« Insya veut danser le léwòz », histoire d’un succès
C’est à la fin de l’année 2020 que les enfants de la Guadeloupe, leurs parents et les professionnels de la lecture ont pu découvrir un bel album : Insya veut danser le léwòz. Le succès a été tout de suite au rendez-vous. Mais cette publication est le fruit d’une longue histoire !
Le concours Livres jeunesse en Caraïbe
« Toupitipiti ka li osi » est le joli nom donné aux actions de promotion de la lecture pour les plus petits dans le département de la Guadeloupe. C’est dans ce cadre qu’a été créé, en 2008, un concours qui réunit deux domaines de compétences du Conseil Départemental, la lecture publique et la protection maternelle infantile ; il a pour objectif de susciter l’émergence de nouveaux talents littéraires et artistiques par la création d’albums, tout en valorisant le patrimoine culturel de la Caraïbe. La troisième édition du concours Livres jeunesse en Caraïbe a été organisée en décembre 2016 avec le soutien de la Direction des Affaires Culturelles de Guadeloupe (ministère de la Culture).
Le jury était présidé par Madame Brigitte Rodes, Présidente de la Commission Développement culturel et gestion du patrimoine et regroupait des représentants des institutions partenaires et des professionnels de l’enfance et du livre et de la lecture.
23 manuscrits étaient en compétition, puis 8, après l’exclusion de projets qui ne correspondaient pas aux critères édictés. Enfin, trois manuscrits ont été primés et donc élus pour être publiés à raison d’un par an et offerts aux enfants nés en Guadeloupe l’année suivant leur publication.
C’est ainsi que sont parus, en 2018, Titius, le minuscule grand voyageur de Nicole Béreau aux Éditions Jasor, en 2019 Mon petit pays à moi de Laurence Sancéau aux Éditions Courtes et Longues et enfin, en 2020, Insya veut danser le léwòz, écrit par Amandine Vélin et illustré par Véronique Grasset aux Éditions Jasor. Cet album raconte l’histoire d’Insya, une petite fille qui veut à tout prix aller danser le léwòz chez Monsieur Germain. Mais il lui faut d'abord apprendre à danser. Elle part en chantant sur les chemins et c'est aux animaux qu'elle rencontre qu'elle va demander conseil. Un album plein de vie, de rythme et de couleurs.
Maintenant que nous connaissons les conditions de la création de cet album plein de vie et de joie enfantine, nous avons voulu en savoir plus en interviewant son autrice et son illustratrice.
Quelques questions à Amandine Vélin, l’autrice
Insya veut danser le léwòz est votre première publication et c’est une belle réussite ! Quel est votre rapport à l’écrit ?
Merci beaucoup ! En effet, Insya veut danser le léwòz est ma première publication. J’ai toujours eu un rapport que j’estime privilégié avec l’écrit. En témoignent mes dizaines de cahiers, carnets en tout genre. J’aime écrire, coucher sur le papier les choses. Vous savez, au-delà des mots, c’est vraiment cette sensation du stylo sur le papier que j’affectionne, mais bon, là je m’emballe !
On sent dans votre récit une familiarité avec l’univers des contes. Est-ce qu’enfant, on vous en racontait ? En avez-vous lu vous-même ?
En Guadeloupe, dans la Caraïbe et en Afrique de façon générale, nous avons une très forte tradition du conte. Ma défunte grand-mère nous en contait, à mes frères et sœur et moi, chaque fois que l’occasion se présentait, soit quasiment tous les jours ! Une tradition qui s’est ancrée en moi dès mon plus jeune âge, en fait. D'ailleurs, pour la petite histoire, j’ai découvert très tard que ma grand-mère ne savait pas lire. Elle faisait mine de nous lire un livre mais elle inventait l’histoire de toutes pièces ! On n’y voyait que du feu !
Est-ce votre métier d’enseignante qui vous garde proche de cet univers ?
Assurément ! Travailler avec des enfants et des adolescents nous fait garder cette âme d’enfant ! Ils sont une source d’inspiration inépuisable !
On ressent dans votre écriture le plaisir des mots, de leur musique. Comment jouez-vous avec le créole et le français ?
Je crois que je réfléchis dans les deux langues. Passer du créole au français et vice-versa est spontané chez moi. J’écris un peu comme je parle. J’aime beaucoup danser, j’aime la musique et cela se ressent dans mes écrits. Insya veut danser le léwòz n’y échappe pas.
D’où vous est venue l’envie de raconter cette histoire ? Comment s’est-elle construite ?
Étant une enfant du gwo-ka, la musique traditionnelle de la Guadeloupe qui était l’une des rares distractions des esclaves, le thème du léwòz s’est imposé naturellement à moi. Le léwòz a deux sens : il est l’un des sept rythmes de cette musique mais c’est aussi le nom qu’on donne à une soirée où on se retrouve autour des musiciens qui jouent le gwo-ka, pour chanter et danser. Particulièrement populaire et prisé, il a longtemps été réservé aux hommes.
