Des tresses fines et un roman, s’il vous plaît

Des bibliothèques dans les salons de coiffure

Par Chantal Adjiman, Directrice de la Bibliothèque Nationale de Côte-d’Ivoire
portrait photo Chantal Adjiman

À l’occasion de l’Année du livre, décrétée par le ministère ivoirien de la Culture et de la Francophonie en 2013, la Bibliothèque nationale de Côte-d’Ivoire (BNCI) par le biais de son programme culturel, a initié l’opération « Femmes et lecture » pour conquérir le public des femmes et les fidéliser à la lecture. Il faut noter qu’après avoir accordé une place de choix aux enfants à travers la réhabilitation et les nouvelles missions de sa bibliothèque enfantine depuis l’année 2008, la BNCI entend désormais apporter le livre aux personnes qui sont les premières garantes de l’éducation des enfants.

« Femmes et lecture » est une démarche de création de bibliothèques hors les murs dont la particularité est d’apporter le livre aux femmes là où elles sont, dans leurs lieux d’activités ou de fréquentation régulière, notamment les salons de coiffure, et de leur proposer de la littérature, gage d’une transmission certaine d’une culture de la lecture aux enfants.

Cette initiative trouve sa source dans un certain nombre de réalités quotidiennes. En effet, le constat révèle que les femmes doivent faire face à de nombreuses contraintes liées à leurs occupations, qu’elles soient professionnelles ou domestiques. Toutes ces contraintes leur demandent du temps. On constate également que quel que soit leur niveau social, les femmes en Côte d’Ivoire, très coquettes, passent en moyenne environ une heure et demie par semaine dans un salon de coiffure, lieu pour se faire belles. Par contre, les lieux tels que les bibliothèques reçoivent rarement leur visite, ne serait-ce que pour emprunter des livres pour leurs enfants. Par ailleurs, on remarque encore que la quasi inexistence d’infrastructures de lecture publique dans les quartiers des communes n’est pas fait pour inciter le grand public en général, et les femmes et les enfants en particulier, à la pratique de la lecture .

 

"Daphnée coiffure", salon à Abidjan Cocody Angré

En attendant donc de voir les quartiers des communes dotés de bibliothèques publiques, la BNCI se propose de se rapprocher du public des femmes. Aussi, cette initiative a-t-elle pour objectif général, de les sensibiliser et de les inciter à la lecture l’intermédiaire des salons de coiffure à travers le pays. Concrètement, l’opération entend installer des mini bibliothèques dans les salons de coiffure à l’intention des clientes, du personnel et de leurs enfants, ainsi que les femmes et les enfants du quartier.

Les mini bibliothèques installées à ce jour se présentent sous forme d’armoires en bois vitrées mesurant 2,23 m x 1,20 m, avec huit étagères. Elles ont une capacité de cinquante livres dont dix pour enfants. Ce fonds est constitué de romans, d’ouvrages relatifs aux droits et devoirs de la femme, à sa contribution au développement, à l’éducation et la psychologie des enfants, aux questions « église et société ». Et à l’intention des enfants et des dames qui ne savent pas lire ou qui sont en apprentissage, il est proposé des bandes dessinées, des contes et des albums. Les ouvrages proviennent du fonds de la BNCI.1

Un programme de rotation permet de renouveler et d’échanger les ouvrages entre les salons de coiffure. En outre,sur proposition ou à leur demande, il peut être organisé des visites d’auteurs ou de personnes ressources pour des causeries autour d’un ouvrage ou d’un thème.

Le lancement officiel de l’opération a eu lieu dans le district d’Abidjan, la capitale économique, le samedi 30 juin 2012, dans la commune de Cocody au quartier Cité Sogefiha, au salon Djesty coiffure, sous la présidence de Mme Fanny Kadidia Jeanne, fondatrice d’école. Elle fut chef de division au Service de la Consommation et responsable des kiosques de café (une opération qui visait la promotion de la consommation du café local) créés dans le pays pour soutenir la production agricole à la fin des années 90 Une personne toute indiquée pour adhérer aux objectifs de cette opération de la BNCI pour la promotion de la lecture.

En mars 2013, l’opération est allée à la rencontre des femmes de l’intérieur du pays, à l’Est, précisément dans la Région de l’Indenié-Djuablin, dans la commune d’Abengourou. Cette étape a vu l’installation des mini bibliothèquesdans quatre salons de coiffure. La cérémonie d’installation, associée aux festivités commémoratives de la journée internationale de la femme, a été parrainée par l’honorable Tano Kua Marguerite, députée de la commune d’Abengourou. Cette dernière est fortement engagée depuis plus d’une décennie dans les actions de promotion et de sensibilisation des femmes au développement de la région.

À Abengourou, la BNCI a bénéficié de l’appui de la Direction régionale de la culture et de la francophonie de l’Indénié-Djuablin, en ce qui concerne la tutelle institutionnelle, et de l’Alliance franco-ivoirienne (AFI) d’Abengourou. Cette structure jouant le rôle déterminant de coordonnateur pour la gestion et l’animation autour des ouvrages soutient également le renouvèlement des titres à partir du fonds documentaire de sa bibliothèque dirigée par Mme Claire Renaut. Un nouveau partenaire a rejoint la BNCI à partir d’Abengourou. En effet, l’institut Goethe a décidé d’accompagner l’opération et lui a apporté une aide, avec des dotations d’ouvrages.

Ce sont au total sept salons (quatre à Abengourou, trois à Abidjan) qui, à ce jour, se sont vus équipés de mini bibliothèques depuis le lancement de l’opération.

