La Fête du livre jeunesse en Haïti a 11 ans
La Fête du livre jeunesse est un événement créé par les éditeurs haïtiens et d’autres professionnels afin de rendre accessibles les livres aux enfants et d’encourager la production littéraire locale pour la jeunesse qui se développe depuis une vingtaine d’années.
Cette journée dédiée à la vente de livres pour la jeunesse et à l’animation pour les enfants montre l’implication des auteurs, illustrateurs et éditeurs pour le jeune public. Comment cette initiative a-t-elle été prise ? Quelles en sont les retombées ? Quelle importance a-t-elle pour les enfants et leurs parents, pour les enseignants et les bibliothécaires ?
La littérature jeunesse haïtienne
La littérature haïtienne est née dans une situation particulièrement difficile. Après l’indépendance d’Haïti, dans les années 1800, les écrivains utilisaient leur plume comme une arme de combat pour dire non à l’esclavage. Toute l’évolution de la littérature haïtienne est marquée par la lutte ou la dénonciation des différents problèmes socio-politiques auxquels le pays fait face. Pendant longtemps, les créations étaient dédiées aux adultes. Les seuls livres qui étaient consacrés aux enfants étaient d’ordre scolaire.
Vers les années 1998, des éditions haïtiennes commencèrent à s’intéresser à l’édition de livres pour enfants. Ceux qui avaient une culture de la lecture lisaient des livres d’auteurs étrangers. En 1998, L’Institut Français en Haïti a organisé des ateliers d’écriture et d’illustration de livres pour la jeunesse. Véronique Tadjo1 qui a animé ces ateliers, a fait travailler de jeunes illustrateurs et des auteurs haïtiens, les initiant à une forme d’écriture en direction des jeunes. Et depuis, une nouvelle vague d’auteurs et d’illustrateurs a vu le jour. Au cours de la même année, les Éditions Henri Deschamps, qui éditaient des livres scolaires, se lancèrent aussi dans l’édition de livres pour le jeune public.
Quelques années plus tard, on assistera à l’ouverture d’espaces de lecture pour enfants. Une nouvelle vague d’écrivains et d’illustrateurs commence à produire des œuvres de fiction pour enfants. Certains auteurs qui écrivaient pour les adultes réadaptent leurs œuvres pour les enfants.
Dans les années 1999, a démarré un programme d’animations pour enfants à la Médiathèque de l’Institut Français en Haïti. La FOKAL (Fondation Connaissance et Liberté) à travers la Bibliothèque Monique Calixte, et d’autres organismes ont aussi multiplié les initiatives de promotion de la lecture.
Malgré l’ouverture des espaces de lecture pour enfants et les efforts réalisés pour que le livre soit accessible à tous, un fort pourcentage d’enfants n’a pas pu avoir accès à ces services, faute d’espaces ou à cause de difficultés économiques ou même par ignorance d’une production locale de livres adaptés pour eux.
La fête du livre jeunesse : un peu d’histoire
« Livre en Folie2 », une initiative culturelle née vers les années 1994 en Haïti, a sans doute été à l’origine de la « Fête du livre jeunesse ». En mai 2001, la Maison Henri Deschamps et d’autres éditeurs de livres pour la jeunesse ont pris l’initiative d’organiser une journée qu’ils ont baptisée « Fête du livre jeunesse », dans le but d’encourager la production pour enfants, d’inciter à la lecture et aussi de faire connaître la production de la littérature haïtienne pour la jeunesse et « d’attirer un grand nombre d’enfants encouragés par leurs parents, qui viendraient faire provision de livres loisirs à moitié prix grâce à la générosité de quelques sponsors », comme le disait Madame Franck Paul.3
Pendant de cette journée, il y a aussi des rencontres avec les auteurs et les illustrateurs au cours desquelles les enfants posent des questions ou se font dédicacer un livre qu’ils ont acheté. Le lieu de la fête est occupé par différents stands d’éditeurs et d’auteurs/illustrateurs qui présentent leurs nouveautés. Chaque année, la Fête du livre s’organise autour d’un thème adopté par l’ensemble des organisateurs : les maisons d’éditions, les auteurs et illustrateurs, les sponsors. Comme le dit Madame Sabine Boisson4, c’est « l'occasion de réunir dans un même lieu, un même jour, auteurs et lecteurs, enfants et adultes, parents et amis. Saynètes, déclamations, concours, contes et histoires, chansons et marionnettes, c'est tout cela la Fête du livre jeunesse et plus encore, sous la grande tente de l'animation ».
