Entretien avec Josué Guébo
Le Père Noël comme personnage
Josué Guébo, écrivain et poète ivoirien, s’est imposé comme l’une des voix majeures des albums de littérature jeunesse en Côte d’Ivoire. À travers ces albums, Josué Guébo propose une véritable saga africaine du Père Noël. Il réussit à transformer un mythe global en une série de récits ancrés dans le quotidien africain, porteuse d’un message universel de fraternité. Ces récits, loin de l’imaginaire européen du vieil homme barbu venu du Nord, replacent la fête de Noël dans un contexte africain concret, en valorisant la générosité, la solidarité et la culture locale.
Vous avez écrit dix albums de jeunesse où le Père Noël est le personnage principal. Voilà qui interroge et qui donne envie de vous demander quel est votre lien personnel avec ce personnage mythique ?
Dans mon enfance, Noël, pour un enfant comme moi qui n’aimait pas l’école, c’était la période la plus longue sans école pendant l’année scolaire. C’était la féérie, les lumières, la décoration… une parenthèse de gentillesse de la part des parents, une période extraordinaire où la sévérité cesse. Une période où l’on n’a plus rien à prouver et où l’on reçoit des cadeaux. Pour moi, le Père Noël, c’est Dieu sans la
culpabilité. C’est une figure universelle et non pas uniquement une figure importée de l’Occident. Bien entendu, c’est aussi une figure importée de l’Occident mais elle renvoie dos à dos toutes les religions pour devenir l’unique religion des enfants. Que l’on soit catholique, protestant ou musulman, quand on est un enfant en Afrique, on croit au Père Noël. C’est l’unique religion. Dans l’esprit des gosses que nous étions, Jésus reçoit des cadeaux, le Père Noël, lui, il en donne ! Et du coup Jésus fascinait moins les enfants que le Père Noël. Quand j’ai été élu président des écrivains ivoiriens en 2011, j’ai décidé d’écrire pour les enfants et de susciter une nouvelle génération de lecteurs. C’était mon programme. Et quand j’ai commencé à écrire pour les jeunes, j’ai dû trouver une mascotte et c’est tout naturellement vers le Père Noël que je me suis tourné. Je suis revenu à lui comme symbole de féérie et comme figure possible d’universalité. Mais mon objectif dans mes albums est de trouver au Père Noël un ancrage africain. Voilà une figure d’universalité que je veux tropicaliser en quelque sorte… -
Précisément votre Père Noël n’est pas une figure de la consommation et du consumérisme telle qu’elle a pu être popularisée avec la publicité de Coca-Cola dans les années 1930 qui lui a donné ses traits définitifs. C’est même tout le contraire. Et pourtant, c’est tout de même cela qui vous fascinait dans votre enfance ?
En fait, ma posture est militante. Je ne veux pas d’un Père Noël d’importation. C’est un Père Noël infantilisant. Le point négatif de la culture du Père Noël, c’est le fait de recevoir. Je ne veux pas d’un Père Noël qui donne, donne… La logique de la réception ne suffit pas et c’est pour cela que dans Le Père Noël aime l’attiéke j’inverse cette logique. C’est l’histoire de Gabello, un petit garçon qui décide d’offrir à manger au Père Noël un plat local très apprécié. Il s’agissait de créer une bijection et de suggérer aux enfants la nécessité de donner. Donc, je suis fasciné par la figure du Père Noël mais je souhaite retirer la dimension mercantile qui l’accompagne.
Oui, cette dimension du don est présente aussi dans un album jeunesse de Gabrielle Vincent, Mon petit Père Noël, où une petite fille va consoler un petit Père Noël sans cadeaux en lui offrant sa poupée.
Cette petite fille là va épouser mon Gabello ! En effet, le don implique le contre-don et il est primordial queles enfants ne soient pas que dans une logique de réception mais qu’ils puissent comprendre que donner est tout aussi important et satisfaisant.