 

Un bilan établi de juillet 2012 à décembre 2013, avec six des sept salons, fait aujourd’hui  ressortir les résultats suivants :

  • à Abidjan : 3 rotations  x 100 ouvrages = 300 ouvrages mis en rayon. 26 abonnés x 300 ouvrages lus = 7 800 prêts à domicile
  • à Abengourou : 2 rotations x 200 ouvrages = 400 ouvrages mis en rayon. 67 abonnés x 400 ouvrages = 26 800 prêts à domicile

Soit un total de 34 600 prêts à domicile. Il faut signaler que les lectures sur place n’ont pas été comptabilisées, car les responsables des salons ont pensé que seuls les prêts devaient être mentionnés (ceux-ci nécessitent un abonnement qui coûte 1 000 francs CFA/1,50 € par an). Les visites des enfants et surtout des adolescents ont été très remarquables dans certains salons, selon leurs responsables. Et le personnel des salons semble être les lecteurs les plus fidèles… Des « lecteurs imprévus », à savoir les hommes, fréquentent également les mini bibliothèques.

Les comptes-rendus des responsables des salons de coiffure mettent en évidence d’autres données assez remarquables concernant le lectorat :

  • Les clientes : elles lisent régulièrement pendant leur temps d’attente et viennent à bout de tous les ouvrages en un temps record, avant que le fonds ne soit renouvelé. La majorité préfère lire sur place et terminent la lecture de chaque ouvrage en deux visites au salon au plus (les plus régulières ont déjà lu l’ensemble de la collection). Elles évitent d’emporter les livres pour des raisons diverses (manque de temps, crainte de les perdre…).
  • Les enfants : suivant l’exemple de leur maman, ils lisent les ouvrages qui leur sont proposés avec beaucoup d’intérêt et sollicitent avec empressement leur renouvellement.
  • Les servantes du quartier (appelées  « bonnes ») et le personnel des salons : elles sont analphabètes ou de niveau des cours primaires dans la majorité. Leur contact avec les mini bibliothèques ont poussé certaines à s’inscrire aux « cours du soir » (cours d’alphabétisation) pour avoir accès aux livres. Un des salons a même en projet l’organisation de séances d’alphabétisation en son sein, à la demande des jeunes filles et des maitresses de maison analphabètes du quartier. Ce salon a sollicité de l’aide à la BNCI pour un petit équipement. Une personne ressource qui habite le quartier est disposée à assurer ce service.

Il ressort une pleine adhésion des responsables des salons de coiffure à l’opération et leur implication est active. Ceci se traduit par les cahiers d’enregistrement des fréquentations tenus selon une méthode qui est propre à chacun, une disponibilité de ces derniers à écouter et à échanger avec les visiteurs et les clientes à propos des ouvrages, à organiser des activités spécifiques proposées aux adolescents et aux enfants (séances de lecture expliquées, contes), des débats (sur des thèmes comme le mariage, le rôle et les droits de la femme, la sorcellerie, les sectes…)qu’ils modèrent eux-mêmes. Ils souhaitent organiser aussi des rencontres avec des auteurs. Ces responsables vont même jusqu’à transmettre fidèlement à la BNCI les attentes des lecteurs et font des suggestions pour une plus grande visibilité de l’opération.

La BNCI a réceptionné plusieurs demandes d’installation de ces mini bibliothèques, surtout à l’intérieur du pays. Un programme pour 2014 avec l’appui de l’Institut Goethe permettra de répondre  à ces sollicitations. La BNCI voudrait compter sur l’appui d’autres institutions et d’entreprises en vue de l’aider à équiper ces salons de micro-ordinateurs et d’enrichir les fonds documentaires qui leur sont destinés.

Notes et références

1. La bibliothèque de l'Alliance Franco-Ivoirienne d'Abengourou contribue au renouvellement des ouvrages au niveau de cette ville.


Pour aller plus loin

Chantal Adjiman travaille depuis 1988 au ministère ivorien de la Culture où elle occupe successivement les fonctions de responsable du Service de l’éducation et des expositions au Musée des Civilisations de Côte-d’Ivoire, de sous-directrice du livre et des médias à la Direction de l’action culturelle, de sous-directrice de la création littéraire et de l’édition à la même Direction, avant de devenir en 2008 Directrice de la Bibliothèque nationale de Côte-d’Ivoire.

Outre sa formation en sociologie et en action culturelle, spécialité muséologie,  elle renforce ses capacités dans le domaine de l’édition, de la gestion des bibliothèques et centres de documentation, du management des projets culturels, du suivi et de l’évaluation de projets culturels.

Au cours de sa carrière, elle a initié et organisé des activités en direction de divers publics, (écoliers, chercheurs, associations diverses) et conduit des missions relatives au patrimoine culturel. Elle a participé activement à la conception et à l’organisation de projets de formation, et de grandes activités nationales et internationales dans le domaine du patrimoine culturel et de la promotion du livre et de la lecture. Elle est l’initiatrice des Journées nationales du livre pour enfant qui fêteront leur troisième édition cette année et qui tendent à s’internationaliser.

Àla tête de la Bibliothèque Nationale, elle s’atèle à la dynamisation de cette institution, fermée en 2006 pour réhabilitation. Elle rouvre partiellement ses portes avec la bibliothèque enfantine et la banque de prêt en novembre 2008, grâce au programme d’aide sociale de Mitsubishi Corporation-Abidjan. En novembre 2013 elle ouvre la bibliothèque de recherche grâce au soutien du Centre national du livre et de la Bibliothèque nationale de France qui enrichissent le fonds existant d’un Espace français.


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