Cette initiative a continué au fil des ans. La réussite de la première édition a encouragé les éditeurs, les auteurs et les illustrateurs à poursuivre leur effort afin de satisfaire le public, qui est composé d’enfants, d’adolescents, de parents, d’enseignants et de bibliothécaires.
En 2010, lors du terrible tremblement de terre qui a frappé Haïti, tout le pays est entré dans un silence profond. Les locaux de certaines maisons d’édition ont été touchés, les auteurs et illustrateurs réfléchissaient à l’avenir du pays. En revanche, la vie du livre et son animation ont survécu dans les camps des réfugiés5. Les animations réalisées dans les camps sont un des outils qui ont permis à certains enfants et même à des adultes de tenir dans ces moments difficiles. Dans le domaine de la publication et la production c’était le plus grand calme. Une inquiétude profonde envahissait les professionnels, ils se questionnaient sur l’avenir du pays et notamment sur celui de la production littéraire et artistique. La Fête du livre jeunesse n’a pas pu avoir lieu. Il a fallu attendre l’année 2011 pour redémarrer l’activité. Comme l’a souligné Madame Franck Paul « Quand on tombe, on doit se relever, sinon on risque de rester par terre. On a fait l'effort colossal d'avoir les livres scolaires et les livres jeunesse aussi puisqu'on ne veut pas qu'il y ait de coupure à la Fête du livre jeunesse».
La 11e édition de la fête du livre jeunesse
Cette année, la 11e édition de la fête du livre jeunesse s’est déroulée le samedi 12 mai 2012, dans une ambiance amicale autour du thème « Je dessine l’avenir en lisant ». En lisant ou en entendant ce slogan, les enfants pensent à la lecture, aux nouveaux livres à acheter, aux animations et aux rencontres avec leurs auteurs et illustrateurs préférés. Depuis 2011, le rendez-vous a lieu à Pétion-Ville6 chez les Frères de l’Instruction Chrétienne.
Plus de trente nouveaux titres ont été proposés par les éditeurs. Des ateliers de théâtre étaient au rendez-vous avec le dramaturge et comédien haïtien Daniel Marcelin et avec Jean-Philippe Etienne, un jeune animateur professionnel. D’autres activités liées aux livres comme des concours, des histoires racontées et des spectacles de marionnettes ont été aussi organisées.
Cette année, beaucoup de grands éditeurs jeunesse ont pris place dans les stands pour apporter des nouveautés aux enfants : les éditions du Canapé-Vert, les éditions Coucoune, Éditha-Les Éditions haïtiennes, Distribution Communications Plus, Kopivit-L'Action sociale, les éditions Livrets méthodistes, les éditions CUC-Université Caraïbes et les éditions Sabine Boisson. Plus de cent bénévoles ont participé aux préparatifs de cet évènement.
Clélie Aupont |
Plusieurs auteurs jeunesse sont de fidèles collaborateurs de ce rendez-vous, ce qui lui donne, comme disait Ilona Armand « un caractère familial ». Il s’agit d’Odette Roy Fombrun, de Franck Paul, Sabine Boisson, Clélie Aupont, Margaret Papillon, Marlène Étienne… Ils sont considérés comme les incontournables de la littérature pour la jeunesse haïtienne.
Au cours de la journée, trois auteurs, des habitués de la Fête du livre jeunesse ont écrit leur expérience, leurs attentes, leur perception de cette activité et ont présentées ces écrits au jeune public.
Parmi les nouveautés à ne pas rater, il y a une nouvelle aventure de l’âne de la ville de Léogane, Bénisoit champion vitesse et Tonton crocodile et les cinq macaques de Marlène Étienne. Clélie Aupont a aussi signé son dernier texte Garoulou ! premier titre d’une saga intitulée Les Aventures de Granmaman destinée aux enfants de 5 à 8 ans. Un nouveau type d’album-photo avec la série « Anna » a été présenté au public. La psychologue Marie Carmen Flambert Chéry a aussi présenté son conte initiatique Petit canard cherche famille .
