Pour la vie du conte au Togo
L’association La Cour des contes mène, au Togo, de multiples actions en faveur du conte. Quelles sont-elles ? Pourquoi ? Comment ? Gnimdéwa Atakpama explique les actions de l'association et présente les contes togolais. Un texte sur des questions essentielles et des actions concrètes, accompagné d’une bibliographie de contes publiés au Togo.
Du Gain du conteur à La Cour des contes
Si je vous disais que tout a commencé à cause de Sylvain Kodjo Mehoun. Quand j’ai fait sa connaissance, il y a une vingtaine d’années, il était conteur et comédien. On s’est perdu de vue, parce qu’il est parti à Nantes comme assistant à la mise en scène de la Compagnie Royal de Luxe. Je l’ai revu à Lomé en 2007. Il était en vacances dans sa ville natale. Une amie commune lui a alors fait le reproche de mener « égoïstement sa vie en France sans rien entreprendre au Togo pour aider ses jeunes frères ». Comme le dit le proverbe, la plus belle femme du monde ne peut donner que ce qu’elle a. Sylvain Kodjo Mehoun n’est pas la plus belle femme du monde mais il sait raconter des histoires. Alors, il a initié « Le Gain du conteur », un projet de formation à l’art du conte et un concours de contes. Ensemble, avec le comédien et metteur en scène Amoussa Koriko, nous avons fait une première édition sans tambour ni trompette. Puis, Amoussa est retourné aux États-Unis, où il vit, et Sylvain en France. C’est comme cela que je me suis retrouvé à la tête du « Gain du Conteur », le Festival international du conte et des arts de la parole au Togo.
Du coup, j’ai proposé une évolution dans la programmation, car, à l’heure où nos sociétés s’interrogent sur de nouvelles méthodes d’enseignement, où l’on fait appel aux techniques traditionnelles de « l’école sous l’arbre » et des « veillées au clair de lune », un festival de contes doit répondre à certaines attentes. Le conte apporte une réponse claire aux problèmes angoissants de nos sociétés actuelles. Mais les veillées se font de plus en plus rares. Or, de tout temps, en Afrique comme ailleurs, le conte a facilité l’une des tâches les plus difficiles qui incombe à l’éducation : faire que l’homme trouve un sens à la vie. C’est pourquoi une citation forte accompagne chaque édition du Festival. Cette année, nous allons nous laisser guider par une guérisseuse amérindienne, Leslie Silko : « Je vais vous dire quelque chose au sujet des histoires. Elles ne sont pas un amusement, ne vous y trompez pas. Elles sont tout ce que nous avons, voyez-vous, tout ce que nous savons pour combattre l’oubli, la maladie et la mort. Vous n’avez rien, si vous n’avez pas les histoires. »
Après la seconde édition, les stagiaires ont exprimé le vœu de se réunir en association dans le but de pérenniser l’événement et, ainsi, éviter que le Festival reste le projet de quelques personnes seulement. L’association des conteurs et professionnels des arts de la parole au Togo, « La Cour des Contes », était née. Elle a pour but d’utiliser le patrimoine oral comme un levier et vecteur de développement humain et durable.
Un Festival foisonnant d’activités
Au Togo, l’art de l’oralité fait partie du patrimoine immatériel collectif. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, ce domaine est structurellement embryonnaire. Il existe très peu d'associations organisées autour de la diffusion du conte. Surtout que les transformations socio-économiques qui affectent nos familles dans leur structure et cadre de vie n’offrent plus un climat propice à la profération des contes. Du coup, les bons conteurs se sont raréfiés avec le temps. C’est pour cela que nous insistons tant sur la formation des futurs professionnels du conte. Après Sylvain Kodjo Mehoun en 2007, nous avons reçu comme formateurs le griot et metteur en scène burkinabé Hassane Kassi Kouyaté, en 2008, et le conteur libanais Jihad Darwiche, en 2009. En janvier prochain, nous aurons l’honneur et le plaisir d’accueillir la conteuse québécoise Yolaine Carrier, spécialiste de la programmation neuro-linguistique (PNL)1 et de la stratégie Walt Disney2. M’inspirant de l’initiative du CLIO (Conservatoire contemporain de Littérature Orale), j’ai proposé, à l’occasion de notre cinquième édition, qui aura lieu du 27 janvier au 4 février 2012, « Les premières rencontres professionnelles du conte au Togo » pour témoigner de la vivacité des arts de l’oralité et les encourager en faisant se rencontrer public, responsables de centres culturels, opérateurs culturels et artistes, afin de permettre à tous les acteurs d’échanger sur leurs pratiques et leurs problématiques. Car, trop souvent, les programmeurs méconnaissent le conte et le confondent avec le théâtre. Il est vrai que le Togo a connu l’influence du mythique groupe Zitic3 – dont deux membres ont reçu la médaille d’or aux Jeux de la Francophonie en juillet 1994 à Paris – qui a implanté le « conte théâtralisé » chez nous. C’était au temps où, un peu partout dans le monde, des artistes initiaient le renouveau du conte. Ce mouvement s’est construit autour de la nécessité de raconter et de faire raconter, en particulier au travers du collectage, de la transmission et de l’adaptation du patrimoine oral et narratif au monde d’aujourd’hui.
