La littérature de jeunesse africaine à l’honneur lors d’une formation exceptionnelle à Koungheul, Sénégal
Une action de coopération exemplaire, qui met l’accent sur la littérature, la lecture, la chaîne du livre et le partenariat bibliothèque-école, a été rendue possible par l’engagement personnel des bibliothécaires, par le partenariat permanent entre associations de Sénégal et de France, et par le soutien d’une région française.
En 2006, la ville de Koungheul, au centre-sud du Sénégal, voyait naître une bibliothèque scolaire et municipale. Sa création a été rendue possible grâce à l’existence d’un partenariat entre deux associations, ECED (Échange et coopération éducative, à Seilhac, en Corrèze, France) et ABSMK (Association de la bibliothèque scolaire et municipale de Koungheul, Sénégal), ainsi que grâce à la volonté du porteur de projet, Moustapha Dieng, ancien proviseur du collège. Six ans plus tard, un projet d’envergure émerge des échanges entre les deux partenaires : mettre en place une formation de sensibilisation à la littérature de jeunesse africaine à destination des enseignants et des bibliothécaires de la commune sénégalaise. Grandement soutenus pas la région française du Limousin, les acteurs de ce beau projet ont pu mener à bien leur action durant le mois de février 2013.
Contexte et déroulement de la formation
Sous l’égide de la localité et de l’Inspection d’académie de Koungheul, ce sont vingt enseignants et bibliothécaires qui ont pu participer à cette formation. Pendant cinq jours, les stagiaires ont eu l’occasion de découvrir cette littérature toute jeune, inconnue jusque-là par la plupart d’entre eux. Trois bibliothécaires français et sénégalais, Diafara Sadikhou Fofana (bibliothèque de Koungheul), Laurence Dubois (médiathèque intercommunale Eric Rohmer de Tulle Agglo) et Lola Pouey-Mounou (médiathèque de Seilhac) animaient la formation dans une atmosphère à la fois studieuse et conviviale. Grâce à l’important soutien de la région Limousin, plus de deux cents albums et contes pour la jeunesse ont été achetés par D. S. Fofana à la librairie Clairafrique à Dakar. Venus accroître le fonds déjà important de la bibliothèque de Koungheul, ces ouvrages ont été de précieux supports pendant toute la durée de la formation
La littérature de jeunesse africaine mise à l’honneur
Trois axes ont structuré la formation : s’interroger sur les enjeux de la lecture et sur l’acte de lire ; découvrir la littérature africaine de jeunesse à travers un panorama de la production de ces vingt dernières années, des interviews d’auteurs africains, des présentations de maisons d’édition africaines ; enfin, réfléchir à l’importance des partenariats entre écoles et bibliothèques.
La littérature africaine de jeunesse, qui se développe beaucoup depuis une vingtaine d’années, a été présentée et étudiée à travers ses auteurs et illustrateurs qui donnent à voir, en image et en texte, la vie quotidienne, l’histoire, le patrimoine culturel des pays d’Afrique.
Exposés, ateliers pratiques et mises en situation des stagiaires ont suscité beaucoup de réactions. De nombreux débats ont eu lieu sur des thèmes divers et variés : la psychologie de l’enfant, les questions qu’il se pose (Pourquoi je ne suis pas sur la photo de Christian Kingué Épanya), l’enfance maltraitée (Prince de la rue de Dominique Mwankumi), la place de la lecture et du livre dans la société sénégalaise, les langues nationales, la disparition des griots, le souci de la mémoire et de la transmission, le statut de la femme (Diabou Ndao de Mamadou Diallo, ou encore, Ayanda de Véronique Tadjo – les stagiaires ont été très touchés par l’histoire d’Ayanda, en découvrant que l’enfant porte un jugement sur le monde des adultes), et enfin, la redécouverte du patrimoine et de l’histoire locale (l’épopée de Soundiata, merveilleusement illustrée par Dialiba Konaté ; l’art sénoufo dans les albums de Véronique Tadjo, etc.).
La notion de lecture-plaisir a, elle aussi, suscité de nombreuses réactions et une prise de conscience de la part de l’ensemble des participants : en tant qu’adultes, nous pouvons prendre beaucoup de plaisir à découvrir ces albums. Les célèbres « droits du lecteur » de Daniel Pennac ont eu un grand succès. De nombreuses ressources, papier ou électroniques, sont venues appuyer les propos des formateurs et enrichir les exposés.
