BD d’Afrique, la nouvelle génération : l’exemple de Bénin-BD

Par Christophe Cassiau-Haurie, Spécialiste des BD du Sud
Portrait de l'auteur

Si le Bénin ne fait pas partie des pays africains les plus prolixes en matière de neuvième art, à l’instar de l’Algérie, la République démocratique du Congo, la Côte d’Ivoire ou Madagascar, il n’en est pas moins vrai que la scène nationale est dynamique et entreprenante, le milieu local ayant longtemps compensé son manque de structures éditoriales et de publics, par une intense activité sur le plan associatif.

Ce fut le cas de l’association Bénin-Dessin (née sur les décombres de AILE-Bénin, association d’illustrateurs pour la jeunesse créée en 1989), active durant des années et qui permit à plusieurs de ses membres de participer à l’illustration de livres pour enfants, de mini-albums de BD (pour l’éditeur Star Éditions), d’une revue (Sodabi magazine) ou de monter des événements autour du neuvième art.1

En parallèle, Hector Sonon (né en 1970) est devenu le premier dessinateur du pays à être édité en Europe en 20122un an avant Hodall Beo3. Par la suite, son travail fera l’objet d’une exposition à la Fondation Zinsou (galerie d’art moderne à Cotonou) en 20134 puis il fera partie des cinq bédéistes exposés dans le cadre de l’exposition Formes et Paroles au musée Dapper en 20145.

Mais si Sonon est une figure marquante6, d’autres dessinateurs locaux se font également remarquer. 

On peut citer le jeune mangaka Gjimm Mokoo, repéré par l’ONG AAD (African Artists for development) qui lui permit d’éditer son premier album, Les Chroniques d’Abomey, dans le cadre du programme « Résistances 2020 ».

C’est également le cas de Constantin Adadja, auteur en 2014 d’une biographie du roi Gbehanzin, dernier souverain du royaume du Dahomey. Le scénario était de l’écrivain Florent Couao-Zotti, dont ce n’était pas la première incursion dans le neuvième art puisqu’il avait déjà scénarisé Les Couleurs de la mémoire, série BD sur les traces locales de l’esclavage, avec Hector Sonon.

En 2020, Adadja crée avec d’autres auteurs une structure éditoriale afin de publier des mini-albums béninois sur le marché local, le label Bénin-BD.

Le premier album, Aglouzalan, sort en octobre 2021. Dessinée par Constantin Adadja, la BD raconte les aventures de l’inspecteur Han, policier de Porto-Novo un peu dépressif, hors cadre, qui ne respecte pas les codes et la déontologie de son métier. Ce personnage un peu décalé (dessiné sous forme de cochon) essaye de résoudre malgré lui des enquêtes qui finissent généralement dans des affrontements avec des ennemis qui le traquent et dont il finit par triompher. L’histoire se décline pour l’instant en trois chapitres représentant autant de mini-albums de 20 à 25 pages (Voir Porto Novo…, …Et mourir, Le Fils du mal). Un quatrième chapitre est prévu.

Inspecteur Han à sa table de travail

En quelques années, Constantin Adadja est devenu l’un des piliers du neuvième art béninois. Son premier (mini-)album date de 2009 (Les Trois Singes, Star Éditions), l’année précédant son bac. Puis, on l’a vu, il a illustré Gbehanzin et, en 2018, les deux tomes d’Abeni, de même que des albums de sensibilisation. Il est également un dessinateur de presse actif et engagé7 et a remporté plusieurs prix dans le domaine8. Enfin, Adadja est actif dans le milieu puisqu’il a coordonné le festival international de dessin du Bénin, VOOTOON, et est président-fondateur de l’association des storyboarders du Bénin (AS-Bénin).

La seconde série est Houéfa, réalisée par Gilchrist Domingo, par ailleurs illustrateur et graphiste. Située sur le territoire appelé plus tard Dahomey, quelques siècles après la création du monde, la série parle des aventures d’une petite fille adepte de vodou et dotée de pouvoirs surnaturels. Accompagnée par son grand-père, Houéfa quitte un jour son couvent natal cherchant le secret de ses origines et de ses pouvoirs particuliers. L’objectif de son voyage est de retrouver un tambour sacré. Les deux voyageurs commencent à rencontrer des difficultés liées au climat et à la santé du vieil homme. Houéfa se rend compte qu’elle n’était pas la seule à chercher le tambour et fait la rencontre d’un ennemi du nom d’Eshù. Tout au long de son histoire, Houéfa parcourt le royaume rencontrant diverses personnes, sauvant les opprimés, redressant les torts et se découvrant elle-même petit à petit. Trois chapitres de vingt-quatre pages sont déjà sortis : Genesis, Légion et Eshù. Un quatrième est prévu.

