Illustration africaine : les empreintes du patrimoine
Vers des livres africains pour les enfants d’Afrique
Pour qui fréquente de longue date le livre de jeunesse, au prisme de ses souvenirs, des lectures enfantines, de son travail, nul doute que s’imposent des images fortes et contrastées de toute nature, évocatrices d’une Afrique qui y est depuis toujours si présente. Elles offrent, de ce continent aussi captivant qu’inspirant, des représentations réalistes parfois, mais aussi fantasmées, débridées, connotées. En compagnie de Benjamin Rabier1, Jean et Laurent de Brunhoff2, William Steig3, Kersti Chaplet4, Toshi Yoshida5, Pascale Bougeault ou Thierry Dedieu6… à combien de « dépaysants » et fantastiques voyages n’avons-nous pas été conviés ? La liste de ces illustrateurs, d’hier à aujourd’hui, peut s’allonger à l’infini ; la plus grande fantaisie règne souvent. Mais quelles que soient ces images – tout comme les textes qui les accompagnent –, et plus encore si elles sont marquées par le talent, ce qui frappe, c’est qu’elles ont un discours implicite, un pouvoir, sans que nous pensions toujours à nous interroger sur leur emprise. En effet, ce qui les caractérise, c’est qu’elles vont donner pendant longtemps, une vision des pays d’Afrique produite exclusivement de l’extérieur. Avec cette situation paradoxale que, jusqu’à encore récemment – les années 1970 –, il n’y avait, dans ces pays, de livres pour enfants qu’occidentaux, et pas de représentations de « l’intérieur » pour faire face à cette multiplicité de représentations imposées. La littérature africaine accessible aux enfants (hors les quelques manuels scolaires) était, jusque-là, celle de l’oralité. C’est à partir des années 1975 qu’une littérature de jeunesse produite par les Africains prend son essor dans toute sa diversité et sa singularité, non sans influence et filiation avec l’édition européenne. On peut y avoir accès, la lire, et observer ce qui l’inspire, la nourrit, dans des expressions enfin opposables à cette littérature venue de l’étranger, qualifiée par Chinua Achebe7de « poisons joliment enrobés ».
Couverture du catalogue de l'exposition |
Un événement d’importance, l’exposition « Amabhuku. Illustrations d’Afrique »8à la Foire internationale du livre pour enfants de Bologne en 1999, met en lumière de manière remarquable la qualité et l’extrême variété d’artistes de toute l’Afrique subsaharienne engagés dans le livre de jeunesse. Leurs créations sont identifiées et reconnues.
Avant d’en mesurer l’enracinement dans des traditions et pratiques artistiques propres, il faut souligner que la place de l’illustration demeure prépondérante et son rôle primordial, quels que soient les genres et les âges désignés dans cette édition spécifique qui, peu à peu, s’affranchit de ses modèles. Elle est privilégiée pour l’attrait qu’elle peut exercer sur l’enfant qui va découvrir le livre, et aussi comme appui à la compréhension d’un texte, en français dans la majorité des cas, langue plus ou moins maîtrisée.
Les sources premières des textes africains écrits pour la jeunesse sont (et demeurent encore pour partie) celles de l’oralité, de la tradition, de la culture, et aussi de l’environnement contextuel. Parallèlement aux textes, peut-on observer ce que les images doivent à cette même tradition, à des expressions culturelles et artistiques propres ? Pour en prendre la mesure, suivons le travail, le parcours et les propos de figures marquantes de l’illustration africaine, observons, en se souvenant comme le dit Lydie Diakhaté que « Dans la culture africaine, la représentation picturale est omniprésente. Sur les murs, le sol, les tissus, les corps, le bois, les calebasses, l'Afrique écrit et dessine ses mémoires depuis la nuit des temps »9. Les images des livres en portent-elles la trace et comment ?