Comment analyser le rapport texte/ image des albums ? Quelles sont les thématiques abordées pour toucher le jeune public ? Quelles ressources existent pour les enseignants et les bibliothécaires ? Comment inciter les enfants à la lecture ? Quel est le rôle des éducateurs et des enseignants ? Quelle place peuvent jouer les TIC (Technologies de l’Information et de la Communication) dans la sensibilisation à la littérature de jeunesse ?... Autant de questions qui ont été soulevées et auxquelles la formation aura progressivement permis de répondre.
Un des objectifs de la formation étant d’ancrer chez les stagiaires – enseignants et bibliothécaires – des habitudes de lecture à l’attention des enfants, il était important de mettre les stagiaires en situation. Des lectures d’ouvrages à voix haute sont venues ponctuer les cours théoriques. Chaque lecture était commentée, analysée, comparée, les thématiques explorées. Un après-midi a été entièrement consacré à la mise en place d’ateliers de lecture avec des enfants. Par équipe de deux ou trois, les stagiaires se sont retrouvés avec des petits groupes d’enfants à qui ils ont pu lire des histoires pendant deux heures. « Les enfants en redemandent », a affirmé une des participantes à la formation. Les stagiaires se sont beaucoup interrogés sur l’importance de la lecture dès le plus jeune âge, une habitude souvent absente dans la culture africaine
L’exposition « Le livre de jeunesse, un trésor africain » louée pour l’occasion
Un autre support de choix a été proposé aux stagiaires et accueilli avec fierté durant la formation : l’exposition « Le livre de jeunesse, un trésor africain », créée conjointement par l’association BLD au Sénégal et la Bibliothèque nationale de France. Cette exposition, très riche et en parfaite adéquation avec le sujet de la formation, a rencontré beaucoup de succès auprès des stagiaires mais aussi auprès des nombreux enfants qui ont pu la visiter. Elle restera d’ailleurs un mois supplémentaire au sein de la bibliothèque de Koungheul, afin qu’un grand nombre de jeunes puisse en profiter.
Un invité surprise de renommée : T. T. Fons, dessinateur et caricaturiste sénégalais
Le créateur du célèbre Goorgoorlu, personnage de bande dessinée emblématique au Sénégal, nous a fait l’honneur de venir participer à la formation. Il a évoqué la réalité de son métier de créateur, de son travail d’illustrateur, sa difficulté à être édité, ou encore, l’importance de l’image. La communication de T. T. Fons a suscité de nombreuses questions de la part des participants : « Est-il difficile aujourd’hui au Sénégal de réussir dans ce métier ? », « Avez-vous rencontré des difficultés dans votre parcours ? », « Aujourd’hui, parvenez-vous à vivre de votre métier ? » T. T. Fons a alors souligné qu’il fallait beaucoup de volonté, de détermination et, souvent, ne compter que sur soi-même pour qu’un projet aboutisse. « La littérature nourrit son homme », s’est exclamé T. T. Fons, alors qu’il était en train d’improviser une affiche dédicacée à la bibliothèque de Koungheul… La présence et le témoignage de cet invité ont ravi l’ensemble des stagiaires ; et s’ils ont pu découvrir le travail du dessinateur durant une matinée, l’après-midi, T. T. Fons à rencontré deux classes de la localité pour un atelier.
Un soutien important avec la présence d’Antoinette Correa, professeur à l’EBAD (École des bibliothécaires et archivistes de Dakar) et directrice de la maison d’édition BLD
Par un brillant exposé, Antoinette Corréa nous a permis de poursuivre la réflexion autour de l’importance du partenariat entre les écoles et la bibliothèque. La formatrice, également éditrice avec BLD (Bibliothèque Lecture Développement), un acteur important de la chaîne éditoriale africaine, est intervenue sur les difficultés du métier d’éditeur en Afrique et l’importance pour un pays d’avoir ses propres créateurs, suscitant ainsi l’envie d’écrire chez quelques-uns des participants.
La clôture de cette formation s’est déroulée dans une ambiance festive en présence d’Antoinette Corréa, de T. T. Fons, ainsi que des autorités locales. Chaque participant a reçu son attestation de stage ainsi qu’un album. Un griot, maître de la cérémonie, a improvisé une scène de rue dans laquelle il s’adressait à un enfant, afin de l’inciter à fréquenter la bibliothèque locale.
