Parakou, Bénin : de la dynamisation des bibliothèques scolaires à la création d’un Salon du livre
Concours de bibliothèques scolaires, formation de bibliothécaires et un premier Salon du livre riche en animations, qui doit être réédité en 2014
Un cadre stratégique pour le développement des bibliothèques : une politique à appliquer
« Lorsqu’une bibliothèque ouvre ses portes dans une commune, elle fait beaucoup plus que répondre à la demande des élèves et des étudiants. Elle ouvre les bras aux familles et à la jeunesse, et contribue à porter résolument sa communauté vers l’avenir ». La politique culturelle du Bénin, définie par la loi de 1991, n’est pas en marge de cette phrase, lue quelque part et qui a forgé mon inspiration. Cette loi prévoit que l’État favorisera la mise en place, dans toutes les régions du pays, de maisons d’édition d’ouvrages en langues nationales et en langue française, participera activement au travail de diffusion du livre dans tout le pays, favorisera les mesures d’incitation à la lecture publique, et multipliera les bibliothèques dans les centres urbains et dans les zones rurales. Elle affirme que, pour garantir une application de notre politique, il est indispensable que soient bien formés les agents dans les domaines de la bibliothèque, des archives, de la documentation, et que l’État béninois renforcera les institutions de formation existant dans le pays en encourageant l’ouverture de certaines écoles aux agents formés sur le tas.
Si ce document n’a jamais été approuvé en Conseil des Ministres, l’usage en fait un document officiel de référence. Mais il reste en bonne partie lettre morte : on assiste malheureusement, entre autres, à la création d’établissements scolaires qui ne prévoient pas de cadre pour le livre et la lecture.
La situation des bibliothèques scolaires à Parakou
De son vrai nom Karouko (« le nombril » en langue haoussa), la ville de Parakou, de par son histoire, apparaît comme le cœur d’une grande cité née des ruines du royaume des Kobourou, connu pour son hospitalité légendaire et qui accueille à bras ouverts tous les citoyens du monde entier. De par son importance économique, Parakou est aujourd’hui la troisième ville du Bénin après Cotonou et Porto-Novo. Qu’en est-il des bibliothèques scolaires à Parakou ? Alors que chaque établissement est supposé avoir une bibliothèque scolaire et qu’une partie de son budget doit être consacrée au renforcement du fonds documentaire, qu’en est-il en réalité ?
Les bibliothèques des collèges et lycées de Parakou sont, de fait, dans des conditions peu reluisantes, ce qui ne favorise pas le développement du livre et de la lecture : exiguïté ou absence de salle de bibliothèque, fourniture insuffisante du fonds documentaire, qui est de plus non adapté, manque de formation des responsables (en général, des enseignants) au travail en bibliothèque, absence d’animation autour du livre… « Mieux » encore, le livre a conservé comme seul statut celui de manuel scolaire ou de moyen d’acquérir des diplômes. Le livre comme vecteur de culture, de plaisir, n’est pas pris en compte par les institutions scolaires. Il est donc absurde d’espérer dans ces conditions, un engouement des élèves pour la lecture et un développement des bibliothèques.
L’opération « Les meilleures bibliothèques de Parakou »
Face au peu d’intérêt des jeunes pour la lecture, force est de constater que les initiatives pour contrer ce phénomène sont rares. Le fatalisme et l’immobilisme s’emparent des acteurs de l’éducation confrontés à l’influence grandissante des nouvelles technologies de l’information et de la communication. Or, cette crise du livre représente en fait un défi, un défi qui appelle des solutions innovantes.
Hamidou Ali Orou |
Voilà pourquoi l’auteur de cet article, fondateur du Centre Socio-Culturel OKOUABO(voir « Pour en savoir plus ») a décidé d’en finir avec les lamentations pour impliquer aussi bien les bibliothécaires, l’administration des collèges de Parakou que les parents d’élèves, dans la lutte pour la promotion du livre et de la lecture. Le choix de s’intéresser en priorité aux bibliothèques scolaires répond à un besoin fondamental de rapprocher le livre de l’apprenant. Il a ainsi lancé l’opération « Les meilleures bibliothèques de Parakou », sous la forme d’un concours, avec la vocation explicite d’amener l’ensemble des acteurs de l’éducation à lutter pour la promotion du livre et de la culture. Cette opération a reçu un grand soutien du Partenariat Parakou-Orléans, qui a trouvé cette initiative en lien avec le volet livre et lecture de son action de coopération décentralisée. Aussi a-t-il accordé un financement d’un million de Francs CFA (1 500 euros) pour l’organisation de l’opération et pour l’achat à Parakou de livres neufs inscrits aux programmes scolaires.