« Transmettre l’empreinte de nos cultures »
Si les albums de Véronique Tadjo, acteur majeur de la littérature jeunesse africaine, s’imposent d’abord par leur esthétique, le parcours singulier de cet écrivain pour adultes, originaire de Côte-d’Ivoire, devenu auteur et illustratrice de livres pour enfants, est à lui seul, un manifeste et un engagement. Depuis son premier ouvrage pour la jeunesse, elle s’en est clairement expliquée. D’abord sur son choix de devenir l’illustratrice de ses propres textes : « À vrai dire, dit-elle lors d’un entretien publié dans Takam Tikou10, je me suis mise à l’illustration un peu par hasard. Ne connaissant personne pour illustrer Le Seigneur de la danse11(…) je me suis finalement “jetée à l’eau”. Il faut dire que j’avais encore en tête la beauté des dessins que les Sénoufo12font sur leurs toiles. C’est donc parce que j’avais eu l’occasion de voir les peintres sénoufo travailler que j’ai pu m’inspirer de leur graphisme traditionnel ».
Véronique Tadjo, Le Seigneur de la danse. Nouvelles éditions ivoiriennes |
Si cette inspiration graphique propre à un art spécifique est précisée, elle ne répond pas pour autant qu’à un choix esthétique mais au sens profond qu’elle entend donner à son travail de créateur – écrivain et illustrateur confondus –, ce qu’elle précise : « Il me semble que nous avons tous besoin – les adultes comme les enfants – d’avoir une bonne base culturelle pour affronter les défis du monde actuel. Les choses évoluent, les temps changent, mais fondamentalement, nous sommes les mêmes. Ce serait idiot de vouloir tout recommencer à zéro, de ne rien garder de notre passé, d’agir comme des amnésiques soudain projetés sur la scène internationale. C’est la mémoire collective qui nourrit, de manière sensible, mon travail tant graphique qu’écrit. Je cherche à transmettre l’empreinte de nos cultures et de leurs symboliques. Cette démarche n’est pas nouvelle bien entendu. Beaucoup d’autres artistes sont passés par là et certains penseront même qu’elle n’a plus sa place dans nos sociétés tournées vers la modernité. Mais je dirais que penser cela c’est sous-estimer le génie créateur qui nous a été légué. Il ne s’agit pas de faire l’apologie de la tradition, mais seulement de rappeler que nous avons trop tendance à regarder ailleurs, alors que nous n’avons pas fini d’exploiter ce que nous possédons. »12bis
On ne peut expliciter plus clairement ce recours à la tradition. Mais le remarquable dans cette appropriation de ces graphismes propres à l’art sénoufo, devenus si familiers à l’œil, c’est qu’elle passe par une totale recréation. Hormis dans son premier ouvrage pour la jeunesse, La Chanson de la vie13, où les dessins en noir et blanc – silhouettes stylisées, motifs symboliques – sont encore au plus près de la facture traditionnelle, les couleurs franches et brillantes des feutres ou des crayons gras vont bientôt illuminer en toute liberté ses albums, à la manière d’éclats de vitraux multicolores sans que jamais la parenté soit reniée. Le trait noir ne cerne plus seulement hommes ou bêtes dans la représentation stylisée qui est sa marque, la couleur s’en est emparée, tout comme les motifs qui peuvent aussi être avion ou immeuble par la fantaisie de leur auteur. Textes et illustrations étant intimement imbriqués, il est intéressant de voir aussi comment le masque, sacré, emblématique, est « illustré », à tous les sens du terme, dans Le Seigneur de la danse14et, plus précisément encore, dans Masque, parle-moi15,comme un symbole puissant dont Véronique Tadjo veut révéler aux plus jeunes un sens et une portée pour aujourd’hui. Objet rituel ou sacré d’Afrique de l’Ouest, nous l’avons vu dans son rôle premier ou dans les musées, nous le « reconnaissons » avec elle. Elle confirme, associant aussi contes et proverbes, personnages légendaires et historiques : « J’essaie de faire la promotion de notre patrimoine culturel africain, car je pense qu’il est essentiel qu’il soit valorisé »16.
Baba Wagué Diakité, The Hatseller and the monkeys. Scholastic Press |
On peut peut-être lancer un pont entre l’art sénoufo qui inspire le travail de Véronique Tadjo, et les motifs décoratifs des poteries maliennes qui peuvent, en quelque sorte, lui être apparentés. Les illustrations, inspirées de traditions picturales, de Baba Wagué Diakité17, artiste malien vivant aux États-Unis, ont comme supports, de manière tout à fait originale, des terres cuites vernissées.