Outre les ateliers de formation, master classes et rencontres professionnelles, le Festival connaît d’autres moments forts : un Salon du livre et une caravane. Un Salon du livre dans un Festival du conte, le rendez-vous par excellence de l’oralité ? Évidemment ! Même si une grande confusion règne dans l’édition autour du terme « conte ». D’ailleurs, nous ouvrons le Salon à tous les livres. En 2008, par exemple, nous avons donné une grande place à la bande dessinée. Pour les conteurs que nous sommes, le savoir-dire est indissociable du savoir-lire. Cette année, il y aura, bien sûr, des éditeurs et libraires de la place pour exposer des livres de conte et de jeunesse, mais il y aura aussi et surtout des rencontres-lectures avec des auteurs togolais de livres de contes. Un tel rendez-vous peut stimuler l’intérêt du public pour le conte et lui permettre d’exprimer ses préoccupations sur la création ou la transcription des contes, les enjeux socioculturels, la transmission des valeurs, la construction des identités collectives et individuelles, etc. Des coins lecture seront également aménagés pour permettre aux visiteurs qui ne peuvent pas acheter de livres d’en lire quand même.
Au bout de quatre éditions, « Le Gain du conteur » a réussi l’essentiel, à savoir remobiliser le public autour du conte. Cela a été possible parce que notre association organise une foule d’autres activités en lien avec le conte et les arts de la parole, notamment le projet « À l’école des contes » dont la première édition a eu lieu les 28 et 29 mars dernier à Kara, au Nord du pays. « À l’école des contes » est un festival interscolaire qui s’articule en trois phases :
- des animations et des ateliers en milieu scolaire par des conteurs professionnels
- une compétition interscolaire de contes
- des ateliers de formation sur l’enseignement du conte à l’école, à l’attention des enseignants
C’est une citation de la conteuse Praline Gay-Para qui a guidé la première édition de ce Festival : « Le conte doit entrer vivant dans l’école, porté par une voix, un souffle, une âme, une personnalité, une vision du monde, c’est-à-dire par un conteur qui ne joue pas les contrôleurs. »
Faut-il énumérer ici toutes nos activités, production de spectacles, organisation de stages et autres interventions ? Si vous insistez, je vais juste évoquer le projet « Contes en banque », un atelier d’écriture de contes qui n’a connu qu’une seule édition, faute de moyens financiers. Voilà une bonne transition pour enfin dire que nous peinons à trouver un modèle économique et que nous ne recevons de financement d’aucun bailleur au moment où j’écris ces lignes. Comment faire comprendre aux partenaires techniques et financiers de la solidarité internationale que le patrimoine oral est vecteur et levier d’un développement humain et durable ?
Mon conte se lève, roule, roule…
Quoi ? Toutes ces lignes sans parler du conte togolais ? Il ne viendrait à l’idée d’aucun conteur traditionnel de regrouper des contes selon des thèmes. Dans les veillées, les contes arrivent comme ils arrivent, suivant l’inspiration et la composition de l’assistance. C’est, à mon avis, le sens même de la formule introductive du conte éwé : « Mon conte se lève, roule, roule et tombe sur… » Pour les besoins de ces lignes, je dois faire, à l’évidence un effort de classification.
