« La lecture est un droit fondamental pour tous »
Entretien avec Wally de Doncker, Président d’IBBY
Wally de Doncker, auteur engagé, est un fervent défenseur du droit de chaque enfant au livre et à la lecture. Membre de l'Union internationale pour les livres de jeunesse (International Board on Books for Young People, IBBY) depuis 21 ans, il a fait partie du Comité exécutif de cet organisme de 2008 à 2012, et a assumé le rôle de vice-président de 2010 à 2012. Wally de Doncker a été élu Président d’IBBY au Congrès international de septembre 2014 au Mexique. Rencontre avec un militant d’IBBY.
Vous êtes membre d’IBBY Belgique (section flamande) depuis 21 ans. Pourquoi avez-vous adhéré à IBBY1 ?
J’ai adhéré à la section néerlandaise d’IBBY au moment où a débuté ma carrière d’auteur. Un peu plus tard, dès que la section flamande d’IBBY Belgique a été créée, j’y ai pris part en tant que membre du comité. À travers la lecture de revues professionnelles et la participation à des ateliers sur la littérature de jeunesse, je me suis vraiment intéressé à la promotion de la lecture. IBBY m’a appris que l’horizon s’étend au-delà des frontières de mon propre pays.
Vous semblez être fasciné par Jella Lepman2, la fondatrice d’IBBY…
La fondatrice d’IBBY, Jella Lepman, est une source d’inspiration pour moi. Elle était convaincue que les livres pouvaient être des passerelles de compréhension et de paix entre les peuples. Cette conviction profonde l’a amenée à créer IBBY, une organisation internationale dont le but est de favoriser, en tous lieux, l'accès des enfants à des lectures de réelle qualité littéraire et artistique. Elle a œuvré en ce sens car elle était convaincue que les enfants allemands qu’elle avait vus après la deuxième guerre mondiale n’avaient pas seulement besoin de nourriture, de médicaments, d’habits ou d’abris, mais aussi de livres. De bons livres, de la littérature de qualité et, surtout, des livres venus du monde entier.
Enfant, quel genre de lecteur étiez-vous ?
Je suis très attaché aux bibliothèques, car je suis devenu ce que je suis aujourd’hui grâce à la lecture. Les livres ont souvent élargi mes horizons et ont ouvert mon monde. Jusqu’à mon dixième anniversaire, notre village ne possédait même pas de bibliothèque. Malgré cela, ma faim de lectures était considérable. Ma mère m’achetait un nouveau roman chaque mois au kiosque à journaux. En classe, nous pouvions, une fois par mois, choisir un livre, l’emporter à la maison et le lire. Cependant, pour ceux qui dévorent les livres, deux livres par mois est une plaisanterie ! Tout a changé quand une petite bibliothèque a été bâtie dans mon village. J’avais 11 ans. Je pouvais enfin lire autant que je voulais ! Et ma faim était enfin assouvie. Je suis, encore aujourd’hui, reconnaissant envers le vieux bibliothécaire.
Mon histoire personnelle explique pourquoi je suis un fervent défenseur des bibliothèques publiques. La fermeture des bibliothèques pour des raisons de coupes budgétaires est pour moi une cause d’inquiétude profonde. En tant qu’organisation internationale, nous devons continuer à répéter que la lecture est un droit fondamental pour tous… IBBY doit continuer à défendre l’idée que tous les enfants ont le droit d’avoir accès à la grande littérature : les enfants de familles défavorisées, les enfants étrangers parlant des langues étrangères, les enfants réfugiés, les enfants handicapés, les enfants malades. Ceux qui ne peuvent pas lire sont exclus ; c’est une chose qu’IBBY ne peut accepter.
Vous êtes un auteur connu de livres pour enfants. Vous rencontrez vos lecteurs dans les écoles, les bibliothèques publiques, dans d’autres cadres... Est-ce qu’IBBY a une place dans votre univers d’auteur ?
Durant les rencontres, les enfants et les adultes réagissent vivement à mes livres. J’apprends beaucoup d’eux. Je rencontre un grand nombre de professionnels du livre pour la jeunesse dans leur environnement de travail. Je parle aux enseignants, aux bibliothécaires, aux promoteurs de la lecture, aux experts, à d’autres auteurs, aux illustrateurs… Un bibliothécaire m’a récemment dit que nous étions en train de créer une nouvelle élite ; il voulait dire que les enfants qui aiment lire et qui dévorent les livres peuvent le faire parce que leurs parents ont les moyens de leur acheter des livres.
