, à Zina et toi, avec les armes de maintenant pour conquérir les jeunes…

Notes et références

1 « ‘Fakou’ signifie ‘cause toujours, on a compris, on n'est pas con, on est au courant de ton stratagème, tu es démasqué’... », explique Slim.


Pour aller plus loin

Biographie de Slim

Quand Menouar Merabtène était petit, il allait voir des films avec ses copains puis, à la sortie du cinéma, rejouait le film avec eux. C’est ainsi qu’un jour, après avoir regardé un western, il endossa le rôle d’un bandit, appelé « Slim ». Le surnom est resté…
Né en 1945, dans l’Ouest algérien, Slim fréquente l’Institut d’audiovisuel d’Alger, puis s’initie aux techniques d’animation en Pologne, à l'université de Lodz. De retour à Alger, il publie sa première bande dessinée, Moustache et les frères Belkacem, dans le quotidien « El Moudjahid ». Cette bande dessinée sera également publiée sous forme d’album et sera suivie de nombreuses autres publications.
Contraint de quitter le pays durant les années de plomb, Slim s’installe d’abord au Maroc, puis en France. Il collabore à plusieurs journaux et magazines en faisant des dessins de presse et des caricatures. Il habite actuellement à Alger et publie ses planches dans les colonnes du quotidien francophone algérien « Le Soir d'Algérie ».

Bibliographie de Slim

  • L'Algérie comme si vous y étiez. Alger, Éditions Fakoo, 2010.
  • Avant c'était mieux. Alger, Éditions Fakoo, 2010.
  • Ainterdi - Les années FIS. Lulu éditions, 2009
  • Walou à l'horizon : la dernière aventure de Bouzid et Zina. Nouv. éd. Alger, Dalimen, 2009.
  • The Wonderful World of the Whiskered. Lulu éditions, 2009
  • Collectif, Dessine-moi l’humour. Alger, Chihab éditions, 2006.
  • Walou à l'horizon : la dernière aventure de Bouzid et Zina. Cachan, Tartamudo, 2003.
  • BAC : La boîte à chique. Nouv. éd. Alger, ENAG éditions, 2002.
  • Il était une fois Rien. Nouv. éd. Alger, ENAG éditions, 2002.
  • Moustache et les Belgacem. Nouv. éd. Alger, ENAG éditions, 2002.
  • Retour d'Ahuristan. Paris, Seuil, 1997.
  • Le Monde merveilleux des Barbus. Toulon, Soleil productions, 1995.
  • BAC : La boîte à chique. Alger, ENAG éditions, 1989.
  • Dessins de presse. Alger, ENAG éditions, 1989.
  • Il était une fois Rien. ENAG éditions, 1989
  • Zid Ya Bouzid. Vol. 3. Alger, SNED, 1986. Contient : Taoura, taoura, taoura ; Une loubia pour un marsien naïf.
  • L'Affaire des "Jil". Marseille, Sun Adversiting, 1985
  • L’Algérie de Slim : recueil de bandes dessinées. Paris, L’Harmattan ; Saint-Martin-D’Hères, Revue « Grand-Maghreb », 1983.
  • Il était une fois Rien. Alger, ENAG éditions, 1983.
  • Zid Ya Bouzid. Vol. 2. Alger, SNED, 1981. Contient : La Grande Kechfa ; Chkoune kidnapali Zina diali ? ; Do Re Mi Fakou !
  • Zid Ya Bouzid. Vol. 1. Alger, SNED, 1980. Contient : Oued Side Story ; Les Pénuristes ; Il était une fois dans l’Oued ; Au train où ça va pas.
  • Moustache et les Belgacem. Alger, Algérie actualité, 1968.

Une grande partie des livres de Slim est en vente sur le site de Lulu (en version téléchargée ou en version imprimée sur papier).

Références

  • Zelig, Omar. Slim, le gatt et moi. Alger, Dalimen, 2009.

Sites

Le site de Slim. [Consulté le 01.03.2011]
Facebook : Zida ya Bouzid, le groupe
. [Consulté le 01.03.2011]


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