Le premier personnage qui me vient à l’esprit est celui du Malin, qu’il soit incarné par l’araignée (Adja ou Anjao en pays kabyè, Adja Bouroubourou en pays bassar, Yévi Golotoé, en pays éwé) ou le lièvre (Aji en kabyè). Les autres personnages sont le plus souvent sans nom. Je parlerai d’abord de « l’orpheline ». Maltraitée par sa marâtre, sous les yeux indifférents du père, elle est expulsée de la maison pour avoir cassé un ustensile de cuisine qu’elle est sommée de ramener à l'identique dans les plus brefs délais. Au bout d’une longue épreuve, elle reviendra riche grâce à son innocence et à sa bonté. Toujours aveuglée par la jalousie, la marâtre expulsera sa propre fille dans l’espoir de la voir revenir fortunée. Cette dernière soit trouvera la mort, soit reviendra avec une grande calebasse remplie de toutes les calamités. Il y a aussi « la fille difficile » qui choisit un étranger plutôt que les prétendants de son village. Elle sera punie. Son mari est, en général, un animal, un monstre ou tout autre être asocial. Et c’est justement un autre membre du clan (un frère ou un prétendant éconduit), ou un esprit tutélaire, qui vient la tirer du mauvais pas. Pour continuer avec les personnages féminins, mentionnons également le thème de la sorcière dévoreuse de ses enfants mâles. À propos d’enfants, il ne faut pas oublier le thème des enfants terribles. J’en connais trois sortes : l’enfant plus rusé que le roi, les jumeaux dont l’un est né par le ventre, l’autre par la cuisse, et l’enfant qui choisit la brousse pour naître bien après le terme. Il ne retournera jamais à la maison : il monte au ciel ou rentre sous terre. Le thème de la calebasse, marmite ou meule miraculeuses qui donnent à manger à satiété en période de famine, revient aussi très souvent.
Impossible de faire le tour de la question en si peu de mots. Je ne parlerai donc pas des contes facétieux, étiologiques, philosophiques, égrillards, humoristiques, des contes licencieux sur les organes sexuels. Je ne parlerai pas des randonnées, des comptines, des berceuses. Je ne parlerai pas de légendes dont la plus connue au Togo est celui d’Agokoli, roi prétendument sanguinaire qui aurait occasionné la dispersion des Éwé, peuple du Sud du Togo. Je vais juste évoquer les mythes du Fâ. À l’aide d’un chapelet divinatoire de huit demi-noix, le devin obtient un signe parmi les 256 possibles de la combinaison. Pour répondre à la question du consultant, le devin doit interpréter les contes, proverbes et chants liés à chaque signe.
Pour finir, un mot sur moi. J’ai l’habitude de dire que je suis un « passeur d’histoires et de rêves ». Enfant, j’ai sucé la parole à la mamelle. J’ai écouté les maîtres de la parole dans la forêt sacrée. Sur les sentiers de ma vie, j’ai écouté les oiseaux chanter, les tam-tams crépiter ; j’ai saisi les secrètes paroles des baobabs fétiches et des masques sacrés.
Journaliste de formation, j’ai travaillé pendant trois ans dans la presse panafricaine à Paris. J’écris des livres pour la jeunesse4. J’ai enseigné l’histoire et la géographie dans un collège au Togo (programme français) et l'écriture journalistique dans une école supérieure au Bénin. Aujourd’hui, je partage mon temps entre l’édition de pages web et l’enseignement de l’histoire de l’art. Le ciment de toutes ces activités pour moi reste la capacité de pouvoir raconter des histoires. Des histoires réelles dans le cadre de la presse et des histoires inventées – mais vraies – dans le cadre du conte.
Notes et références
1. La PNLest une méthode utilisée pour favoriser la créativité et la réalisation de projets professionnels artistiques et personnels.†
2. La stratégie Walt Disney est utilisée comme technique de créativité pour un projet concret et fait partie des modèles de stratégie dans la PNL.†
3. Zitic (Zinaria Tiata Club) était formé de feu Akpovi Kossi Corneille, Gbétéglo Anani Pierre, Houngbédji Abalo George, Mehoun Kodjo Sylvain et Sanvee Kokou Béno.†
4. La Désillusion. Ill.Patrick Apelete Akakpo, trad. Kpatcha Alaba M. Alou. Paris, L’Harmattan (Contes des quatre vents), 2003. Bilingue kabyè-français
Tolo-Tolo. Ill. Michel Gay. Paris, L’École des loisirs, 2004
Sauve-souris ! Ill. Nicolas Hubesch. Paris, L’École des loisirs, 2011 †