Pour la construction, ce fût plus compliqué ! Il fallait une histoire enfantine, le thème étant déjà très spécifique. Il m’est alors venu l’idée des personnages. Pour la chanson et la danse, j’ai pensé à mes élèves porteurs de handicaps (je suis enseignante spécialisée). Je voulais qu’ils puissent aussi s’approprier cette histoire, et ça passe par le corps bien sûr ! C’est comme cela qu’Inysa veut danser le léwòz est devenu un livre qu’on lit mais aussi qu’on chante et qu’on danse !
Avez-vous travaillé avec l’illustratrice Véronique Grasset ?
Je connais Véronique depuis plusieurs années maintenant. J’ai tout de suite pensé à elle pour les illustrations. C’est vrai, j’avais des idées de ce que je voulais, mais une fois que je lui ai donné les grandes lignes, elle s’est vite approprié les choses. Je suis vraiment très contente de ses illustrations. Elles subliment l’histoire !
Êtes-vous satisfaite du travail avec les éditions Jasor et de l’état final de l’album ?
Je suis très contente d’avoir travaillé avec les éditions Jasor pour cette première publication. C’est une maison d’édition emblématique en Guadeloupe. Travailler avec les éditions Jasor, c’est travailler avec l’expérience. Je m’en suis rendue compte tout au long du processus de publication, les comités de lecture et les comités de suivi. Et le résultat : un album vraiment très beau !
Comment avez-vous pris connaissance du concours Littérature Jeunesse en Caraïbe ?
C’est un ami auteur à qui je faisais lire mes textes en privé qui m’a envoyé le flyer du concours. Il m’a ordonné expressément d’y participer, disant qu’il ne pouvait pas être le seul à lire mes textes. Pour me motiver, il m’a dit que j’avais toutes mes chances et il avait raison !
Le livre connait un beau succès auquel vous contribuez largement en ayant imaginé des animations. Comment faites-vous ?
J’aime danser, en fait. Et cet album parle de musique et de danse. J’ai toujours vu dans ma tête une animation qui découlerait du livre. Alors je l’ai faite ! Vous voulez une confidence ? Je ne sais pas qui des enfants, des adultes ou de moi s’amuse le plus lors de ces animations !
Avez-vous de nouveaux projets d’albums ?
Insya veut danser le léwòz est très bien accueilli et me laisse peu de temps et c’est tant mieux ! Mais j’y pense.
Et quelques questions à Véronique Grasset, l’illustratrice
Vous êtes l’heureuse illustratrice d’Insya veut danser le Léwòz. Comment êtes-vous entrée dans cette aventure ?
En 2016, je me suis inscrite au concours Livres jeunesse en Caraïbe avec un album intitulé : Floup découvre la Guadeloupe, de l’autrice Florence Guinodeau.
Amandine, que je connaissais – nous étions collègues enseignantes spécialisées – me contacte alors pour illustrer son histoire, car elle souhaitait également participer au concours. Me voilà donc obligée de décliner son offre, et Amandine de trouver un autre illustrateur.
Vous le savez déjà, l’album d’Amandine fut le troisième lauréat. Le comité de lecture récompensait le texte mais il avait émis une réserve sur les illustrations et fait observer qu’il y aurait un travail important à y apporter. Or l’illustrateur n’avait plus la possibilité de se consacrer à ce travail ; il accorda le droit à un autre illustrateur d’intervenir sur ce projet. Amandine m’a donc à nouveau contactée, et c’est ainsi que je suis entrée dans l’aventure.
Avez-vous illustré d'autres livres ?
Le projet d’album que j’avais illustré pour Florence Guinodeau me paraissant très abouti, je l’ai adressé à toutes les maisons d’éditions de Guadeloupe. Il a retenu l’intérêt des éditions PLB. En 2019, deux albums sont donc parus chez eux : Floup découvre la Guadeloupe, et Floup découvre la Martinique.
Vous êtes une artiste, peintre surtout. Alors, pour vous, qu’est-ce qui différencie la peinture de l’illustration ?
J’ai entendu récemment l’expression de « artiste couteau-suisse ». Je trouve que cela me correspond bien. Je suis une touche à tout : dessin, peinture, collage, modelage, peinture numérique… mais aussi la musique, la danse, le chant, le théâtre, les marionnettes…
Il n’y a pour moi aucune contrainte technique dans le travail de l’illustration. La preuve en est, les illustrations en couture du premier lauréat du concours Livres jeunesse, et les collages du deuxième lauréat. Mon choix, pour Insya, s’est porté sur l’aquarelle, parce que c’était une technique que j’aimais explorer à ce moment-là.
La différence entre l’illustration et la création personnelle, c’est évidemment qu’en illustrant on se met au service d’un texte et d’un auteur, d’une autrice en l’occurrence. La première étape de notre collaboration avec Amandine a donc été de définir, le plus précisément possible, le contenu de chaque illustration. Une fois les croquis validés par elle, j’ai réalisé les planches.