L’artiste revendique cet enracinement graphique, sans le dissocier d’ailleurs des sources traditionnelles orales qui nourrissent son œuvre et qu’il a entrepris de collecter et de préserver dans son pays d’origine « pour prévenir la perte de cette puissante forme d’art ».
Emprunter aux artisanats d’art : tissages, tissus, textures…
Les wax
Restons dans la matière ornée, celle des tissages, des tissus et de leurs motifs, et commençons avec la technique des wax. Née en Indonésie, il y a plusieurs siècles, sous le nom de batik, où elle est un art véritable, elle est présente sur tous les continents. Exportée en Afrique, avec le succès extraordinaire qui lui est fait jusqu’à aujourd’hui, l’art de ces tissus, ornés de motifs géométriques ou non, repose sur le principe de la réserve de cire.
Ill. Assane N'Doye, La Légende de l'éléphanteau. Ed. de l'Amitié-Rageot |
On pensera tout d’abord au très joli petit livre, La Légende de l’éléphanteau18, auquell’artiste plasticien sénégalais, Assane N’Doye, offre un véritable écrin d’images aux vives couleurs à la gloire des tissus et de leur richesse décorative. Ces motifs à l’inspiration renouvelée à l’infini sont aussi ceux qu’il imagina à ses débuts comme maquettiste d’impressions sur étoffes. On pourrait leur mettre en vis-à-vis les images d’une artiste ivoirienne, Marie Seka-Seka19, qui illustra il y a une trentaine d’années, de très jolie manière, quelques albums parus en Côte-d’Ivoire. Gaîté, couleurs franches et contours nets, le détail des tissus comme autant de références à l’extraordinaire diversité des wax africains.
Autre exemple, celui de Hervé Gigot, jeune et brillant artiste reconnu du Bénin, malheureusement disparu très jeune, peu de temps après la publication de Les Chats de Christelle20 où, dans cet album à valeur documentaire, les illustrations lumineuses au dessin délicat jouent avec la diffusion aléatoire des encres, au gré des « réserves » et les motifs cernés de blanc.
Les appliqués sur tissus
Dans l’art des tissus, voici les appliqués sur tissus dont l’origine remonte au XVIIe siècle et qui va porter, jusqu’au début de XXe siècle, la mémoire et les symboles attachés aux Rois d’Abomey au Dahomey (devenu le Bénin). Les hauts faits des monarques et l’histoire de la région sont racontés par ces tentures sur lesquelles étaient cousues et superposées des pièces de tissus colorés composant des motifs. Avec la conquête par les Français de ce royaume à la fin du XIXe siècle, les artistes se sont tournés vers des scènes de la vie quotidienne, des inspirations plus libres. Cet art, encore très vivace, est porté par les descendants des artisans de cour, reconnus aujourd’hui sur le plan patrimonial et artistique. Son introduction dans le livre pour enfant doit sans doute beaucoup à une belle initiative menée au Bénin en 1995 autour des Fables de La Fontaine[21], au moment où se commémorait le tricentenaire de la mort du fabuliste. Des tentures ont pris certaines d’entre elles pour sujets. Une exposition22, qui circule toujours, s’en est suivie.
Guère d’étonnement à ce que le livre de jeunesse se soit emparé de cet art, tant est grande, avec leur stylisation graphique et leurs coloris éclatants, la capacité de ces véritables tableaux, constitués de motifs assemblés, à raconter des histoires.
Ill. François C. Yémadjè, Le Rat et le serpent. Ruisseaux d'Afrique |
On les trouve pour illustrer La Perruche, l’Iroko et le Chasseur23, conte où un oiseau cherche un arbre pour y installer son nid. L’iroko, arbre sacré, se propose, mais les chasseurs avides des splendides plumages ne sont pas loin…
Et voici, plus récemment, Le Rat et le Serpent24dont la nouvelle édition fait aussi le choix heureux d’une illustration en « appliqués », issue des mains d’un descendant de la grande famille des Yémadjè, tisserands royaux d’Abomey. Cette nouvelle interprétation confère profondeur et force symbolique à ce texte qui repose sur l’homonymie du mot « bon » : le rat entend la bonté de l’homme, quand le serpent salive sur le goût délicieux de l’homme.