Ainsi, le concours « Les meilleures bibliothèques », officiellement lancé lors de la Journée internationale du livre et du droit d’auteur le 23 avril, a vu la participation de neuf collèges publics et privés de Parakou. Après avoir évalué les bibliothèques des neuf collèges participants, le jury du concours a animé la cérémonie de proclamation des résultats et de remise de chèques-livres à ces établissements en fonction de leur mérite, le 3 juin 2009 à l’Institut français de Parakou.
Cette première édition de l’opération a permis de faire un état des lieux et de formuler des recommandations ainsi que les objectifs attendus pour la seconde édition. À cet effet, les responsables des bibliothèques scolaires avaient pour devoir de passer une période de stage à l’Institut français de Parakou (entre janvier et juin 2011) et d’organiser des animations autour du livre au sein de leur établissement. Quant aux chefs d’établissement, il leur était demandé de mettre en place un cadre formel de valorisation de leur bibliothèque à travers une note de service.
La seconde édition a été organisée du 17 octobre 2011 au 8 mars 2012 suivant trois étapes, à savoir :
- La formation des auxiliaires de bibliothèque sur le thème « bibliothéconomie et animation culturelle ». Le but principal de ce séminaire de formation était de « transformer le profil et la réputation de la profession de bibliothécaire, pour un service de qualité » – ce qui correspond à l’une des quatre orientations stratégiquespour la période 2010-2015 de l’IFLA, Fédération internationale des associations de bibliothécaires et d’institutions. Bien entendu le profil du bibliothécaire a d’abord été défini par la population scolaire elle-même au sein de l’établissement. L’auxiliaire bibliothécaire doit jouir de l’estime générale ; il doit connaître son milieu, aimer les livres, avoir le goût de se cultiver.
- Le concours « Les meilleures bibliothèques de Parakou» dont les critères d’évaluation sont axés sur la visibilité de la bibliothèque, la mise en œuvre des acquis de la formation en bibliothéconomie, la place de la bibliothèque dans l’animation de la vie culturelle de l’établissement et le niveau d’implication des autorités de l’établissement au développement de la bibliothèque.
- La cérémonie de remise des chèques-livres (bons d’achat de livres) à la librairie Saint Paul.
Le nombre des établissements participants est passé du simple au double, soit dix-huit (Lycée Mathieu Bouké, Lycée des jeunes filles, CEG Albarika, Zongo, Hubert C. Maga, Guêma, Titirou, Banikanni, Merveille Sénior, le Mérite, Al-Houda, Roger Lafia, Equifilles, ECDS, Espoir Plus, École de formation médico-sociale, École primaire pilote Tibona, Les Hibiscus). Les établissements qui n’avaient pas participé à la première édition ont fait l’effort d’aménager ou de construire leur bibliothèque. Le Partenariat Parakou-Orléans a décidé d’octroyer une subvention de 5,5 millions de Francs CFA (8 380 euros) pour l’organisation de cette édition, dont 3 millions étaient réservés à l’achat des livres.
Au cours de son discours de clôture, l’initiateur du projet Hamidou Ali Orou a informé le public, en présence du Maire, El-Hadj Soulé Alagbé, de son intention de passer à l’échelle supérieure avec l’organisation d’animations autour du livre par le biais de la création d’un festival ou d’un salon du livre.
Le Salon du Livre et de l’Alphabétisation de Parakou (SLAP)
Le Salon du Livre et de l’Alphabétisation de Parakou est un événement fédérateur des actions autour du livre et de la lecture et en faveur de l’alphabétisation. À la fois vitrine de la commune de Parakou et lieu de débat autour du livre et de l’alphabétisation, il a pour objectif de dynamiser ce secteur économique et culturel à travers la structuration et le renforcement des bibliothèques scolaires et des centres de lecture (OKOUABO, CAEB, Equifilles), en tant qu’espaces culturels. Organisé par le Centre Socio-Culturel OKOUABO et l’Agence Tankpewa en collaboration avec le Partenariat Parakou-Orléans, l’Institut français du Bénin et la Direction départementale en charge de l’enseignement secondaire, le SLAP se veut l’événement phare de la région nord du Bénin. Il a pour ambition d’être annuel et d’ouvrir les bras aux autres communes du pays.
La première édition a eu lieu du 19 au 23 février 2013 ; elle a été organisée en fonction de quatre schémas directeurs :
- une thématique, « Bibliothèques, une force pour le changement », comme facteur d’attraction pour le public, avec des ateliers, une expovente, des animations diverses autour du livre, des spectacles ;
- des espaces de formation, d’échanges et de discussion, réservés aux écrivains, aux responsables et professionnels de la bibliothèque, aux médias et aux parents d’élèves ;
- des hommages aux écrivains présents au salon – pour les prochaines éditions, au-delà de leur participation aux salons, il est prévu d’étendre le cadre de promotion de ces auteurs par la diffusion de leurs œuvres dans les bibliothèques de la ville.
