Voyages à travers trois vies
Mythes de l’Ancien Empire Manding
Trois contes, trois enfants, trois destins… Voici trois contes traditionnels que l’on retrouve dans l’aire Manding mais dont le premier, « L’Enfant aux mains vides », semble moins connu du grand public. Las de vivre de la charité publique, le héros creuse une fosse et y met son espoir. Il y trouvera trois animaux et un homme. Celui qui aurait dû être son espoir le trahira, tandis que les animaux sauvages sauront le remercier de leur avoir laissé la vie sauve. Son destin en sera bouleversé. Hamed Bouzzine adapte le conte à son jeune public en faisant du héros (généralement un jeune homme) un enfant. Celui-ci trouve son accomplissement dans une fin originale, il refuse les honneurs et poursuit sa marche en portant l’espérance au bout de ses pas.
Le deuxième conte reprend le thème des échanges successifs. Thème fréquent, mais cette fois-ci le héros veut offrir un cadeau à sa grand-mère. Nous voilà plongés dans un rapport affectif qui donne un tout autre sens à cette quête aux mille rebondissements. Le cadeau primitif est un oiseau que l’enfant met en cage pour sa grand-mère. Mais celle-ci aime l’oiseau, elle ne veut pas le voir enfermé et refuse le cadeau. Kemenbanani, notre héros, qu’on imagine rageur, s’en va et l’offre à un enfant mais quand il veut le reprendre, l’oiseau a été tué ; en compensation, il reçoit un couteau qu’il échange de la même façon contre un panier, ainsi de suite jusqu’à revenir à son point de départ avec un cadeau magnifique pour sa grand-mère. Dans d’autres versions, l’enfant obtient au terme des échanges une épouse qui marque son intégration sociale et la fin de ses pérégrinations. Ici, le retour auprès de la grand-mère marque une réintégration affective, celle à laquelle aspire l’enfant au terme de ses explorations enfantines.
Sinimori, le héros du dernier conte, est un orphelin que sa marâtre veut tuer et qui sera sauvé par son chien. Contraint de partir, il fera fortune, tandis que la marâtre, de honte, se transformera en mouche.
Ces trois contes transmis par un griot manding à Hamed Bouzzine nous disent qu’aucun destin n’est définitif, chacun peut le prendre en main, à condition de savoir lire dans les signes de sa vie.
Les couleurs des illustrations jouent avec celles de la typographie du texte. Le dessin, léger, en noir et blanc, « se pose » sur des surfaces de couleur, brossées à grands coups de pinceau. Il court d’une page à l’autre et nous entraîne dans le fil du conte, soulignant le caractère étrange des personnages ou des situations.
Un CD accompagne le livre. Les contes sont psalmodiés par Hamed Bouzzine, accompagné de la sanza, du douss’ngony (le luth des chasseurs) et du tambour d’eau (calebasse retournée sur un récipient rempli d’eau). Le rythme lancinant des instruments accompagne la mélopée du récit, seulement rompue par les chants traditionnels qui ponctuent les contes. On peut se laisser envoûter par la voix chaude du conteur. Il semble qu’il y a un hiatus entre la forme donnée par le conteur, proche de l’énoncé épique, et l’âge des héros et du public ciblé (donné en couverture à partir de 6 ans). Un ensemble qui confirme la qualité technique de cette collection.
Marie-Paule Huet