Planète Jeunes
Un projet professionnel africain, un transfert de savoir-faire
185 000 exemplaires annuels pour Planète Jeunes, 235 000 pour Planète Enfants ! Et en 2009, l’équipe de rédaction quitte Paris pour s’installer en Afrique. Jacqueline Kerguéno, fondatrice du projet Planète, revient sur dix-sept ans de succès croissant et expose un présent fécond mais à l’avenir économique incertain.
De Bamako en 1992…
Ce projet de presse pour les jeunes Africains est né lors d’un atelier tenu à Bamako, en 1992, autour des livres et des revues pour enfants, auquel j’ai participé1. Suite à cet atelier, Régine Fontaine, alors responsable des Projets franco-africains de Lecture Publique au Ministère français de la Coopération, a souhaité la mise en place d’une publication qui favoriserait la lecture des jeunes et qui passerait par une démarche de vente donnant de la valeur à l’écrit. Elle a sollicité Bayard Presse, où je travaillais, qui a fondé l’association Planète Jeunes. Une étude dans six pays d’Afrique francophone allait donner sa forme au premier numéro de Planète Jeunes, magazine éducatif et distractif destiné aux 15-20 ans. Il est lancé en janvier 1993 avec le soutien de divers organismes. Nombreuses ont alors été les réponses enthousiastes des lecteurs, mais aussi les questions. Y aurait-il un numéro deux ?
…à Ouagadougou en 2009
Dix-sept ans plus tard, en septembre 2009, le magazine fête son centième numéro. Une équipe entièrement africaine réalise désormais Planète Jeunes et son petit frère, Planète Enfants, à Ouagadougou, au Burkina Faso. Cette équipe éditoriale, dont les membres sont venus de plusieurs pays d’Afrique, produit des magazines panafricains en se servant d’Internet pour travailler avec des dizaines de correspondants sur tout le continent et avec la diaspora africaine à travers le monde. En 2010, Planète Jeunes, devenu mensuel, a une diffusion de 185 000 exemplaires par an. Il est lu par plus de 600 000 lecteurs.
Un chemin escarpé qui ne manque pas de perspectives
De 1992 à 2009, l’histoire de Planète jeunes est rythmée par plusieurs développements remarquables. En 1993, Kidi Bebey, alors rédactrice en chef, réalise Planète Jeunes avec une petite équipe franco-africaine basée à Paris. Il faut trouver et former, en Afrique, des journalistes, des auteurs, des photographes, des illustrateurs sachant s’adresser aux jeunes. Or, ces métiers sont peu pratiqués sur le continent. La tâche est d’autant plus rude qu’Internet commence seulement à s’installer et fonctionne plutôt mal.
La Coopération française ayant mis comme condition dans le cahier des charges de travailler avec les journalistes de la presse locale, Planète tente d’amorcer des collaborations avec les quotidiens de plusieurs pays. Mais les journalistes n’ont pas le savoir-faire qui permettrait de toucher les jeunes. De plus, les réseaux de la presse quotidienne ne s’intéressent pas aux écoles qui sont une clé importante pour la diffusion.
Planète décide alors de créer, dans chaque pays, une petite entreprise où un responsable local assure la diffusion, l’animation des points de vente (kiosques de presse), et la recherche d’abonnements dans les écoles. Le groupe Bayard accompagne ce projet depuis ses débuts, surtout dans le domaine du transfert de savoir-faire spécifiques, en matière de réalisation et de diffusion d’une presse jeunesse.
« N’oubliez pas nos petits frères ! » : la création de Planète Enfants
Une étude auprès des lecteurs, des familles et des enseignants, en 1998, conduit l’association à créer un deuxième magazine, Planète Enfants, s’adressant à des lecteurs plus jeunes, de 8 à 13 ans. Planète Enfants est aujourd’hui diffusé à 235 000 exemplaires annuels. Il est lu par un demi-million d’enfants. Il est devenu en quelques années le journal éducatif de référence auprès des parents et des enseignants en Afrique sub-saharienne. Planète Enfants est perçu par les jeunes parents comme un outil d’éducation qui, de plus, leur offre un « cahier parents », pour les impliquer dans l’accompagnement des apprentissages de la lecture de leurs enfants au primaire et au collège. Peu à peu, la publication régulière de ces deux magazines a favorisé l’installation de rendez-vous réguliers de lecture, en allant à la rencontre des lecteurs dans les écoles, dans la rue et dans les familles.