Lorsque je rencontre les enfants, je leur parle aussi du travail d’IBBY et des difficultés des enfants de leur âge dans certains pays en voie de développement où il n’y a presque pas de livres. Parfois je les mets dans la situation qui serait la nôtre si cette rencontre se passait en Afghanistan. Je demande aux filles et aux enseignantes de sortir de la pièce, puisqu’il leur est interdit de lire, là-bas. Les enfants s’offusquent de cette requête. Je leur explique que l’interdiction de lire faite aux filles est une réalité dans différents pays. Je leur donne des douzaines d’exemples de l’action d’IBBY et ils sont très enthousiastes quant à sa mission. Cette mission internationale d’IBBY est une motivation pour tous.
Au cours de la cérémonie de clôture du Congrès d’IBBY à Mexico, en septembre 2014, vous avez affirmé : « L’un de nos objectifs est la lutte contre l’illettrisme. IBBY s’engage plus loin que la plupart des autres ONG qui se consacrent à la promotion de l’apprentissage de la lecture. IBBY veut promouvoir une culture de lecture et donner à chaque enfant l’opportunité de devenir un lecteur pour toute la vie, et cela n’est possible que si l’enfant prend plaisir à la lecture. Dans ce but, IBBY se focalise sur la littérature de jeunesse de qualité. » Quels sont les moyens dont dispose IBBY pour atteindre cet objectif ?
IBBY est la seule organisation internationale qui compte des personnes de toutes disciplines venant de 74 pays, qui œuvrent à rapprocher les enfants et les livres. Ce réseau suppose le partage de la connaissance, des ressources, de l’expertise et de l’amitié. Depuis la création d’IBBY, les textes, les illustrations et la publication de livres pour enfants de grande qualité se sont développés d’une façon extraordinaire ; l’expertise dans le domaine de la promotion de la lecture et de la bibliothérapie en direction des enfants en situation de crise s’est également développée. IBBY a joué un rôle de catalyseur dans cet épanouissement. Le travail d’IBBY est un travail de base. De grands arbres naissent de petites graines. Le travail du Banco del Libro au Vénézuela ou du Tamer Institute en Palestine ont commencé avec des graines IBBY. Les sections nationales de par le monde sont en train de croître, de se développer et de s’étendre grâce à la solidarité et au réseau de cette institution unique. Pour moi, en tant que Président nouvellement élu, c’est un privilège de coopérer avec des personnes du monde entier dans le cadre de la mission internationale d’IBBY.
Vous avez aussi affirmé : “Je veux faire en sorte qu’un large public se familiarise avec IBBY ». Comment comptez-vous procéder ?
Nous allons continuer des actions déjà en cours, comme les Newsletters de tous les continents, les pages Facebook, les sites Internet3… De nouvelles initiatives sont également prévues : travailler avec un plus grand nombre d’agences internationales de presse, assurer la présence d’IBBY lors des événements internationaux importants…
Quels seraient vos arguments pour convaincre nos lecteurs de créer une section nationale d’IBBY dans leur pays ?
La création d’une section nationale d’IBBY dans un pays est une occasion de rassembler les professionnels du livre pour la jeunesse et de les réunir dans un projet commun, autour d’une passion commune pour le livre de jeunesse et la lecture. Une section nationale fédère les forces dans le domaine de la littérature pour la jeunesse dans un pays. De plus, l’existence d’une section nationale d’IBBY dans un pays, avec ce que cela implique en termes de solidarité internationale, de renforcement des capacités, d’accès à des livres de son propre pays ou d’ailleurs au monde, de bonnes pratiques bibliothéconomiques, de publications de qualité au niveau local, d’une collaboration avec des groupes de professionnels dans une ambiance internationale… tout cela donne une nouvelle énergie, un nouvel élan aux acteurs du livre de jeunesse dans un pays. Si nous ne travaillons qu’à l’intérieur de nos propres frontières, nous finirons par nous asphyxier. On peut comparer IBBY à une grande famille. Beaucoup de personnes sont très motivées par la mission positive de la structure. Et pour certains pays qui sont dans la tourmente, il peut être important d’avoir un regard international posé sur eux, notamment en ce qui concerne les droits de l’enfant, et IBBY joue parfois ce rôle.
Qu’avez-vous à cœur de défendre, comme Président d’IBBY?
Au cours de l’Assemblée générale précédente, à Londres, en août 2012, nous avons approuvé l’ajout de la mention,dans les statuts d’IBBY, de notre adhésion formelle aux principes de la Convention internationale des Droits de l’enfant telle que ratifiée par les Nations Unies en 1990. Nous avons donc l’obligation de défendre ces droits.
