Pourquoi ne pas publier en arabe dialectal marocain

Entretien avec Amina Hachimi Alaoui, directrice de Yanbow al-kitab (Maroc)

Propos recueillis par Hasmig Chahinian
Photographie de Amina Hachimi Alaoui

Dans le contexte multilingue marocain, Amina Hachimi Alaoui a choisi de publier en français et en arabe classique simplifié ou standard, avec de brèves incursions du côté de l’anglais. Parcours et choix linguistiques.

 

Racontez-nous comment vous êtes venue à l’édition.

C’est d’abord mon expérience de libraire et de mère de trois garçons qui m’a poussée à faire de l’édition jeunesse. Je ne pouvais pas transmettre notre culture à mes enfants à travers le livre ou raconter des histoires marocaines avec le support du livre. Le livre avec un référent culturel marocain n’était pas disponible ou, quand il existait, n’était pas attrayant. Dans ma librairie, je ne pouvais jamais satisfaire les clients qui recherchaient des livres jeunesse sur l’histoire du Maroc, les contes marocains, etc. À force de dire : « Non, on n’en a pas », j’ai pris mon courage à deux mains et j’ai décidé d’éditer des livres de jeunesse marocains.

Quel a été votre premier livre publié ?

Ma première expérience, à Eddif Maroc au début des années 1990, fut de publier un livre 100 % en arabe avec une cassette audio : c’était une adaptation en conte d’une qasida ou poème du Malhûn1 : « Le bracelet d’Aicha ». Le livre eut un succès d’estime. Vu son originalité, il était au programme de lecture dans plusieurs écoles, notamment celles de la mission culturelle française. Des étudiants de l’ISADAC (Institut supérieur d’art dramatique et d’animation culturelle) l’ont adapté en pièce de théâtre… Mais c’était loin d’être un succès commercial, parce que les étudiants travaillaient sur l’exemplaire du maître ou sur des photocopies. Ce livre, illustré par un célèbre miniaturiste, se présentait comme un grand format (20x27cm), en quadrichromie, dos carré, sous blister avec une cassette audio, pour un prix de 65 DH (environ 6 €). On n’était pas habitué à payer autant pour un livre d’enfants au Maroc : le marché regorgeait de livres venant du Moyen-Orient, d’Irak, de Chine, que l’on pouvait confondre avec des brochures bas de gamme, à des prix défiant toute concurrence, de 50 centimes à 10 DH maximum. On peut dire que ce fut un fiasco pour la maison d’édition qui ne m’a pas soutenue pour les autres titres que je voulais publier dans la même collection. J’ai tout classé dans un tiroir et j’ai attendu d’autres opportunités.

Puis, vous avez animé une collection jeunesse aux éditions La Croisée des chemins où vous avez publié des titres en français ou en bilingue français-berbère.

En 1998, j’ai créé un département jeunesse au sein des éditions La Croisée des Chemins, où j’ai édité les quatre premiers titres de la collection « Malika et Karim », en français, pour un public qui dénigre sa culture et est plus ouvert au livre occidental. L’objectif était de valoriser le patrimoine culturel marocain par une approche très moderne, tant pour les illustrations que pour le texte. Tout Marocain devait pouvoir s’identifier. Sonia Ouajjou, l’auteure-illustratrice de la collection, a su répondre à mes attentes. Cette collection est un succès, non seulement au Maroc, mais aussi en France et en Espagne. Le ministère marocain de la Culture s’y est intéressé et a financé la traduction de quatre titres en arabe à 50 % du prix public du livre en français. Alors, j’ai sorti tous les projets de mes tiroirs en créant plusieurs collections. La Croisée des Chemins n’a pas voulu suivre financièrement et j’ai créé ma propre maison d’édition spécialisée jeunesse en 2006 : Yanbow al-kitab, qui revisite le patrimoine marocain de façon attractive, originale et didactique, afin de sensibiliser la jeunesse à son histoire.

Pouvez-vous définir votre ligne éditoriale et expliquez quels choix de langues d’édition vous avez faits ?