Le Père Noël serait donc une figure d’universalité parce qu’il serait un personnage très plastique. Dans certains de vos albums, il devient même très africain. Racontez-nous.
Dans Le Père Noël danse le ziglibity, j’ai voulu réécrire le mythe de la reine Pokou qui est le mythe fondateur du peuple Baoulé. La reine Pokou est entrée en Côte d’Ivoire poursuivie par des soldats et doit jeter son fils au fleuve pour qu’un pont de caïmans se forme afin qu’elle et les siens puissent traverser, nous dit le mythe. Elle a donc sacrifié son fils unique pour sauver son peuple, le peuple Baoulé. C’est un mythe très prégnant en Côte d’Ivoire. Et j’estime que c’est un mythe dangereux. J’ai voulu l’aseptiser car je le trouve néfaste et cruel pour la conscience collective. J’ai réécrit le mythe en imaginant qu’elle n’a pas tué son fils unique mais qu’elle l’a caché et qu’il est devenu le Père Noël. Je veux marier les cultures. Je veux qu’une figure universelle puisse sauver un mythe en le recréant, car le mythe de la reine Pokou peut être source de reproduction de mauvais schémas. On ne peut suggérer qu’il faut tuer notre descendance pour sauver le présent.
On a même parfois l’impression que le Père Noël peut être le sujet d’un album documentaire.
En effet, dans Le Père Noël va à Gagnoa, mon propos était plus documentaire. Il s’agissait de faire découvrir que le vrai nom du fromager, totalement inconnu des enfants, était le kakopier. C’est un jeu de
mots. Et puis Gagnoa, c’était aussi un clin d’œil au lieu de naissance d’un ancien président en prison à ce moment-là, un président en l’innocence duquel j’ai toujours cru. D’ailleurs, il a été purement et simplement relaxé. Mais, bon, ceci est une autre histoire ! Dans Le cache-nez du Père Noël, il y a aussi une dimension documentaire mais c’est plus qu’un album documentaire sur le coronavirus. À travers le coronavirus, je cherche à parler de la notion de sacrifice. Pour la santé de tout le monde, il fallait sacrifier quelque chose et là, c’est le Père Noël qui sacrifie sa belle barbe et se la fait raser pour que ce soit plus simple et hygiénique. Par conséquent, le Père Noël n’est jamais simplement documentaire, il est toujours porteur de valeurs. Dans Le fils du Père Noël, Jean-Noël est un enfant qui ne reçoit pas de cadeaux mais qui rassure ses camarades en leur expliquant qu’il en recevra plus tard car de toutes façons, il est le fils du Père Noël. Il s’agissait pour moi de donner l’espoir aux enfants dont les parents n’ont pas les moyens de leur offrir des cadeaux tout en retournant le stigmate de la pauvreté en richesse. En fait, comme le Père Noël est universel, il est ainsi interculturel. Il suffit de surfer sur le personnage.
Vous pouvez nous en dire davantage ?
Mais oui, le Père Noël est aussi une figure locale en Côte d’Ivoire. Souvenez-vous, il y a eu un coup d’État le 24 décembre 1999. L’homme qui a pris le pouvoir, on l’a appelé le Père Noël. À l’époque, j’avais écrit un texte intitulé « Un fusil nous est né » en parodiant la traditionnelle lecture de Noël : « Un fils nous est né ». Mais appeler ce nouveau dictateur « le Père Noël en treillis », c’était tout à la fois minimiser l’événement et garder espoir. En fait, pour revenir à mes albums de jeunesse, disons que le Père Noël, c’est comme le français, il faut l’acclimater. Culturellement, l’Afrique opère une acclimatation des éléments exogènes. J’ai écrit un livre sur le français ivoirien. Avec le Père Noël, je suis dans la même logique, je reconnais le personnage mais je lui fais subir quelques variations en regard d’une tradition, somme toute, assez récente. Et il me semble que, précisément, c’est le principe même d’un tel personnage de traverser l’espace et le temps en se métamorphosant.

