Takam Tikou, une aventure à suivre
Takam Tikou, qu’est-ce que c’est ? Qu’est-ce que ça veut dire ?
Au début, la revue s’appelait « Le Bulletin de La Joie par les livres ». Un nom que personne à La Joie par les livres ne trouvait bon sauf les rédactrices. Pour nous, il disait bien qu’il s’agissait d’une publication de liaison, et il contribuait à faire connaître l’institution à l’étranger. Puis,elle eut à partir du numéro 4, en 1994, un nouveau nom qui, lui, plaisait et surtout, interrogeait : « Takam Tikou ». Comme Takam Tikou, « j’ai deviné ! », titre d’un livre de poèmes (NEI, 1997) de l’écrivain sénégalaise pour enfants Fatou Ndiaye Sow, qui nous a très gentiment permis de nous l’approprier… Ou « Taqamtiku », pour dire « c’est très bon, j’en reveux » quand on a goûté à un mets délicieux. Des mots wolof qui suggèrent donc le goût, la saveur des mots, le jeu des sonorités… Ce plaisir de la lecture et de l’écrit, toujours renouvelé, toujours à partager… En fin de comptes, c’est « La Joie par les livres » dans une autre langue. Exactement.
Naissance d’une revue
En 1984, Geneviève Patte, directrice de La Joie par les livres, se rendit au Mali, invitée par le Projet Lecture Publique pour animer un stage autour de la lecture de livres pour enfants. Elle constata que les livres des bibliothèques n’étaient pas vraiment les bons livres « pour le bon enfant au bon moment »…, et pensa alors à un mode de travail qui avait été très fructueux en France : un réseau de lecture, avec un bulletin de liaison et un centre de documentation capable de répondre aux besoins des bibliothécaires. Pour le faire, elle engagea Marie Laurentin en 1986 et moi-même en 1987 : le secteur « interculturel » de La Joie par les livres était né. Le bulletin, lui, est né en 1989 : 40 pages agrafées, dans une maquette faite par nous-mêmes, illustrée par des images de livres pour enfants, avec une couverture couleur. Elle portait un logo créé pour l’occasion, représentant un timbre tamponné de la date de parution : la revue était comme une lettre… Et un thème « Les livres africains pour la jeunesse : catalogue des éditions en français ».
Promouvoir une édition émergente
La question du choix des livres pour une bibliothèque est primordiale : les livres véhiculent une vision du monde…Pour nous, les livres de l’édition locale et régionale étaient prioritaires. Lire des livres de sa propre culture est indispensable.Nous avons commencé par réunir, cataloguer et étudier les livres et les journaux africains pour enfants, puis nous avons publié les « notices » dans la revue. Ainsi, ce premier numéro présentait tous les ouvrages disponibles édités en Afrique en français et ceux des auteurs africains – ou issus de la tradition orale africaine – publiés en France, soit 170 titres, dont seulement 8 imprimés en Afrique…
Depuis lors, chaque numéro de la revue présente ainsi de manière exhaustive les nouveautés africaines (du sud du Sahara) pour enfants. à partir du numéro 3, elle a présenté aussi des livres du Maghreb et c’est avec l’arrivée d’Hasmig Chahinian à la rédaction en 1999 que les livres de tous les pays du Monde arabe ont enrichi la revue. Puis, vinrent ceux de la Caraïbe en 2004 et enfin, ceux de l’océan Indien en 2007. Ces bibliographies ont inclus, et de plus en plus au fil des numéros, des sélections des meilleurs livres français concernant ces pays. Cette importante rubrique de la revue s’appelle « Choisir ses livres » : tout un programme ! Elle a été accompagnée, depuis le début, des coordonnées des éditeurs et des distributeurs, pour faciliter les achats. Les journaux pour enfants ont aussi eu leur rubrique, « La vie des revues ».
Accompagner les bibliothécaires
Avec le numéro 2 (1990) s’ouvre un deuxième axe de la revue, celui de la coopération avec les bibliothécaires, avec la publication de la mise en commun du travail du Réseau de lecture critique. Marie Laurentin en parle dans ce dossier. Le rôle de « bulletin de liaison » du Réseau a été essentiel à la revue. Il a défini ses destinataires premiers, qui devinrent en même temps ses collaborateurs : les bibliothécaires. La couverture de ce numéro est bien parlante : une carte de l’Afrique avec un timbre postal de chaque pays dont des bibliothèques participaient au réseau ; ce sont des timbres des enveloppes contenant les réponses des membres… (pas de fax, moins encore d’Internet à l’époque !).