Comment ne pas faire le lien entre les tentures d’Abomey et les extraordinaires « flags », bannières Asafo, du Ghana sur lesquels les tribus Fante, depuis la colonisation anglaise, cousent de spectaculaires pièces de vie. Nul doute que le franco-togolais William Wilson, porte en lui ce double héritage dont son art témoigne si magnifiquement. L’Océan noir25 illustre de manière très impressionnante une quête identitaire intimement liée à celle du peuple noir. Et pour l’exprimer, il recourt à l’art des appliqués en faisant réaliser à Abomey même, les tentures que reproduit l’ouvrage. Elles retracent le parcours tragique de sa lignée africaine, délivrant motifs et symboles dont le sens se dévoile progressivement au regard avec l’aide des mots.
William Wilson, L'Océan noir. Gallimard |
Les « souwers » du Sénégal
Béatrice Lalinon Gbado est l’éditrice de Ruisseaux d’Afrique, au Bénin, exemple d’une édition jeunesse dynamique, novatrice, engagée… Elle est aussi un auteur fécond dans les genres les plus variés, albums, romans, documentaires ou poésie. Elle mène enfin, ce qui est encore assez rare, une véritable politique d’illustrateurs maison, dans un pays riche de nombreux talents qu’elle a su amener, en les formant, vers ce monde bien à part du livre de jeunesse.
Cependant, quand elle publie Maman26, c’est à un art traditionnel du Sénégal qu’elle fait appel, celui des fixés sous-verre27, pour accompagner son poème lyrique, hommage à sa mère et plus largement à la maternité. La grâce un peu distante et noble de ces représentations, dues à quatre artistes, magnifie l’ouvrage, lui donnant une véritable dimension artistique et confère une sorte d’intemporalité à une écriture très personnelle.
Editions Ruisseaux d'Afrique |
Même choix d’illustration pour La Fête du mouton28 qui raconte comment, à la veille de la fête de l’Aïd ou Tabaski, un enfant veut préserver du sacrifice son cher bélier, la plus belle bête du troupeau. Dakar est le cadre de cet album destiné aux plus jeunes. Les peintures, de différentes factures, alternent scènes de rue, enseignes, portraits d’« élégantes » – dans le mode classique du genre –, et scènes plus vivantes pour l’histoire du mouton, composant une galerie d’images où l’histoire trouve sa cohésion.
Dans un autre genre, voici les Cartes à parler inspirées du livre de lecture scolaire La Belle histoire de Leuk-le-Lièvre de Léopold S. Senghor et Abdoulaye Sadji29. L’art du sous-verre y est encore à l’œuvre. On sait sa capacité à s’emparer d’images devenues emblématiques, ici celles anthropomorphes de Marcel Jeanjean qui illustraient en 1953 l’édition originale de ce livre de lecture, considéré comme fondateur de la littérature de jeunesse africaine. Pour ces « cartes à parler », les artistes du « souwer » composent, autour des personnages traditionnels de la savane plus humains que nature – Leuk en tête –, autant de saynètes d’une grâce savoureuse.
Les références à l’art dans la bande dessinée
Saisissante innovation que le style graphique très personnel adopté par le dessinateur camerounais Japhet Miagotar pour Cargaison mortelle à Abidjan30 et, cependant, recours radical à la tradition pour ce qui est des sources d’inspiration, dans cette bande dessinée dénonciatrice qui relate l’histoire du navire qui, en 2006, déchargea sa cargaison de déchets toxiques dans le port d’Abidjan.
En effet, les corps et les têtes-masques de ses personnages sont ceux de statuettes et d’objets sacrés africains, dans un dessin totalement épuré aux lignes géométriques, avec un travail de recherche très précis pour les animer. « Je suis allé dans une bibliothèque parcourir des ouvrages d’histoire de l'art et puis ce fut le coup de foudre. Il est bien vrai que, sans la céramique, je ne serais peut-être jamais arrivé à ces personnages inspirés de la statuaire africaine en général et fang en particulier. Par ailleurs (…), je préfère parler d’innovation, de nouveauté. » explique Japhet Miagotar, lors d’unentretien pour Africultures avec Christophe Cassiau-Haurie31. La modernité des arts ancestraux, une fois encore, saute à la figure !