Ce premier travail a été soumis au comité de lecture du concours, à la suite de quoi j’ai dû refaire quelques planches. Puis, lorsque le projet est arrivé à la maison d’édition, il a fallu à nouveau refaire certaines planches pour s’adapter au format ou à la mise en page.
Est-ce que les contraintes de lisibilité de l’image, de mise en pages,… ont été difficiles à supporter ?
Je me souviens de Madame Jasor (l’éditrice), qui s’inquiétait gentiment de savoir si cela ne me contrariait pas de devoir refaire telle planche. Il est vrai qu’une illustration à l’aquarelle c’est au minimum une journée de travail ! Je vous dirais qu’une journée à peindre est une très belle journée. Cela m’apporte beaucoup de joie et de satisfaction, même lorsque je dois refaire le même motif. Ensuite, je dirais que cela fait partie du travail d’illustrateur. Il n’y a pas d’album sans collaboration avec l’auteur, l’éditeur, voire un comité de lecture… donc, un va et vient de propositions, de suggestions et de recherches pour élaborer un ouvrage de qualité. Et je crois que nous avons réussi le pari avec cet album Insya veut danser le lewoz.
Qu’avez-vous le plus aimé dans cette histoire écrite par Amandine ?
Tout d’abord, j’ai beaucoup aimé sa structure répétitive, accentuée par la petite ritournelle qu’elle chante entre chaque rencontre. Je sais combien les tout-petits sont sensibles à ce format d’histoire et aux chansons.
Ensuite, j’ai adoré le lien qu’elle a fait entre les mouvements naturels des animaux (de Guadeloupe) et ceux du gwoka. Insya en reproduisant elle-même des mouvements très simples peut danser le gwo-ka. C’est une très jolie façon d’inciter les enfants à découvrir cette danse, patrimoine essentiel de la culture guadeloupéenne.
Qu’est-ce qui vous semblait le plus important de transmettre à travers vos images ?
Je ne sais pas répondre à cette question. Quand j’ai réalisé mes peintures, j’ai essayé de répondre aux attentes d’Amandine et de l’équipe de suivi. Mais j’imagine que le rendu très coloré que j’ai réalisé correspond à ma vision de la Guadeloupe.
La culture guadeloupéenne n’est pas votre culture d’origine. Or, elle semble totalement imprégner votre création. Que s’est-il passé ?
C’est vrai que je viens d’ailleurs, du Gers pour être précise, un département rural français où j’ai grandi au contact de la nature. Pour faire un parallèle avec Insya, j’y ai côtoyé des vers de terre, des écrevisses, des grenouilles et… non, pas de sorbetière… plutôt une gaveuse de canards...
La Guadeloupe m’a offert un environnement naturel extraordinaire. La faune et la flore locales m’inspirent dans toutes mes productions artistiques. La lumière d’ici apporte des couleurs intenses toute l’année. Un régal pour mon travail de coloriste…
Par ailleurs, quand je suis arrivée en Guadeloupe, et comme la danse est ma deuxième nature, j’ai pratiqué le gwo-ka. À travers cette danse, j’ai découvert de nombreux aspects de la culture guadeloupéenne (son histoire, ses traditions, son langage). Je suis heureuse que vous ayez ressenti cette imprégnation dans mes illustrations, cela me touche beaucoup.
Pour aller plus loin
- Amandine Vélin est enseignante pour des enfants porteurs de handicap. Elle aime écrire des histoires, de la poésie. Pour ses élèves, elle invente toutes sortes d’histoires farfelues. Elle aime chanter, danser et mettre en valeur la culture de son île, la Guadeloupe.
Insya veut danser le Léwòz, illustré par Véronique Grasset est son premier album. Il est paru aux éditions Jasor en décembre 2020.
- Véronique Grasset vit en Guadeloupe depuis 1997. Depuis son enfance, ce qu’elle aime, c’est dessiner, peindre, écrire, faire de la musique, danser. Des passions qu’elle fera partager aux enfants comme enseignante dans des classes ordinaires d’abord, puis avec des élèves en situation de handicap. Ses inspirations viennent des contes, de la culture populaire, de la nature. Son travail est de plus en plus souvent exposé en Guadeloupe.
Elle a illustré deux albums écrits par Florence Guinodeau et parus en décembre 2019 aux éditions PLB : Floup découvre la Guadeloupe et Floup découvre la Martinique, puis Insya veut danser le Léwòz avec Amandine Vélin comme autrice, paru aux éditions Jasor en décembre 2020.
- Petit guide à l'usage des apprentis auteurs et illustrateurs (Concours Livres Jeunesse en Caraïbe, 3ème édition, 2016). Un concours proposé par la Médiathèque Caraïbe du Conseil Départemental de la Guadeloupe. Réalisation : Médiathèque Caraïbe du Conseil Départemental de la Guadeloupe (juillet 2016).