Le choix de la langue au service du projet du livre

Entretien avec Joanna El Mir, Directrice éditoriale jeunesse, Samir (Liban)

Propos recueillis par Hasmig Chahinian
Photographie de Joanna El Mir sur fond blanc.

Lauréate, en 2006, du Prix international du jeune éditeur décerné par la Foire du livre de Londres en collaboration avec le British Council, Joanna El Mir est une passionnée de livres. Après avoir obtenu un diplôme de publicité à l’Académie des beaux-arts de Beyrouth et passé quelques années à travailler dans ce domaine, Joanna a rejoint la maison d’édition libanaise Samir. L’attention toute particulière qu’elle porte aux créateurs et son engagement en faveur d’une littérature de jeunesse de qualité se reflètent dans les différents titres qu’elle publie. Comment aborde-t-elle la question des langues dans le contexte multilingue libanais ?

 

En quelles langues éditez-vous ? Pourquoi ?

Nous éditons principalement en deux langues, le français et l’arabe. Ce choix tient à l’historique de la maison d’édition qui, pendant plus de soixante ans, a publié dans ces deux langues et a pu trouver un lectorat pour chacune d’entre elles, notamment dans le Monde arabe : les pays arabes francophones de l’Afrique du Nord et le Liban.

Avez-vous envisagé des publications en arabe dialectal libanais ?

Je crois que cette démarche pourrait fonctionner mais il faut que les textes et le genre justifient ce choix (comptines libanaises, histoires bien ancrées dans le quotidien libanais, etc.). J’imagine que beaucoup d’éditeurs ne s’aventurent pas à publier en libanais parce que cela limite le nombre de lecteurs, vu que le Liban constitue une part de marché assez réduite par rapport au reste des pays arabes. Toutefois, ce problème « technique » peut être évité si l’éditeur trouve un moyen d’imprimer l’arabe dialectal et l’arabe littéraire en même temps et donc en un seul tirage, comme se font en général les coéditions. Il pourra ainsi offrir aux lecteurs du même livre le choix entre la version dialectale et la version littéraire en maintenant un coût de fabrication raisonnable.

Pour le moment, nous n’avons pas eu une proposition de manuscrit ou de projet qui nécessiterait une telle démarche et ce n’est pas un sujet sur lequel nous nous sommes penchés sérieusement.

Vous publiez des traductions en arabe littéraire de textes « classiques », comme les ouvrages de Roald Dahl. Pourquoi ce choix d’une traduction en arabe, alors que les enfants libanais sont souvent aussi francophones ou anglophones ? Quel public visez-vous ? Arrivez-vous à atteindre le lectorat d’autres pays du Monde arabe ?

L’intention éditoriale derrière ce choix est de ramener vers la langue arabe des textes et des auteurs de qualité qui ont marqué la littérature jeunesse au niveau international, un des rôles de la traduction littéraire étant d’ouvrir aux lecteurs de nouvelles portes et de leur faire découvrir de nouveaux mondes, cultures et manières de penser.

De plus, les enfants libanais ne sont pas tous anglophones ou francophones, il y a des enfants libanais qui sont plutôt arabophones.

Ajoutons à cela que nous ne nous limitons pas au Liban, nos livres sont également présents dans tous les pays arabes (Afrique du Nord, pays du Golfe…) que ce soit pendant les Foires du livre où nous rencontrons des particuliers, des représentants d’écoles et de ministères ou à travers nos distributeurs.

Aussi étonnant que cela puisse paraître, nous avons remarqué durant les Foires du livre et le lancement de ces titres que les enfants francophones ou anglophones sont également intéressés par la version arabe, peut-être parce que le choix de livres de fiction en arabe pour cette tranche d’âge est un peu réduit, et que lire une histoire qu’ils connaissent déjà est un moyen "facile" de se réconcilier avec la lecture en arabe littéraire.

En termes de tirage, en quelle langue publiez-vous et vendez-vous le plus d’ouvrages pour la jeunesse ?

Nous avons les mêmes tirages pour les deux langues, l’arabe et le français. Sur le total des pays arabes où nos livres sont distribués, les ouvrages en arabe se vendent plus que les ouvrages en langue française, mis à part le Maroc où nous avons une filiale et où la vente de livres en langue française est plus importante.

Que pensez-vous des livres bilingues ou trilingues ? Voudriez-vous en publier ? Si oui, en quelles langues ?

En marge des imagiers, abécédaires ou premiers dictionnaires illustrés qui se prêtent facilement à cet exercice, je ne crois pas que publier des contes ou albums illustrés en version bilingue ou trilingue puisse être un choix arbitraire. Encore une fois, tout dépend du texte, du genre et du public auquel on s’adresse. Rares sont les livres bilingues – incluant l’arabe, donc une lecture de droite à gauche – qui ont réussi le pari au niveau de la maquette et de la mise en pages.

Mais si un projet nous séduit et si la raison d’être de ce projet est liée au fait qu’il soit bilingue ou trilingue alors oui, pourquoi pas ? Les langues qui nous intéressent sont l’arabe, le français, l’anglais et peut-être l’espagnol.

Quel est votre mot préféré et pourquoi ? Que vous évoque-t-il ?

À demain… C’est une rencontre, un rendez-vous, mais aussi un nouveau départ, un futur, une incertitude, l’inconnu.

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