Une autre série intitulée Flè Tchofèr, appellation locale des chauffeurs de taxis (« frère chauffeur »), narre sur un mode humoristique le quotidien d’un chauffeur de taxi béninois. Ces chauffeurs, qui font les trajets entre les différentes villes du pays, conduisent une vieille voiture, et ont du tempérament. À travers les frasques du personnage, le lecteur vit une véritable immersion dans la vie du citoyen lambda usager des routes du pays. Le dessinateur est Cédric Quenum dont c’est la première BD9

Soweto (T.1) de Radji Ridwan (né en 2000) et Constantin Adadja (scénariste) rend hommage à un ex-champion béninois de boxe. L’histoire relate son enfance, la manière dont il a commencé à exercer la boxe, ses différents exploits, etc. Le chapitre se termine sur une lettre du ministère qui le convie à représenter le Bénin à un tournoi de boxe à Alger. Panette, Moi en internat ? (T.1) est l’histoire d’une petite fille qui fait face à certaines réalités locales : son père fréquente les bars, les serveuses et ne s’entend pas avec son épouse. Cette dernière donne beaucoup d’argent à un pasteur pour des prières et autres interventions spirituelles.

L’intention de Bénin-BD est d’éditer des albums pour le marché national, accessibles aux acheteurs locaux. De fait, les albums sont en format A5 avec couverture en couleur et intérieur en noir et blanc, vendus 1 500 FCFA10 . En fonction d’événements à venir (salon ou festival) ou de demandes spécifiques (achats institutionnels), l’association imprime les titres – à quelques dizaines d’exemplaires –, ce qui permet une certaine réactivité et peu de frais de stockage. Ce pari est en train de réussir, les chiffres de vente le montrent, puisque la quasi-totalité du tirage d’impression des cinq séries a été vendue 1 020 ventes sur 1150 exemplaires. Dans la sous-région, Bénin-BD n’est pas la seule à avoir une démarche proactive couvrant toute la chaîne du livre, à savoir production graphique, démarche éditoriale et diffusion ciblée.

Au Togo, Ago Média (présidé par Koffivi Assem), très actif depuis plus d’une dizaine d’années dans le domaine de la BD et des livres pour enfants avec succès, a adopté la même stratégie.
S’ils sont aidés par des particularités locales11et par la baisse des coûts d’impression, cette démarche commune montre l’arrivée d’une nouvelle génération d’auteurs sur le continent. Celle-ci, face à la défaillance des éditeurs et des librairies, se prend en main et adapte l’offre et la diffusion à la situation locale.
Bonne nouvelle, l’avenir de la BD d’Afrique est déjà présent !

Notes et références

1. Pour les lecteurs désireux de connaître l’histoire de la BD béninoise jusqu’en 2007, il est possible de se référer à l’un de mes articles : "Le vivier méconnu de la bande dessinée béninoise" 

2. Toubab or not toubab, Casterman, 2012.

3. En bécane au Bénin, L’Harmattan BD, 2013.

4. Pour ceux qui souhaitent lire un retour sur cette exposition, consulter le site de la fondation Zinzou 

5. En 2021, une exposition sur sa carrière était prévue à l’Institut français de Cotonou, Empreintes.

6. Pour le lecteur qui souhaite en savoir plus, voir cet entretien de 2010 : "On manque de scénaristes en Afrique, tout le monde le sait" 

7.Pour Le Progrès (2007 à 2012), Éducation tribune (2010 à 2013), Kikoh (2015 à 2016), Le Déchaîné du jeudi (2018 à 2019) et La Nation (depuis 2021).

8. Il a été élu par ses confrères « Meilleur dessinateur de presse béninois » à deux reprises, en 2009 et 2016 : bel exploit dans un pays qui ne manque pas de talents dans ce domaine.

9. Ancien caricaturiste, Cédric Quenum a participé à plusieurs expositions de BD à l’Institut français de Cotonou et au festival Lyon BD (2021).

10. Moins de 2,5 €.

11. Les deux pays sont étroits et bénéficient d’un réseau routier moins délabré qu’ailleurs.


Pour aller plus loin

Conservateur général de bibliothèques, Christophe Cassiau-Haurie est spécialiste des BD du Sud (Afrique, Maghreb, Outre-mers françaises... et Océan indien) et il est l'auteur d'une dizaine d'essais et de très nombreux articles.

Pour consulter sa bibliographie: 

La page dédiée à Christophe Cassiau-Haurie sur le site des éditions de l'Harmattan


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