Chaque année, traditionnellement, la journée commence par une présentation d’un personnage d’un livre des éditions Canapé Vert par les élèves du Collège Canapé Vert. Le plus souvent, les enfants choisissent Madame Roger dont tous les habitués de la fête connaissent la chanson et les aventures. Cette année, c’était au tour du conte de Marie-Carmel Lafontant.
Les auteurs utilisaient leur livre comme support pour emmener les enfants dans un long voyage imaginaire. Clélie Aupont a raconté l’histoire de Garoulou, une saga portugaise qu’elle a adaptée pour les enfants haïtiens. Des enfants musiciens et des conteurs adultes ont animé la cours du collège. Les enfants ont aimé les histoires de Daniel Marcelin,7 où le pouvoir de la voix se mêle aux histoires merveilleuses.
Les enfants écoutaient attentivement, ils « ont pénétré comme par enchantement dans le langage symbolique et ont suivi avec un intérêt passionné les joutes oratoires des moutons, des cabris et des bœufs dans l'arène politique. L'instant d'une écoute, ils ont appris les valeurs de tolérance, d'égalité devant la loi, la garantie des droits fondamentaux de la personne, l’importance d’élections libres et justes. Enfin, le peuple souverain, dans la liesse et les vivats, s'est exprimé dans Animal ville » , a écrit Claude Bernard Serant.8
D’autres activités étaient proposées aux enfants. Nathalie Adam qui gère «Agence magique », une entreprise d'éducation et de loisirs pour enfants, les a guidés dans son site riche en jeu vidéo. On a pu voir le petit Ronald perdu dans un match de football attaquer sur un terrain virtuel la partie adverse, Jenny jouer à un jeu de mémoire, d'autres enfants colorier ou concocter des recettes sur www.crayonjaune.com. Francesca et Naely, toutes deux âgées de 10 ans et habituées aux réseaux sociaux, s'impatientaient devant les ordinateurs. « Je ne suis pas venue pour jouer, mais plutôt pour aller sur Facebook », disait Francesca d’un ton impatient.
Les organisateurs ont exprimé leur joie quant à la réussite de la journée : Marlène Étienne, les cheveux argentés après des années d'écriture, signait sous la tente d'Éditha ses deux derniers ouvrages : « la maison Éditha m'a fait entrer dans une collection pour tout-petits. Ces nouveaux livres très imagés comportent peu de textes. Ils sont destinés aux enfants de trois ans. Voici Tonton crocodile et les cinq petits macaques, il a beaucoup de succès et cette année et Jean-Philippe, l’animateur, s'est surpassé ». « Le public s'est régalé en saines distractions. Et vous avez vu, la pluie ne nous a même pas dérangés », a lancé, avec un visage rempli de joie, Ilona Armand, la directrice d’Éditha.
Enfin, pour répéter un dicton né pour l’occasion, « Saynètes, déclamations, concours, contes et histoires, chansons et marionnettes; c'est tout cela la Fête du Livre jeunesse et plus encore, sous la grande tente de l'animation ».
Notes et références
Source : le site du Nouvelliste.
1. Écrivaine franco-ivoirienne. †
2. Chaque année, depuis 1994, les auteurs et éditeurs haïtiens (ceux qui vit là et ceux de la diaspora) rencontrent le public pour la présentation des nouveautés de la production littéraire haïtienne. C’est un rendez-vous que le public ne manque pas : signatures, animations, rencontres d’auteurs…†
3. Madame Franck Paul est auteure, éducatrice et éditrice de livres jeunesse.†
4. Éducatrice, auteure de livre pour la jeunesse.†
5. Après le séisme, plusieurs haïtiens ont perdu leurs proches et leurs maisons. Ils se sont regroupés dans des terrains abandonnés ou des places publiques. Certains avaient réussi à trouver des tentes pour se protéger de la pluie, du soleil… Bibliothèques sans frontières a créé des kits bibliothèques dans les camps. Voir aussi Takam Tikou. Juillet 2012 : La Boîte à Histoires, des bibliothèques portatives pour les enfants d’Haïti. †
6. Commune de Port-au-Prince, située dans le département de l’ouest. †
7. Comédien haïtien. Il a eu en 2012 le prix du meilleur comédien au festival international de théâtre du Bénin.†
8. Journaliste haïtien.†