- un volet compétition avec le concours « Les meilleures bibliothèques de Parakou ».
Cette première édition du Salon fut un événement important, rassembleur, riche en couleurs et en lectures, avec nombre de points forts. Il a connu la présence effective de grands noms de la littérature béninoise. Ainsi, l’équipe d’organisation a reçu le soutien du parrain de
L'écrivain Jean Pliya, parrain du Salon |
l’événement, l’écrivain Jean Pliya qui est passé délivrer son message d’encouragement au cours d’un entretien à la médiathèque de l’Institut français de Parakou. Il a plaidé pour que le Ministère de la culture accompagne cette initiative ; il conclut en ces termes : « … là où il y a une volonté, il y a un chemin ». Les interventions de l’écrivain Florent Couao-Zotti ont été très appréciées par le public, essentiellement composé d’élèves des lycées et collèges de Parakou, mais aussi d’étudiants, d’enseignants et de bibliothécaires formés auparavant aux outils d’animation au sein des bibliothèques scolaires, en tant qu’incitateurs à la lecture plaisir.
C’est dans ce sens de partage du goût et du plaisir de lire, que l’association Le Livre Migrateur de Camilla Meridja a proposé diverses activités autour de la lecture et du dessin, une autre façon d’appréhender le livre selon une pédagogie intéressante. Pour accompagner cette démarche, le Salon a mis en place des ateliers d’illustration dirigés par les illustrateurs Osée Konon Issa et Roger Boni Yaratchaou[1],qui ont eu beaucoup de succès. Ces activités initialement prévues à l’intention des enfants se sont étendues aux adolescents et aux adultes présents à ce Salon.
Avec le journaliste Gaston Yamaro, ce fut l’occasion de sensibiliser les jeunes à l’importance de l’alphabétisation comme vecteur de développement pour nos sociétés. Cette séance a été hautement plébiscitée par le public car il s’en est suivi un débat très enrichissant autour de la question du changement de comportement par rapport aux langues maternelles. Dans cette optique, le livre Rumeurs de la brousse profonde : Chroniques sauvages du temps où Dieu et l’Homme étaient Noirs (Éditions Nouvelles racines, 2012[2]) de Cha-Toko Narou N’gobi, proviseur du Lycée Mathieu Bouké, a été présenté au public au cours d’une rencontre avec l’auteur, pour montrer la nécessité de s’inspirer des traditions orales et des réalités culturelles pour la sauvegarde et la promotion du riche patrimoine culturel béninois. Florent Couao-Zotti avait déjà évoqué cette question lors de son entretien intitulé « Comment la littérature béninoise puise-t-elle dans le patrimoine pour le réinventer ».
Les déclamations de slam du jeune Nasser Ali-Ouorou, les séances de contes avec le conteur Vincent Akognon, ont inscrit ce premier Salon au cœur des nouveaux enjeux de développement culturel. N’oublions pas non plus le concours de dictée qui a permis au public de mesurer son aptitude à écrire la langue de Molière dans une ambiance bon enfant.
La programmation du Salon couplée avec celle de l’Institut français de Parakou a suscité de joyeuses découvertes lors des spectacles de clown de la Compagnie Carré comme un ballon, des séances de contes en musique avec Marcel Zaragoza et le spectacle « Banza banjo solo » de Pierre-Claude Artus. Quelques films ont agrémenté cette programmation bien ficelée comme Un homme qui crie du Tchadien Mahamat Haroun Saleh primé au Festival international de Cannes.
En remobilisant le monde scolaire autour du livre et de la littérature, le SLAP entend toucher un nombre significatif de lecteurs potentiels. La démarche décloisonne ainsi le livre. Elle va de pair avec l’installation de délégations locales, les bibliothèques-clubs dénommés CLE, Culture et Loisirs pour l’Education, qui naissent progressivement au sein des établissements. Ces bibliothèques-clubs, au nombre de vingt-et-un actuellement, sont des leviers de l’animation intellectuelle et culturelle qui accompagnent les bibliothèques scolaires. Ils sont animés par des représentants des élèves, des professeurs-relais, des bibliothécaires, des représentants des parents d’élèves et des chefs d’établissements. Leur mode d’intervention est la sensibilisation des élèves par leurs pairs.