Japhet Miagotar, Cargaison mortelle à Abidjan. L'Harmattan |
La rue comme source d’inspiration
Au jeu des rapprochements, on est tenté de mettre en regard l’œuvre de deux très grands artistes. Celle du Camerounais Christian Épanya, à qui l’on doit les illustrations d’un grand nombre d’ouvrages pour la jeunesse (et l’écriture aussi parfois) et celle de Moké, peintre congolais disparu il y a une vingtaine d’années.
Ill. Christian Epanya, Pourquoi je ne suis pas sur la photo? Edicef |
Formé dans des écoles d’art, le premier, entre gros plans et détails, capte de son pinceau le mouvement de la vie dans un style éclatant de couleur, chaleureux et expressif. En attestent un album au petit format, Pourquoi je ne suis pas sur la photo ?32, ainsi que les grands formats, Le Taxi-brousse de Papa Diop33 et Le Petit photographe de Bamba34 qui, en grandes fresques, immortalisent la rue sénégalaise ou les studios de photographie de Bamako, avec leurs personnages hauts en couleur.
Le second, autodidacte, figure de proue célébrée de la peinture congolaise dite populaire, a trouvé dans la rue son inspiration. Il n’a illustré qu’un seul livre pour enfants, Les Histoires de la Grande Forêt35, fable initiatique portée par l’humour et le merveilleux. La force de son illustration « brute », dans un noir et blanc d’où jaillit la seule couleur rouge, le consacre comme l’un des premiers et grands ouvrages africains pour la jeunesse.
Inspirés par la vie quotidienne dont ils se font les observateurs minutieux et réalistes, l’un et l’autre puisent à cette grande tradition picturale populaire dont on retrouve des images dans toute l’Afrique.
Ill. Moké, Les Histoires de la grande fôret. Les Presses africaines |
Quand art visuel et transmission de la tradition ne font plus qu’un
Le choc est profond, lorsque paraît au Seuil, en 2002, L’Épopée de Soundiata Keïta, celle de ce fondateur de l’empire Manding au XIIIe siècle, et il perdure avec, plus récemment, La Fabuleuse Histoire de l’empire du Ghana, empire si vaste, si riche, si prospère… Car l’œuvre du Malien Dialiba Konaté, issu d’une famille de marabouts et de lettrés, offre un univers graphique d’une nature inconnue, tout comme est inclassable sa démarche à l’écoute de la mémoire ancestrale, des griots, des initiés, des artisans, des chasseurs, et à la lecture de bien des écrits. La publication dans un très grand format, l’image spectaculaire au stylo bille et crayon de couleur, dans laquelle du texte s’insère parfois, raconte, presque à elle seule la mythologie, l’histoire ou le quotidien (c’est le cas pour le précieux et plus intime Les Saisons oubliées : une enfance africaine) de certains peuples d’Afrique et devient œuvre de mémoire, de transmission. Elle porte et éclaire la tradition.
Dialiba Konaté, L'Epopée de Soundiata Keïta. Le Seuil |
Dans ce sens, on peut dire qu’elle est littéralement « inspirée », car transcrivant visuellement dans une relation fusionnelle, rare et spectaculaire, ce qui a été recueilli. Et elle parle aussi à ceux à qui elle est destinée : « Les jeunes aiment beaucoup ce que je dessine, ce que j’écris (…). J’aime être un intermédiaire entre eux et leurs racines, auxquelles la plupart n’ont pas accès directement, et les voir fiers que leur histoire ne soit pas morte ». Un entretien accordé à la revue Citrouille36, ainsi qu’un éclairant dossier37, aident à approcher cette œuvre unique.
L’imagerie populaire
On pourrait se livrer encore à ces rapprochements entre les illustrations telles que nous les découvrons dans les livres pour enfant et les créations artistiques ou expressions plus populaires qu’on trouve dans les livres, les musées, les expositions, les foyers d’artisans, la rue même… À tel ou tel type de dessins, de représentations ou de graphismes illustrant les histoires pour enfants, nous trouvons, sans bien l’analyser, des parentés avec telle ou telle forme d’arts ou d’expressions traditionnelles. Car, à côté des illustrateurs professionnels formés, aux écoles d’art ou non, les « artistes spontanés », comme les dénomme Marie Wabbes38, sont aussi inconsciemment nourris de références visuelles et de modes de représentation qu’ils doivent à leur culture. Ils contribuent aussi à offrir sa personnalité propre à la littérature africaine de jeunesse.
