Les Éditions Jeunes Malgaches pendant le confinement

Par Nathalie-Suzanne Schattner
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En réaction à la propagation du virus dans le monde, le gouvernement malgache a annoncé la fermeture des frontières de l’île début mars. Cette mesure a été suivie par un confinement total de la population et la fermeture des entreprises et des commerces, à l’exception de ceux de première nécessité. Un premier déconfinement partiel fin avril a permis aux entreprises de relancer leur activité à condition de travailler uniquement en matinée. Une mesure insuffisante pour certains secteurs, comme celui du livre.

Un contexte déjà difficile pour l’édition pour la jeunesse à Madagascar

 

Les lecteurs étant déjà rares dans un pays fortement touché par l’illettrisme, la maison d’édition  EMJ, Éditions Jeunes Malgaches, doit accompagner son travail éditorial d’activités de sensibilisation à la lecture qui nécessitent la rencontre des animateurs avec le public. Ces activités, qui s’adressent aux jeunes enfants de quartiers défavorisés, s’appuient dans un premier temps sur des planches pédagogiques d’éducation à l’hygiène ou d’apprentissage de la lecture en malgache et en français. S’ensuit une lecture à haute voix et  une distribution de livres, la plupart édités par EJM, que le public est libre de feuilleter et de lire avec l’aide des animateurs pendant un temps restreint. Mais ces animations, qui impliquent des déplacements, des regroupements et une certaine proximité entre les animateurs et le public, ont été interrompues pendant le confinement.

Les acheteurs de livres se sont aussi fait rares, malgré le service de livraison mis en place par EJM pour pallier aux interdictions de déplacement. Les associations, qui constituent les clients les plus importants de la maison d’édition, ont cessé de se procurer des livres, ne pouvant plus accueillir de jeunes dans les centres d’accueil où les ouvrages sont habituellement mis à disposition du public.

En raison d’une nouvelle hausse du nombre de cas touchés par le coronavirus, un nouveau confinement a été annoncé en juillet. Ce qui signifie que la maison d’édition Jeunes Malgaches est restée presque inactive durant cinq mois, jusqu’à la rentrée scolaire de septembre.

 

Gérer la crise sanitaire pour les Éditions Jeunes Malgaches : un vrai défi !

 

Malgré ces difficultés, les éditions Jeunes Malgaches ont su réagir dès les débuts de la crise. Sur le modèle de leurs planches pédagogiques, ils ont conçu des affiches de prévention détaillant les gestes barrière contre le virus. Celles-ci ont été confiées à des associations qui les ont placardées dans les rues des quartiers les plus populaires. Il était d’autant plus important de sensibiliser les familles défavorisées aux risques de transmission du virus qu’elles pouvaient difficilement respecter le confinement– il s’agit pour la plupart des familles de gagner de quoi se nourrir au jour le jour, souvent par des ventes extérieures en tous genres. Ces planches ont aussi été mises à disposition des associations membres de la plateforme de la société civile pour l'enfance pour qu'elles les impriment selon leurs besoins.

Une forte présence sur les réseaux sociaux a aussi permis à EJM d’informer son public d’autres initiatives mises en place et d’obtenir des retours du public, notamment en ce qui concerne la diffusion de leur production sur les antennes radio, grâce à une collaboration avec la Coalition des radios.

En effet, cinq livres sonores complets et de nombreux extraits d’ouvrages édités par EJM ont été diffusé sur une trentaine de stations radio et ont reçu un excellent accueil, comme le montrent les commentaires enthousiastes sur la page Facebook d’EJM.

Mais le secteur de l’édition étant récent et en plein développement sur l’île, cette initiative a permis à la maison d’édition de transmettre  la littérature locale et traditionnelle en se faisant connaître. Elle a ranimé la tradition ancestrale de l’oralité des contes et  touché ainsi les jeunes lecteurs. Si un terme a été mis aux activités de regroupement pour la lecture, les animateurs des différentes associations sont quand même parvenus à se rendre dans leurs quartiers pour prêter aux enfants des ouvrages à lire chez eux. Chacun bénéficiait d’une semaine pour lire et se familiariser avec un album, ce qui a souvent suscité l’enthousiasme de toute la famille, non habituée à voir des livres à la maison.

Saisir de nouvelles opportunités : le livre audio, une piste d’avenir pour la littérature de jeunesse à Madagascar

Les retours sur les actions et initiatives mises en place pendant cette période permettent à Marie-Michèle Razafintsalama1d’aborder avec confiance l’avenir de la maison d’édition qu’elle a créée pour répondre au besoin de livres de la jeune population malgache, un besoin que la crise sanitaire n’a pas effacé :

 

« Nous avons décidé de miser sur les livres audio  désormais. Les diffusions radio de nos titres pendant le confinement et les retours que nous avons reçus sur les réseaux sociaux nous ont prouvé qu’il y avait un réel besoin de littérature, même – voire surtout – en ce moment. Or, les livres papiers risquent de ne plus être vendus avant l’année prochaine, en raison des mesures sanitaires, mais aussi des difficultés de certaines familles à inscrire leurs enfants à l’école »2.

EJM a donc investi dans la mise en place d’un système de ventes en ligne des livres audio, avec paiement par téléphone mobile. Ce moyen, ainsi que les prix très bas des titres, les rend plus accessibles à toute la population. 22 titres tirés de leur catalogue (dont 13 en malgache et 9 en français) sont déjà enregistrés, et les extraits disponibles gratuitement depuis le mois d’avril sur la page d’EJM rencontrent une audience importante, surtout pour les versions en malgache.  Ainsi, 1444 écoutes ont été comptées pour Maria Vakansy any Alaotra3, l’histoire d’une famille malgache en vacances, 1150 écoutes pour la version malgache du Jardin, d’Arikaomisa Randria4, 1039 écoutes pour Les cheveux de Cora5 et 1006 pour L’arbre, l’eau et le vent6 (Ny hazo, ny rano ary ny rivotra).

Les versions audio attirant le public vers les livres papiers, EJM prévoit aussi d’augmenter ses points de vente sur l’île et ses tirages, pour assurer une offre plus avantageuse et accessible.

Enfin, les projets de mise en place de bibliothèques dans les écoles, annoncés par le ministre de l'Éducation nationale, suscitent un nouvel espoir chez EJM : celui de voir leurs livres retenus dans la liste des ouvrages qui seront mis à disposition des jeunes élèves.

Notes et références

1.  Marie-Michèle Razafintsalama est l’actuelle directrice des Éditions Jeunes Malgaches

2.  Propos recueillis le 21 octobre 2020

3. Maria Vakansy any Alaotra de Marie Michèle Rakotoanosy, 2005

4. Jardin, d’Arikaomisa Randria,  2019

5. Les cheveux de Cora de Ana Zarco Câmara, 2014

6. L’arbre, l’eau et le vent (Ny hazo, ny rano ary ny rivotra, de Jeanne RALIMAHENINTSOA, 2016


Pour aller plus loin

Nathalie - Suzanne Schatter a obtenu son master en littérature de jeunesse en 2020, à l'université de Lille. C'est dans ce cadre qu'elle a travaillé aux côtés des Editions Jeunes Malgaches pendant le confinement.

Site des Editions Jeunes Malgaches

https://www.editions-jeunes-malgaches.mg/


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