La bande dessinée éducative en Afrique : un média au service de la société

Hilaire Mbiye Lumbala, Faculté des Communications Sociales, Université Catholique du Congo Kinshasa/ Limete (République démocratique du Congo)
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En Afrique, la bande dessinée est un « médium pour toutes les couches de la population, y compris pour celles qui n’ont pas la culture de la lecture ou qui n’ont pas la télévision »1. La bande dessinée est un instrument au service d’une intention pédagogique spécifique. C’est ainsi que, dès ses origines, au début des années 1950, la bande dessinée était utilisée par les missionnaires pour édifier, éveiller les vocations et évangéliser. En tant que média éducatif, elle a une portée pédagogique et elle utilise la vertu persuasive également pour sensibiliser et vulgariser. Cela explique le développement de la bande dessinée éducative ces dernières années en Afrique.

Caractéristiques de la bande dessinée éducative en Afrique

Informer, éduquer et divertir

La bande dessinée éducative est à comprendre d’abord comme média au service de la société. Elle remplit les trois fonctions traditionnelles des médias, à savoir, celles d’informer, d’éduquer et de divertir les lecteurs. Elle explique parfois aux lecteurs ce qui se passe dans leur société ; elle éduque en leur montrant ce qu’il ne faut pas faire ou les attitudes à adopter ; elle divertit en tant que moyen d’expression ludique.

B. Baruti, Les aventures de Lotika. T.1. L'Héritier, Kinshasa, Service National de Vulgarisation, 1991.

La bande dessinée éducative simplifie le discours scientifique afin d'éviter aux apprenants les langages abstraits et leur donner l'occasion d'opérer sur du concret. On peut, dans ce cadre, préciser les domaines de son utilisation : la sensibilisation et la vulgarisation, le développement et la protection de la nature, l’histoire, les droits de l’homme, etc. Entre dans cette catégorie, par exemple, Nkosi Johnson : L’Héritage (2006). Cette bande dessinée est réalisée par deux Sénégalais : Salif Ba (texte) et Malang Sene Kass (dessins) et publiée par les Éditions Trois Cauris à Dakar. Il s’agit d’un récit qui, tout en racontant la vie et l’expérience de Nkosi Johnson, jeune enfant sud-africain né séropositif et mort à douze ans, explique aux lecteurs (jeunes et adultes) ce qu’ils doivent retenir sur le sida : les principaux modes de transmission, la protection, le dépistage et les idées reçues (ou fausses connaissances).

Commanditaires et destinataires

Elle est d’abord une bande dessinée sur commande et généralement financée par des organisations évoluant dans les domaines de la santé, de l’éducation, de la culture, des droits de l’homme ou de l’environnement (écologie). À titre illustratif, il convient de citer AGCD (Belgique), Africalia (Belgique), Croix-Rouge de la Belgique, Organisation internationale de la Francophonie, Équilibres & populations, Fondation Konrad Adenauer, etc.

"Touche pas à mon arbre", in Afrique Citoyenne, n°16, 2008.

Ces organisations, en utilisant la BD, sont conscientes de l’importance que les jeunes attachent à ce support. Elles ont choisi la bande dessinée comme moyen de communication pour sensibiliser et éduquer en les mettant gracieusement à la disposition des destinataires, car l’objectif poursuivi par ces organisations n’est pas lucratif. Il s’agit de susciter une prise de conscience chez les jeunes concernant les problèmes sanitaires, éducatifs, écologiques, sociaux et politiques (enfants des rues, enfants soldats…). En les sensibilisant à ces thématiques, ils peuvent ainsi questionner leurs propres pratiques.

Là-bas… Na poto… (2007) est à situer dans ce cadre. Cet album collectif (dix dessinateurs congolais) est un outil créé par les Croix-Rouge belge et congolaise, sur financement de la Commission européenne, pour sensibiliser et susciter les échanges sur les méfaits de la migration et les difficultés vécues par les candidats dans les différents pays d’accueil.

Mais au-delà d’une volonté de sensibiliser et d’éduquer, les organisations n’hésitent pas à valoriser leur engagement dans la société par le biais des bandes dessinées. Par exemple, la publication de la bande dessinée La Monuc et nous (Kinshasa, 2005) intervient au moment où l’opinion congolaise se pose des questions sur la place de la mission de l’ONU dans le processus de pacification : « La publication de cette bande dessinée entre dans notre effort de toujours nous rapprocher davantage du peuple congolais pour mieux lui expliquer notre travail et notre raison d’être. Notre mission est de soutenir l’effort des Congolais et de leurs institutions en faveur du retour d’une paix durable en RDC et la mise en place de nouvelles institutions démocratiques, crédibles et légitimes, qui s’attèleront à l’énorme et difficile tâche de reconstruction nationale ».

