Count to 10 with: I went looking for Palestine but I found
عدَ إلى 10 مع ذهبت أبحث عن فلسطين فوجدت
Un petit format carré, une couverture sobre, avec le chiffre 10 en vert et beige sur fond marron. En dessous, le titre, d’un côté en anglais, de l’autre en arabe : « Compte jusqu’à dix avec : je suis allé à la recherche de la Palestine mais j’ai trouvé ». Ne vous laissez pas abuser par le titre, il ne s’agit en aucun cas d’un livre à compter pour enfants !
Quel objet étonnant, dérangeant, violent, fascinant que ce livre, publié par les éditions Dar Onboz au Liban… Sur les pages de garde, un objet, reproduit de façon à couvrir l’ensemble des deux pages. Est-ce une roquette ? Puis, une double page : à droite, le chiffre 1, accompagné du mot « ligne », en arabe et en anglais ; à gauche, une illustration, faite d’une linogravure scannée puis colorée sur ordinateur, qui représente une forêt coupée en diagonale par une bande verte. Les arbres des deux côtés de la bande ne se différencient que par leur couleur (noire ou blanche). On pense à une frontière, à la fameuse « ligne verte » de démarcation tracée après l’armistice de 1949 entre Israël et les pays arabes voisins, à un « no man’s land » séparant des espaces quasi identiques. Tournons les pages (le livre est feuilletable sur le site de l’auteur). Voici le 4, « Boîtes à musique », représenté par quatre véhicules de marchands de glace, véhicules qui ne circulent, au Liban, que dans le Sud. Le 5, accompagné du mot « monuments » : Cinq chars d’assaut, en bleu et vert, se détachent sur un fond jaune strié de bleu. Regardons la page suivante, le 6 : « visiteurs », représenté par six véhicules portant un drapeau où figure l’étoile de David. Le 7 nous met face aux « erreurs » : des membres coupés, des doigts, un pied, une oreille, un cœur… On pense aux « dommages collatéraux », à ces « erreurs » qui résultent en des morts de civils… Arrêtons-nous sur le 8 : « attractions touristiques », représentées par un soldat des Nations Unies, gardien de la frontière du Liban avec Israël, reproduit huit fois ; il est vrai que certaines personnes se font photographier à côté de ces soldats, comme on le ferait à côté des gardes, devant Buckingham Palace… Le 9, « jouets », est illustré par des roquettes, obus, grenades, devenus, il est vrai, des objets du quotidien pour certains enfants. Voici enfin le 10, « affiches », qui représente huit têtes stylisées de personnes barbues, aux yeux fermés (morts ?) et deux espaces vides en forme de têtes. S’agit-il des affiches des martyrs et des disparus, qu’on retrouve souvent sur les murs de certaines villes du Liban ?
Cet ouvrage, au graphisme fort et soigné, interpelle, secoue, violente le lecteur. Joan Baz, jeune graphiste spécialiste des films d’animation, est allée « à la recherche de la Palestine au Liban-Sud ». Ce voyage a bousculé ses certitudes : elle en a rapporté ce livre, décalé, militant, voire sarcastique, et une exposition, qui circule au Liban. Au lecteur de tisser les liens, de s’interroger, d’interpréter les éléments que Joan Baz propose dans son livre. Pas de réponse, juste des pistes de réflexion. Et dans cette région du monde si tourmentée, où les certitudes s’affrontent à coups de roquettes, cette mise à nue est franchement bienvenue. Un objet rare, qui nécessite un accompagnement auprès des jeunes lecteurs.
HC