Publier des livres en comorien : le rêve d’un linguiste

Entretien avec Mohamed Ahmed-Chamanga, linguiste et éditeur

Propos recueillis par Anne-Laure Cognet
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Depuis le début des années 2000, les éditions généralistes Komedit, dirigées par Mohamed Ahmed-Chamanga, publient régulièrement des livres de jeunesse, dont des contes illustrés et quelques récits pour les plus grands. La volonté de transmettre le patrimoine culturel des Comores aux jeunes lecteurs se double d’un véritable souci de valoriser l’écriture de la langue comorienne.
Rien d’étonnant à cette démarche éditoriale quand on sait que Mohamed Ahmed-Chamanga est avant tout linguiste et qu’il enseigne le comorien à l’INALCO (Institut national des langues et civilisations orientales) à Paris. En dotant la langue comorienne d’un outil d’enseignement – il est l’auteur d’une indispensable Introduction à la grammaire du comorien – et en publiant des livres en comorien sur des sujets très variés, Mohamed Ahmed-Chamanga prépare l’avenir, celui où le comorien sera reconnu comme langue d’enseignement.

Quelles langues parlez-vous ? Comment les avez-vous apprises ? Comment décririez-vous votre rapport à la langue ?

Je parle couramment le comorien et le français. Le comorien est ma langue maternelle. C’est la langue de la vie quotidienne. J’ai appris le français à l’école. C’est la langue de l’enseignement et de l’administration depuis la colonisation. Le passage de l’une à l’autre ne me pose aucun problème et se fait en fonction du contexte.

Pouvez-vous décrire le contexte linguistique aux Comores ?

Plusieurs langues sont parlées et/ ou écrites aux Comores :

  • le comorien, dans ses quatre variantes dialectales1, est la langue maternelle d’au moins 90% de la population ;
  • le malgache est la langue maternelle d’une minorité de la population de Mayotte ;
  • l’arabe est la langue de l’enseignement religieux. Elle est parlée par une minorité de la population qui l’a apprise dans les madrasa (écoles coraniques ou écoles religieuses) ou dans les pays arabes ;
  • le swahili, langue prestigieuse et parente du comorien, est parlée par une minorité de la population
  • enfin, le français, langue de l’enseignement officiel et de l’administration, ne se parle souvent que dans un cadre professionnel.

Le comorien, l’arabe et le français constituent les langues officielles des Comores. Mais seul le français assume pleinement ce rôle. Cependant, son enseignement, inadapté au contexte socio-économique du pays, n’a pas évolué depuis l’Indépendance, alors que le nombre de jeunes scolarisés a fortement augmenté depuis.

L’arabe est surtout employé dans la sphère sacrée ou en relation avec le monde arabe. L’enseignement du comorien et son introduction dans le système éducatif se heurtent à plusieurs difficultés, en particulier au manque de volonté politique. Néanmoins, le besoin se fait de plus en plus sentir et l’idée fait son chemin…

Les éditions Komedit proposent des livres de jeunesse bilingues comorien-français. Pourquoi ?

Depuis quelques années, Komedit propose, en effet, des livres de jeunesse bilingues comorien-français pour tenir compte de la réalité linguistique du pays et pour mettre à disposition des gens des outils qui peuvent servir dans la perspective de l’introduction du comorien dans l’enseignement. Nous avons commencé à proposer aussi des livres entièrement en comorien. Ces livres connaissent, d’ailleurs, un certain succès.

Quel est le marché pour les livres en comorien ? Et en français ? Qui achète, qui lit ?

Le marché pour les livres en comorien est relativement faible. La langue écrite n’étant pas encore enseignée, la plupart des gens ont du mal à lire les textes écrits dans cette langue. Les gens qui les achètent le font plus par militantisme et/ ou pour encourager le développement de la langue comorienne écrite. Les livres en français intéressent plus les élèves et les cadres formés à l’école française. Mais leur développement se heurte aux moyens financiers des gens dont le pouvoir d’achat reste faible.

Quels sont les projets de Komedit en 2012 ?

Komedit entend organiser un certain nombre d’événements autour du livre, notamment en collaboration avec le Centre national de documentation et de recherche scientifique (CNDRS) et l’Office de radio et de télévision des Comores.

Quel est votre mot préféré ?

C’est le mot « Humanisme » qui devrait guider le rapport entre les peuples.

Notes et références

1. Le grand-comorien (shingazidja), le mohélien (shimwali), l’anjouanais (shindzuani) et le mahorais (shimaoré).