Quels dispositifs éducatifs dans la bande dessinée en Afrique ?

Une lecture attentive des albums montre, à suffisance, que leur objectif principal est de transmettre ou de communiquer des savoirs. Les dispositifs narratifs scriptovisuels mettent les personnages dans des situations où ils vivent les réalités combattues par les organismes. Le dispositif éducatif veut que la plupart de ces histoires soient précédées ou suivies d’informations relatives aux sujets traités. Le corpus étant très large, nous avons retenu quelques albums, afin de voir comment le dispositif éducatif fonctionne dans ces bandes dessinées en tant qu’outil pédagogique2. Il s’agit de : Au secours. Afrique : la nature en danger, À l’ombre du baobab, Rôle et pouvoirs de l’OPJ, Articles 5 et 9, Le Secret du manguier ou la Jeunesse volée, La Grande Épopée du Tchad, Congo 50.

Dans Au Secours. Afrique : la nature en danger, plusieurs auteurs se sont exprimés librement sur différents sujets ayant trait à la protection de la nature, le feu de brousse, le braconnage, la préservation de l’environnement, etc. Les éditeurs ont tenu avant tout à présenter, sous le titre « L’environnement, patrimoine commun », ce que les destinataires de l’album doivent connaître sur l’environnement, particulièrement sur la santé de la Terre et celle des hommes, la pollution agricole, la déforestation, l’air, l’eau, la faune sauvage. Ce dossier se termine par un lexique expliquant les termes comme « atmosphère », « effet de serre », « ozone », « pluie acide », « gaz polluants », etc. 

Au secours ! Afrique : la nature en danger, Paris, Segedo, 1992.

L’album À l’ombre du baobab : des auteurs de bande dessinée africains parlent d’éducation et de santé3 est réalisé par des bédéistes venant de plusieurs pays : Bénin (Hector Sonon), Cameroun (Marius Desfoussots, Chrisany, Remy Sewado, Simon Pierre Mbumbo et Christophe N’galle Edimo), Gabon (Joêl Moundounga), Madagascar (Elisé Ranarivelo, Alain Bruno Ranaivonjato), République démocratique du Congo (Alain Mata, Eric Salla, Hallain Paluku, Pat Mombili, Dady Gonda, Fifi Mukuna, Tembo Kash), ou encore, Togo (Jo Palmer Akligo). C’est ici l’occasion de parler des enfants des rues, des enfants soldats, de l’éducation des filles, de l’excision, des violences sexuelles, etc.

L’introduction prend soin d’exposer les problèmes abordés par les dessinateurs, à savoir la santé et l’éducation qui ne sont pas accessibles à tous les habitants de l’Afrique au Sud du Sahara : « Les planches qui suivent témoignent de la situation actuelle d’une grande partie de la population africaine et des pays en voie de développement. Chaque problème varie cependant d’un pays à l’autre, suivant les spécificités nationales (situation politique, coutumes locales, niveau de développement économique…). Les solutions à apporter doivent ainsi être adaptées à chaque pays et à chaque type de population »4

Rôle et pouvoirs de l’OPJ (2002) est une bande dessinée réalisée à l’occasion d’une session de formation des journalistes à la chronique judiciaire et l’animation du droit (novembre 2002 – janvier 2003) organisée par l’ONG RCN – Justice & Démocratie et financée par l’Union européenne dans le cadre du Programme d’Appui à la Justice (PAJ). Les auteurs, Me Guillain Malere (scénariste) et Michaël Maloji (dessinateur), sensibilisent les lecteurs sur certaines questions de justice en République Démocratique du Congo : le rôle de l’officier de police judiciaire (OPJ), la personne habilitée à se rendre justice, les coups et blessures volontaires, etc. La BD se clôture par un lexique qui explique les termes tels que « amende transactionnelle », « convocation », « infraction », « instruire », « flagrance », « procès-verbal », etc. 