C’est une maison d’édition qui a pour mission de publier une littérature spécialisée pour la jeunesse où l’enfant marocain peut retrouver son référent culturel. Elle a pour objectif de valoriser le patrimoine marocain et de développer la lecture au Maroc en acheminant et distribuant des livres aux jeunes lecteurs dans les coins les plus reculés du Maroc, et ceci en partenariat avec des fondations et des associations dans le cadre de l’opération « Un livre, un enfant ». Plus de 80 000 livres ont été distribués gratuitement grâce à cette action depuis 2007. Yanbow al-kitab a plus de quatre-vingts titres au catalogue, dont une vingtaine en coédition.
Au départ, on publiait soit en arabe, soit en français. Je refusais d’éditer des livres bilingues pour éviter que, sur la même page, l’une des deux langues ne soit présentée dans le sens contraire de la lecture. On a opté par la suite pour l’édition bilingue arabe-français, mais avec la moitié du livre en arabe et l’autre en français, en respectant le sens de la lecture.

Pourquoi n’envisagez-vous pas de publier des livres en arabe dialectal marocain ?

La langue officielle et enseignée dans les écoles est l’arabe classique. Je suis contre la publication en arabe dialectal. Quel arabe dialectal ? Au Maroc, il est parlé différemment selon les régions et, d’un pays à l’autre, il varie. Il peut nous arriver d’utiliser l’arabe dialectal dans les dialogues mais nous l’expliquons en arabe classique dans un lexique. Je suis pour simplifier l’arabe classique de façon à ce qu’il soit compris dans l’ensemble du Monde arabe. Nous préparons une collection pour les tout-petits (un abécédaire et de petits contes), afin que le livre en arabe soit disponible dès le berceau.

Publier des livres en arabe vous ouvre-t-il les portes du marché du livre arabe ? Trouve-t-on vos livres dans d’autres pays arabes ?

Oui, j’ai commencé à participer à des Salons dans les pays arabes : Algérie, Tunisie, Égypte, Émirats arabes unis (Abou Dhabi, Sharjah). Mes livres sont distribués à une petite échelle dans ces pays. J’essaye de développer une coopération avec des auteurs et des éditeurs de ces régions. Par exemple, les livres pour les tout-petits sont écrits par une Égyptienne et coédités avec un éditeur de Dubaï.

Vos livres en français vous permettent-ils d’accéder au marché du livre francophone ?

Oui, nous avons un diffuseur en France qui couvre l’Union européenne, les États-Unis et le Canada.

Comment vos livres sont-ils reçus par les enfants marocains ? En quelle langue sont les livres que vous vendez le plus au Maroc ?

Les livres en français ont du succès, ils se vendent mieux. Les livres en arabe sont distribués en majorité gratuitement dans le cadre de l’opération « Un livre, un enfant ».

Quel est votre mot préféré et pourquoi ? Que vous évoque-t-il ?

Imaginaire !
I = Inventer tout ce que l’on désire, comme on veut et quand on veut.
M = Modifier. Avec l’imaginaire, on peut modifier le monde comme on veut.
A = Amour, Amitié. On peut avoir des amours, se créer des amis.
G = Grandir. On peut grandir et dépasser tous les obstacles.
I = Intime. Nous sommes dans l’intime avec notre imaginaire, personne ne peut nous déranger.
N = Naître. On peut naître comme on veut et où on veut
A = Ailes. Nous pouvons nous laisser pousser des ailes et voler comme on veut.
I = Idéal. Notre idéal est dans notre imaginaire.
R = Rêver. Tous les rêves sont permis.
E = Espoir ou Écrit. L’écrit donne de l’espoir et permet à l’imaginaire de se développer.
 

Notes et références

1. Le Malhûn الملحون, qui pourrait être traduit par mélodieux, désigne des poèmes populaires chantés. Ce genre plonge ses racines dans l’art musical de l’Andalousie.


Pour aller plus loin

  • Le blog de l’éditeur. [Consulté le 08.02.2012]