La rubrique « La critique des livres pour les jeunes dans les bibliothèques africaines », appelée plus tard « La vie des livres pour les jeunes dans les bibliothèques africaines », a été toujours présente depuis. À partir du numéro 13, des bibliothèques du Monde arabe se sont jointes au Réseau.
Rendre compte des évolutions de la chaîne du livre et de la chaîne de la lecture
À partir du numéro 2, la revue comporte également des informations, des comptes-rendus, des notes de lecture, des articles et des entretiens sur tous les aspects de la vie du livre et de la lecture des enfants : l’écriture et l’illustration, l’édition et la distribution, la promotion (salons du livre, expositions, prix littéraires…), la critique, la littérature professionnelle ; la vie des bibliothèques – aménagement, animation… La revue se fait aussi l’écho de l’évolution des réseaux de bibliothèques, de la coopération internationale, de la formation des acteurs… À partir du numéro 8 chaque édition consacre un dossier central à un thème : Illustration Africaine, Le roman et l’Afrique, Les tout-petits et le livre, Formations aux métiers du livre… En vingt ans, la revue est passée de 40 pages à 128 !
S’élargir à de nouvelles régions
L’édition et les bibliothèques pour enfants ont connu partout un développement extraordinaire durant ces vingt années et la revue s’est ouverte à d’autres régions du monde. Si les bibliographies de livres maghrébins étaient présentes dès le numéro 3, c’est à partir du numéro 9 que Takam Tikou référence les livres pour la jeunesse de l’ensemble des pays arabes. Le dossier leur est consacré. En 2004, le dossier du numéro 11 marque l’arrivée de la Caraïbe et en 2007, avec le numéro 14, c’est le tour de l’océan Indien. Des régions qui ont en commun, pour beaucoup des pays qui les composent, un rapport historique avec la France et surtout, la langue française qui n’est pas leur seule langue, ni la première ; les livres bilingues wolof, arabe, créoles, malgache… dont la revue rend compte, en témoignent. Elle présente aussi des éditions monolingues en arabe, et dans une moindre mesure, des éditions dans les langues africaines et créoles.
S’ouvrir au monde
Il y a vingt ans, les enfants africains ne pouvaient lire en bibliothèque que des livres étrangers– dans le cas rare où l’enfant avait accès à une bibliothèque ! - , d’où la nécessité de promouvoir l’édition africaine. Pour autant, la bibliothèque doit aussi donner accès aux richesses de la littérature de jeunesse du monde entier. La revue a ainsi publié des sélections de titres, pour les plus petits et pour les adolescents, d’ouvrages remarquables créés dans différents pays, dont la France. La revue poursuivra également son approche des questions de lecture des enfants et des jeunes dans le monde entier, comme elle l’a fait dans le numéro 15, avec son « tour du monde » de la lecture des adolescents.
Faire évoluer le support
Les aspects matériels de la revue ont évolué au fil du temps, et la fabrication artisanale du premier numéro est bien loin… La maquette s’est de plus en plus améliorée grâce au travail de très bons professionnels, mis au défi d’un contenu très dense et très varié, dont des bibliographies complexes, et d’une illustration abondante. Le noir et blanc de l’intérieur a laissé la place à la bichromie et à des cahiers en couleur. La qualité du papier s’est améliorée.
Avec le développement du site de La Joie par les livres, les numéros ont été numérisés et sont accessibles sur http://lajoieparleslivres.bnf.fr par le menu Bibliothèque numérique.
On peut accéder aussi sur ce site au catalogue du CNLJ – La Joie par les livres, intégrant les notices des livres présentés dans Takam Tikou.