Conclusions et perspectives
L’inspecteur d’Académie a souligné, lors de la cérémonie d’ouverture, l’importance de la tenue d’une telle formation et la pertinence d’un thème tel que la littérature de jeunesse africaine, se réjouissant de la poursuite, de la solidité et de la pérennité du partenariat entre Français et Sénégalais et incitant les participants à transmettre cet enseignement. Toutefois, nous avons tenu à préciser la fragilité de ces partenariats en cette période d’incertitude économique. Une réflexion est maintenant à mener, du côté du Nord comme du Sud, afin de penser un nouveau mode de coopération. La synthèse de la formation a montré que les stagiaires avaient véritablement été initiés à la littérature de jeunesse africaine, et se sentaient capables de mettre en place des stratégies pour amener les enfants à la lecture et aux livres. « Les autorités et les stagiaires ont, tour à tour, exprimé leur satisfaction sur le déroulement du séminaire et se sont réjouis de l’impact qualitatif qu’il aura sur l’éducation des enfants. ». Ils ont retenu aussi l’importance du rôle du bibliothécaire comme agent de développement économique et culturel.
Suite à la formation, un plan d’action 2013-2014 a été réalisé, réinvestissant les acquis de la formation et tendant à développer un partenariat solide entre l’école et la bibliothèque.
Pour aller plus loin
Quelques réflexions de la part des stagiaires :
« Depuis hier, j’ai vu des esquisses de solution, notamment avec les livres audio, les livres bilingues », Cheikh Abdoul Khadre Diakhate.
« Je serai obligé de changer et de lire à l’école et aussi à la maison maintenant. Ce séminaire est venu à son heure. Et je suis édifié. À nous d’être des vecteurs d’information, de sensibilisation», Abel Ndiaye.
« C’est aux enseignants, à nous, de nous approprier la bibliothèque pour inciter les enfants à s’y rendre le plus possible » ; « aux enseignants de montrer l’exemple. Si c’est l’éducation qui nous intéresse, nous devons poser des jalons», Adama Diallo.
« Une bibliothèque ne vit pas tant qu’elle n’a pas de visiteurs. Nous, enseignants, pouvons maintenant vivifier la bibliothèque de Koungheul », Omar Thiam.
« Nous avons également notre participation à donner, mettons en commun nos efforts pour renforcer la fréquentation de la bibliothèque par les enfants », Mensor Ngom.
Laurence Dubois
Bibliothécaire depuis plus de vingt ans, elle a rencontré les membres de l’association ECED en 2005. Elle a été missionnée en 2006 afin d’effectuer un voyage à Koungheul pour aider à la mise en place de la Bibliothèque scolaire et municipale. Passionnée de littérature de jeunesse, elle entretient depuis ce voyage des échanges professionnels avec son homologue sénégalais et se rend ponctuellement à Koungheul pour des projets communs, le dernier en date étant la formation « Littérature de jeunesse africaine ».
Diafara Sadikhou Fofana
Diafara Sadikhou Fofana gère la bibliothèque scolaire et municipale de Koungheul depuis sa création en 2006. Après une formation en bibliothéconomie cette même année, il a effectué un stage au sein de la médiathèque de Tulle en 2008, puis un autre en juin 2012, afin d’approfondir ses connaissances du métier et participer à la manifestation tulliste « Rencontres africaines ». La bibliothèque de Koungheul dispose de 5 000 ouvrages, dont un fonds spécialisé en littérature de jeunesse africaine, et compte 3 000 lecteurs actifs. Diafara Sadikhou Fofana en est l’animateur principal, (organisation de conférences, expositions, spectacles). L’engagement de ce bibliothécaire/ animateur radio, a permis le développement et la pérennisation de cet outil culturel essentiel à la vie des Koungheulois.
Lola Pouey-Mounou
Lola Pouey-Mounou a effectué un stage au sein de la bibliothèque de Koungheul dans le cadre d’un diplôme universitaire de technologie, Métiers du livre et du patrimoine, option Bibliothèques, à l’IUT Montaigne de Bordeaux (France) ; suite à ce stage, elle a rédigé un mémoire de fin d’études sur la coopération Nord/ Sud - Sud/ Nord dans le domaine de la lecture publique au Sénégal. Elle travaille depuis 2012 comme bibliothécaire à Seilhac. Depuis sa première expérience au Sénégal, elle s’engage aux côtés de Laurence Dubois dans l’action de l’association ECED.