Il est inacceptable qu’il y ait encore des pays dans lesquels il est interdit aux filles de lire ou même d’apprendre à lire. Il est inacceptable que certains pays puissent détruire impunément des bibliothèques pour enfants. Il est aussi inacceptable qu’un grand nombre d’enfants n’aient pas un niveau de lecture adéquat à la fin de l’école primaire. Il est également inacceptable que des bibliothèques pour enfants soient fermées pour des raisons budgétaires, rendant ainsi les livres inaccessibles aux enfants de familles défavorisés. Chaque enfant a le droit de lire.
Je voudrais aussi encourager les sections d’IBBY à travailler au-delà des frontières. Avec la crise économique, nous sommes souvent tentés d’essayer de régler nos problèmes seuls, nous sommes trop fiers pour demander de l’aide. La coopération à un niveau régional peut aussi nous aider à introduire des changements et à recevoir des propositions de soutien. IBBY nous offre de multiples occasions de travailler ensemble.
Je voudrais également encourager les sections d’IBBY à continuer à s’investir dans la promotion de la lecture et à mettre en place des projets innovants. Des projets comme la bibliothèque d’IBBY à Lampedusa, créée par IBBY Italie, les bibliothèques à motocyclettes d’Indonésie, et le projet "O Mundo" d’IBBY Belgique (section flamande), sont des exemples de ce qu’IBBY est capable d’accomplir. Chaque section d’IBBY a ce potentiel.
Si, suite à tous ces efforts, plus d’enfants au monde deviennent lecteurs, je serais un président très heureux !
Notes et références
1. IBBY est une organisation à but non lucratif formant un réseau international de personnes qui, dans le monde entier, cherchent à favoriser la rencontre des enfants et des livres. †
2. Née à Stuttgart, Jella Lepman fuit l’Allemagne nazie en 1936 et s’installe à Londres. Elle rentre en Allemagne en 1945 comme consultante pour l’Armée américaine afin de mettre en place des programmes éducatifs pour les jeunes allemands. Convaincue qu’il faut apprendre aux enfants la tolérance, le pacifisme, le respect d’autrui et l’ouverture d’esprit à travers les livres du monde entier, elle organise la première exposition internationale du livre pour enfants en 1946. Le fonds de cette exposition donnera naissance à la bibliothèque internationale pour enfants en 1949. La conférence dédiée à « la compréhension internationale à travers le livre pour enfants », durant laquelle IBBY (International Board on Books for Young People) sera créée, aura lieu en 1953. Aujourd’hui, IBBY compte 74 sections nationales dans le monde. †
3. Voir par exemple la page Facebook d’IBBY ou le site d’IBBY. †
Pour aller plus loin
Biographie :
Wally de Doncker a été un enseignant dans une école de Dendermonde, en Belgique, jusqu'en 2001, année où il a décidé de se consacrer à l'écriture de livres pour enfants à plein temps. Ces livres ont été traduits dans treize pays. Il a donné des cours de littérature pour la jeunesse et a mis en place une méthode d'apprentissage de la lecture pour les enfants intitulée Leesdraak (Le Dragon qui lit), qui est utilisé dans plus de deux cents écoles. Les livres de Wally de Doncker ont fait l'objet de nombreuses nominations et sélections. Pour en savoir plus, lire la page dédiée au Président d'IBBY 2014-2016.
Titre de l'auteur traduit en français :
- Wally de Doncker, ill. Gerda Dendooven, trad. du néerlandais par Séverine Lebrun et Christian Bruel, Vivre sans moi, je ne peux pas (titre original : Ik mis me). Paris : Éd. Être, 2003
Articles et sites :
- Le site de Wally de Doncker. [Consulté le 21.11.2014]
- Le discours de clôture, prononcé par Waly de Doncker au Congrès d’IBBY à Mexico, en septembre 2014. [Consulté le 21.11.2014]
- "I consider the art of reading as something much broader than just reading a book. Dramatizations, screen versions, lyrics, dancing, sports – every approach to literature can be used to get children to read." – Wally de Donker, Belgium. Article paru dans dailyedventures, Anthony Salcito’s 365-day look at global heroes in education. [Consulté le 21.11.2014]
- "Children own the right to be able to read. In Afghanistan, for instance, reading is often prohibited for girls."- Belgium. Article paru dans dailyedventures, Anthony Salcito’s 365-day look at global heroes in education. [Consulté le 21.11.2014]
- The Hans Christian Andersen Awards, IBBY, Frankfurt Book Fair, 11 October 2012. [Consulté le 21.11.2014]
- Vivre sans moi, je ne peux pas. Un article de Nicolas Go, publié dans Les Actes de lecture n° 99, septembre 2007. [Consulté le 21.11.2014]