Une séance d’échanges entre le comité de pilotage et les chefs d’établissements a permis de faire une analyse critique de la première édition du Salon, qui a bien démarré malgré les difficultés qui ont jalonné l’organisation. La seconde édition se déroulera du 22 au 26 avril 2014. Cette prochaine édition tiendra compte des observations et des conseils reçus des chefs d’établissement, du directeur de la Promotion artistique et culturelle, de la directrice nationale de la Promotion du livre et de la lecture et de Madame Béatrice Lalinon Gbado3, pour une meilleure organisation du Salon et pour sa structuration en une entreprise culturelle.
Notes et références
1 Rappelons qu’il existe un Répertoire des artistes plasticiens et des acteurs des arts visuels du Bénin.†
2 Le Bénin littéraire 1999-2012. Bibliographie établie par Guy Ossito Midiohouan. Cotonou : Star Éditions, 2013.†
3 Fondatrice des Éditions Ruisseaux d’Afrique, écrivain, pionnière de la littérature de jeunesse en Afrique de l’Ouest.†#3
Pour aller plus loin
Les bibliothèques de lecture publique au Bénin
Le développement des bibliothèques de lecture publique a été entrepris au Bénin dans les années soixante-dix, avec la construction d’une Bibliothèque nationale, de six bibliothèques départementales, puis de leurs satellites, six centres de lecture publique. Aujourd’hui, nous avons deux réseaux nationaux : le réseau des bibliothèques de lecture publique et le réseau des centres de lecture et d’animation culturelle (CLAC), une vingtaine, en milieu rural, dans les départements de l’Atacora, de la Donga, du Couffo et du Mono. D’autres institutions travaillent dans le domaine des bibliothèques publiques : les missions diplomatiques (Instituts français de Cotonou et de Parakou, Centres culturels américain, chinois et libyen) et des ONG (CAEB, OKOUABO, Aurore, CADRE, Equi-Filles, Fondation Zinsou…). Tout cet arsenal devrait être mieux organisé et renforcé pour une meilleure intervention dans le secteur du livre et de la lecture. La structure, à compétence nationale, à même d’imprimer cette rigueur dans le secteur est la Direction Nationale de la Promotion du Livre et de la Lecture(DNPL). Créée par décret n° 2009-243 du 9 juin 2009 portant attributions, organisation et fonctionnement du ministère de la Culture, de l’Alphabétisation et de la Promotion des langues nationales, elle est née de la fusion du Centre national d’animation et de lecture publique et de la Direction des bibliothèques et de la promotion littéraire.
Un certain nombre de ces bibliothèques sont en proie à des difficultés qui handicapent leur fonctionnement vital. Quelques bibliothèques privées et associations engagées dans le développement et la promotion de la lecture parviennent encore à fonctionner grâce à des dons et des partenariats.
Le CAEB, organisation non gouvernementale d’éducation reconnue d’utilité publique, a son siège social à Porto-Novo. Il dispose d’une antenne dans chacun des chefs-lieux des anciens départements du Bénin. Son but est de contribuer, aux côtés de l’État béninois, à l’amélioration des conditions de vie des populations dans les domaines de l’éducation, de la santé et de la gestion de l’environnement pour un développement intégré durable. Il dispose des bibliothèques avec un fonds documentaire bien fourni dans les communes de Porto-Novo, Abomey, Parakou et Natitingou. (Hamidou Ali Orou)
Le Centre Socio-Culturel OKOUABO
L’histoire du centre OKOUABO (« bonne arrivée » en langue fon) est celle d’une rencontre et d’une amitié entre le Béninois Hamidou Ali Orou et deux Français, Jérôme Robert et Pascal Declecq. Partis d’un constat, celui de l’inexistence d’une structure périscolaire à Albarika, quartier excentré, défavorisé et à forte population scolaire, ils s’organisent et créent la bibliothèque OKOUABO le 1er mai 1997. Gérée bénévolement par Hamidou Ali Orou, cette bibliothèque a rapidement suscité engouement et succès, car elle a opté pour une lecture publique orientée vers la jeunesse scolarisée, et parce qu’elle a réussi à présenter le livre comme un instrument de loisir, un jeu éducatif et un vecteur de plaisir personnel et collectif.
Soutenue par l’association OKOUABO de Lyon, elle a bénéficié en 2002 des subventions de l’Ambassade de France au Bénin et de la Guilde Européenne du Raid pour la construction d’un centre plus grand pour le développement de la lecture.
Depuis 2009, la fondation « Globe au Cœur » apporte régulièrement des financements pour le développement de nouveaux projets. Les membres de l’association OKOUABO et la fondation « Globe au Cœur » œuvrent pour la pérennisation des activités du centre sur la base d’un fonctionnement autonome. (Hamidou Ali Orou)