Faire parler les images
Les illustrateurs africains ont fort à faire et le font avec talent, car ils doivent, tout à la fois, prendre de la distance vis à vis des « modèles » si prégnants imposés durablement par les cultures étrangères.et s’ancrer dans leurs propres cultures, que cela soit visible ou non. Ce travail de réappropriation que cela suppose, donne au livre africain de jeunesse sa véritable personnalité. C’est un formidable creuset riche d’une histoire métissée. Les images parlent de toutes les manières, nous le savons… et le talent de l’artiste a le pouvoir faire résonner cette parole.
Notes et références
1. Benjamin Rabier. Gédéon en Afrique. Paris, Hoëbeke, 1995 (éd. originale, 1925).†
2. L’Histoire de Babar le petit éléphant deJean de Brunhoff, publié en 1931, ainsi que les titres qui vont suivre sous sa plume et celle également de Laurent de Brunhoff. Edités chez Hachette et à L’École des loisirs.†
3. William Steig. Le Docteur de Soto en Afrique. Paris, Gallimard, 1992.†
4. Kersti Chaplet. L’Oiseau de pluie, Epaminondas. Paris, Père Castor-Flammarion, 1970 et 1977.†
5. Toshi Yoshida. Souvenirs, La Querelle… Paris, L’École des loisirs, 1986.†
6. Thierry Dedieu. Yacouba, Kibwé, Yacoubwé. Paris, Seuil jeunesse, 1994, 2007, 2012.†
7. Propos tenus par le grand écrivain nigérian en 1987, lors de son discours d’introduction sur le thème de la littérature de jeunesse en Afrique, dans le cadre de la Foire du livre du Zimbabwe.†
8. Amabhuku. Illustrations d’Afrique/ Illustrations from Africa. Catalogue de l’exposition. Paris, La Joie par les livres, 1999. Voir aussi l’article « Amabhuku, illustrations d’Afrique » que Nathalie Beau lui a consacré dans Takam Tikou n° 8, 1999, p. 24-28.†
9. Lydie Diakhaté. « S’il te plaît, dessine-moi l’Afrique… ». Dans Takam Tikou n°8, p. 21-24.†
10. Cf. Véronique Tadjo. « Le royaume d’enfance ». Dans Takam Tikou n° 6, 1997, p. 18-21.†
11. Véronique Tadjo. Le Seigneur de la danse. NEA/Edicef (Le bois sacré), 1988†
12. Les Sénoufos constituent une ethnie présente au nord de la Côte-d’Ivoire, au Burkina Faso et dans le Sud du Mali. Entre autres expressions, on leur doit les toiles dites de Korhogo sur lesquelles sont dessinés des motifs stylisés dans une technique complexe qui utilise la boue.†
12 bis. Véronique Tadjo. « Transmettre l’empreinte de nos cultures » in : Guide pratique de l’illustrateur. Notre libairie. N° hors série, janvier mars 2003, pp 126-127. Téléchargeable. †
13. Véronique Tadjo. La Chanson de la vie et autres histoires. Paris, Hatier (Monde noir jeunesse), 1990.†
14. Véronique Tadjo. Le Seigneur de la danse. Abidjan/ Vanves, Nouvelles Éditions Ivoiriennes/ EDICEF, 1993.†
15. Véronique Tadjo. Masque, parle-moi. Abidjan/ Vanves, Nouvelles Éditions Ivoiriennes/ EDICEF (Le Caméléon vert), 2002.†
16. Cf. Véronique Tadjo. « Le royaume d’enfance ». Dans Takam Tikou n° 6, 1997, p. 18-21.†
17. http://babawague.wordpress.com/2013/01/†
18. Jean-Marie Adiaffi. La Légende de l’éléphanteau. Ill. Assane N’Doye. Paris, Éditions de l’Amitié/ Rageot, 1983.†
19. Jeanne de Cavaly. Pouê-Pouê le petit cabri. ill. Marie Seka-Seka. Abidjan, Nouvelles Éditions Ivoiriennes, 1981. Mary et Amadou Koné. La Force de vouloir. ill. Marie Seka Seka. Paris, CEDA/ Hatier (Les livres du soleil), 1983.†