Dans Articles 5 et 9, Chrisany présente dans le langage de la bande dessinée deux articles de la Déclaration universelle des droits de l’homme qui stipulent respectivement que : « Nul ne sera soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants » (art. 5) et « nul ne peut être arbitrairement arrêté, détenu ou exilé » (art. 9). La trame montre un homme, enfermé dans une cellule de cinq mètres carrés, torturé et soumis aux traitements les plus inhumains. Cet album sensibilise sur les droits de l’homme et sur la manière de les revendiquer. C’est pour cette raison que la Déclaration universelle des droits de l’homme est publiée intégralement en français et en italien pour que les lecteurs s’en imprègnent.

Titi-Randriamanantena-Edimo, Le Secret du manguier ou la jeunesse volée, Haut-de-Seine, Mouvement du Nid-france, 2008

Le Secret du manguier ou la Jeunesse volée est une bande dessinée menant une campagne de prévention sur la prostitution et la traite des jeunes africain(e)s, initiée par l’association le Mouvement du Nid (France) avec plusieurs partenaires africains. Cette bande dessinée est un outil pédagogique pour sensibiliser l’opinion et les pouvoirs publics sur la prostitution des jeunes africains(es) en Europe. Le récit raconte l’aventure de Bineta et Amandine qui, vendues par leurs parents, se retrouvent dans un réseau de prostitution. L’album se clôture par quelques pages où le lecteur peut découvrir ce qu’il doit connaître de la prostitution, de la traite des êtres humains, des violences contre les femmes, du proxénétisme, du tourisme sexuel. Il attire l’attention sur les pièges tendus par Internet et les téléphones mobiles et rappelle les droits de l’enfant en se référant aux articles 34 et 35 de la Convention internationale des droits de l’enfant.

Adji-Samy-Abou, La grande épopée du Tchad, N'Djamena, Graphi-Culture Gérard Leclaire Edition, 2005.

La Grande Épopée du Tchad, réalisée par trois dessinateurs tchadiens (Adji, Samy et Abou), est financée par les Brasseries du Tchad. Il est question ici d’une épopée historique riche en rebondissements qui présente les aventures extraordinaires des trois « Missions Afrique Centrale » organisées par la France pour vaincre Rabah, un pillard esclavagiste sanguinaire qui contrôlait toute la région, et construire un empire colonial en Afrique. Les pages de garde montrent les itinéraires de ces trois missions parties respectivement du Nord à Alger (mission Fourreau-Lamy), de l’Ouest au Sénégal (mission Voulet-Chanoine, puis Joalland-Meynier) et du Sud par le Chari à bord de la canonnière le Léon Blot.

Congo 50 commence par une préface et une introduction suivies de huit récits de six planches, chacun relatant l’histoire de l’indépendance du Congo et certains autres événements qui ont marqué l’histoire du pays. L’album se termine par trois annexes : la première présente les quatre drapeaux et les quatre présidents de la République que le pays a connus. La deuxième reprend les événements politiques qui ont marqué l’histoire de la nation congolaise. Les deuxième et troisième annexes reprennent la chronologie des événements politiques et culturels qui ont eu lieu entre 1960 et 2010. 

La bande dessinée éducative est à considérer comme un média de transmission des connaissances, de changement des attitudes (comportements) et de structurations des rapports sociaux. Sur un continent où le taux d’analphabétisme est élevé, l’usage de l’image est utile et nécessaire, car, dit-on, mieux vaut un petit dessin qu’un long discours...

Notes et références

1. Cf. « La BD peut être un grand médium pour toutes les couches sociales », entretien d'Olivier Barlet avec Grégory Ngbwa Mintsa, dans Africultures, n° 32, 2000, p. 27.
2. Lire à ce sujet : B. Jalenques-Vigoureux, C. Pascual Espuny. « Des bulles pour le développement durable », dans La bande dessinée : Art reconnu, média méconnu. Hermès, n° 54, 2009, p. 135-138.
3. Paris, Équilibres et Populations, 2000, 63 p.
4. p. 10.


Pour aller plus loin

Hilaire Mbiye Lumbala est docteur en communication de l’Université catholique de Louvain. Sa thèse de doctorat portait sur la bande dessinée africaine. Il est actuellement professeur de sémiologie et communication visuelles à la faculté des communications sociales des Facultés catholiques de Kinshasa. Il a publié plusieurs articles sur la bande dessinée en Afrique et sur la caricature congolaise, ainsi que l’ouvrage Cases et Bulles africaines : Introduction à la bande dessinée africaine francophone (Alger, Dalimen, 2009).


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