Assurer ladistribution dans les pays concernés
Le premier numéro était imprimé à 1000 exemplaires et, à partir du neuvième, à 4000… Faire parvenir la revue aux destinataires a été une tache d’envergure… Une distribution personnalisée à des destinataires de tous les métiers du livre, dans des endroits très divers et souvent difficiles à atteindre (Et chaque exemplaire pesait presque un demi-kilo !). C’est le ministère de la Coopération, puis les Affaires étrangères qui s’en sont chargés par le biais de leurs opérateurs : l’Audecam, l’adpf et CulturesFrance, à partir de listes de destinataires par pays que nous leur communiquions. Les services culturels des ambassades de France sur place faisaient alors parvenir la revue aux professionnels. Tout cela prenait du temps, mais la revue finissait par atteindre ses lecteurs. Le nombre d’exemplaires ainsi distribués a augmenté au fil des années pour atteindre 2500 au numéro 9 et rester à 2700 à partir du numéro 10. Mais nous faisions aussi des envois par la poste, notamment aux membres du réseau, aux éditeurs dont nous présentions les livres, ou aux libraires. La revue est ainsi arrivée, gratuitement, dans les quatre régions concernées, y compris dans des pays non francophones. L’Organisation Internationale de la Francophonie a régulièrement acheté des numéros pour diffusion dans leurs CLAC, Centres de lecture et d’animation culturelle. La revue est aussi vendue par nos soins. En France, ses acheteurs sont surtout les organismes engagés dans la coopération pour le livre et les nombreux bibliothécaires soucieux d’enrichir leur fonds de livres de ces pays.
La distribution gratuite dans les régions concernées par Takam Tikou n’étant plus financée, nous avons fait le choix d’une édition en ligne.
Qui sont les collaborateurs de Takam Tikou ?
Les premiers collaborateurs ont été les membres du réseau. S’y sont ajoutés d’autres bibliothécaires, des écrivains, des illustrateurs, des éditeurs, des libraires, des chercheurs. Trois personnes pour le numéro 2, seize pour le numéro 3, vingt-six pour le numéro 7, soixante-treize pour le numéro 14, et pour cette édition en ligne, « seulement » quarante-huit ! Auteurs d’articles ou de critiques de livres, ou bien interviewés, ils proviennent de vingt-sept pays d’Afrique, du Monde arabe, de la Caraïbe, de l’océan Indien, et de France. Véronique Tadjo, Aminata Sow Fall, Andrée Clair ou Mohieddine Ellabbad parmi les auteurs et illustrateurs, Guy Lambin, Henri Chakava ou Béatrice Gbado parmi les éditeurs, les critiques et universitaires Bernard Magnier, Régina Traoré, Maximilien Laroche, Jean-Louis Joubert ou Michèle Petit , Françoise Danset ou Mariétou Diongue Diop pour les bibliothécaires.
Ainsi, Takam Tikou est une revue faite de rencontres institutionnelles, professionnelles et personnelles. L’une d’elles a été essentielle : la rencontre avec Régine Fontaine. Elle gérait au ministère de la Coopération, même avant le début de notre travail, toutes les actions françaises de coopération pour le livre et la lecture. C’est à travers elle que s’est fait la rencontre entre les objectifs de la revue et une politique française de forte coopération en faveur du livre et la lecture. Régine Fontaine a soutenu la revue (et bien plus largement le réseau de lecture critique, et toutes nos autres actions de coopération) depuis ses débuts et indéfectiblement. Par le financement et la logistique de son ministère mais, bien au-delà, par son accompagnement constant, intelligent, enthousiaste, fin, chaleureux, engagé.
Pour conclure
Takam Tikou témoigne de l’histoire, de l’évolution des livres et des bibliothèques : tout un mouvement que la revue a accompagné… Pendant ces vingt ans, le paysage du livre pour enfants et des bibliothèques dans ces pays a changé et continue de le faire, suivant un développement aussi discret que remarquable, un chemin assez extraordinaire malgré les nombreux obstacles de tout ordre et des contextes souvent très difficiles. Si la majorité des jeunes n’ont toujours pas accès au livre et beaucoup reste bien évidemment à faire, des réseaux de bibliothèques, des Centres nationaux de lecture publique, des bibliothèques associatives se sont créés (qui ont eu un rôle important pour l’essor d’une édition)), leurs fonds de livres sont mieux adaptés, des professionnels se sont formés. Des auteurs, des illustrateurs, des littératures très riches ont vu le jour, des maisons d’édition, de co-éditions, des chemins pour la circulation des livres entre les pays et vers la France. De très nombreux partenariats « décentralisées » avec la France ont surgi, et des associations professionnelles d’illustrateurs, bibliothécaires, éditeurs, libraires ont commencé à s’instaurer. Aujourd’hui, ce Takam Tikou se fait l’écho d’une édition qui vit avec moins d’aides et gagne en audace et créativité ; de nouvelles bibliothèques, des libraires qui vendent des livres pour enfants venant de différents pays, des sites pour la promotion du livre… L’aventure continue…