Priorité à la formation de créatifs africains
Le programme Planète a toujours comporté un important volet formation, tant éditorial que commercial. En 2006, Kidi Bebey s’orientant vers le travail à la radio, c’est un Camerounais, Eyoum Nganguè, qui devient rédacteur en chef de Planète Jeunes. Journaliste expérimenté, ancien journaliste au Messager du Cameroun, Eyoum Nganguè2 a un réseau de correspondants dans toute l’Afrique. Il les forme avec exigence aux concepts de la presse pour les jeunes, et continue de faire du magazine un véritable outil d’information, mais aussi une aide aux problèmes de vie, d’orientation scolaire et professionnelle des lycéens – le site www.planete-jeunes.org, avec ses 20 000 connexions mensuelles, donne au magazine une vraie dimension interactive.
En 2009, Eyoum Ngangué déménage pour suivre le projet à Ouagadougou et assure la mise en place d’une nouvelle équipe panafricaine pour sortir un Planète Jeunes désormais mensuel et non plus bimestriel. Malgré les délestages électriques, les sautes d’humeur d’Internet et les coupures de téléphone, le journal est au rendez-vous chaque mois dans les kiosques. En avril 2010, Planète Enfants a rejoint Planète Jeunes au Burkina. C’est Evariste Zongo, journaliste et pédagogue burkinabè, qui en assure la rédaction en chef.
Un projet qui touche des millions de jeunes, mais à l’avenir économique incertain
L’objectif de Planète était, dès le départ, de trouver sa place dans la culture africaine et d’assurer l’émergence de nouveaux métiers sur le continent en formant des professionnels capables de réaliser, de diffuser et de vendre « une presse africaine pour les jeunes ».
Le projet a reçu pendant ses premières années des subventions (Ministère français de la Coopération, puis des Affaires étrangères, Comité Catholique contre la Faim et pour le Développement…) qui ont permis de vendre les magazines à un prix encourageant pour une société peu habituée à valoriser l’écrit. Aujourd’hui, faute de subventions, le prix a augmenté et l’évolution économique des pays met les familles et les jeunes en situation de choix : lire ou céder à l’offre technologique grandissante ? L’écrit a-t-il pris une place suffisamment convaincante pour motiver l’achat ? Bien que fragile économiquement, le projet touche maintenant 25 pays (Afrique, Caraïbe, océan Indien). Il passe entre les mains de plus de 1,5 million de lecteurs qui se disent fiers d’appartenir à la grande famille des « Planétiens » et ont créé eux-mêmes plus de 400 Clubs Planète, moteurs de multiples activités dans les lycées et dans la société.
Le projet Planète vient d’être nominé par Ibby Suède (International Board on Books for Young People) pour le prix Alma (Astrid Lindgren) qui récompense, à hauteur de 540 000 euros, outre des auteurs et des illustrateurs, les plus convaincantes des entreprises contribuant au développement de la lecture auprès des jeunes dans le monde. Espérons que le projet Planète obtienne ce prix qui permettrait alors à de nombreux lecteurs de pouvoir lire les magazines pendant de nombreuses années encore.
Notes et références
(1) Voir l’article publié dans Takam Tikou (1992, n°3).†
(2) Eyoum Ngangué a écrit l’article « Afrique francophone : Jeunesse et lecture, la difficile équation », publié dans Takam Tikou (2008,n°15).†
Pour aller plus loin
Le site du magazine : www.planete-jeunes.org
Planète Jeunes et Planète Enfants sont régulièrement présentés dans la Bibliographie Afrique de la revue Takam Tikou.