20. Béatrice Lalinon Gbado. Les Chats de Christelle. Ill. Hervé Gigot. Cotonou, Ruisseaux d’Afrique (À la découverte de la vie), 1999.†
21. Cf. « Le Bénin et Jean de La Fontaine : une rencontre », entretien avec Dominique Mondoloni. Dans Takam Tikou n° 5, p. 32-35.†
22. Exposition « Sagesse. Sagesses. Hommage d’Afrique à Jean de La Fontaine ».†
23. Béatrice Lalinon Gbado. La Perruche, l'iroko et le chasseur. Ill. Michel Loucou alias Alèkpéhanhou, François Yemadje.Cotonou, Ruisseaux d’Afrique (Lunes enchanteresses), 2006 (2e éd.).†
24. Béatrice Lalinon Gbado. Le Rat et le Serpent. Ill. François C. Yemadje. Cotonou, Ruisseaux d'Afrique (Lunes enchanteresses), 2007.†
25. William Wilson. L’Océan noir. Paris, Gallimard Jeunesse-Giboulées, 2009.†
26. Béatrice Lalinon Gbado. Maman. Ill. Artistes sous-verre de Dakar. Cotonou, Ruisseaux d’Afrique, 2005.†
27. Peinture ou fixé sous-verre ou souwer : technique qui consiste à peindre par couches successives sur le revers d’une plaque de verre. Connue en Occident depuis l’Antiquité, on la retrouve au Moyen Âge dans les représentations religieuses. Elle est considérée comme un art savant à la Renaissance, à Venise et Murano, avant de devenir un art populaire dans l’Europe du XVIIIe siècle. À partir de l’Italie et de la Turquie, elle est introduite au Maghreb, et de là, au début du XXe siècle, au Sénégal, par l’intermédiaire des marchands arabes et berbères, des marabouts et des lettrés musulmans sénégalais.†
28. Béatrice Lalinon Gbado. La Fête du mouton. Ill. Artistes sous-verre de Dakar. Cotonou, Ruisseaux d’Afrique, 2009.†
29. Isabelle Barrière, Michel Boiron, Jean-René Bourrel, Thomas Sorin. Cartes à parler inspirées du livre de lecture scolaire La Belle histoire de Leuk-le-Lièvre de Léopold S. Senghor et Abdoulaye Sadji. ill. Babacar Lô, Moussa Johnson, Mor Guèye, Alexis Ngom. Saint-Maur-des-Fossés, Sépia, 2009.†
30. Japhet Miagotar. Cargaison mortelle à Abidjan. Paris, L’Harmattan (L’Harmattan BD), 2012.†
31. « Je préfère parler d’innovation... ». Entretien de Christophe Cassiau-Haurie avec Japhet Miagotar. Dans Africultures en ligne.†
32. Kidi Bebey. Pourquoi je ne suis pas sur la photo ?. Ill. Christian Épanya. Vanves, Édicef (Le Caméléon vert), 2000. †
33. Christian Épanya. Le Taxi-brousse de Papa Diop. Paris, Syros, 2005. †
34. Christian Épanya. Le Petit photographe de Bamba. Paris, Sorbier (Les Ethniques), 2007.35. Sudila Mvembe. Les Histoires de la Grande Forêt. Ill. Moké. Presses africaines, 1975.†
35. Moké, Les Histoires de la Grande Forêt (Sudila Mwembe). Les Presses africaines, 1975†
36. « Dialiba Konaté. La parole en images ». Entretien de Gégène, librairie L’Herbe Rouge, avec Dialiba Konaté. Dans Citrouille, n° 43, 2006.†
37 « Dialiba Konaté. Les Saisons oubliées ». Dossier pédagogique.†
38. Marie Wabbes est une illustratrice belge de très nombreux ouvrages pour les enfants. Elle a animé nombre d’ateliers de formation au livre pour enfant en Afrique et a été membre du jury qui a présidé à la sélection des illustrations présentées dans l’exposition « Amabhuku. Illustrations d’Afrique ».†