Des romans policiers pour les plus jeunes : rencontre avec Delphine-Laure Thiriet

Propos recueillis par Corinne Bouquin, BnF - CNLJ
Delphine-Laure Thiriet

Professeure de Lettres, Delphine - Laure Thiriet a beaucoup voyagé de par le monde. Aujourd'hui elle a posé ses bagages en Corse et peut se consacrer davantage à l'écriture. Après des débuts dans la publication d'albums pour les plus jeunes, elle nous a enchantés avec deux romans policiers pour les plus grands aux éditions Caraïbédtions dans une nouvelle collection prometteuse. C'est l'occasion de nous entretenir avec elle pour mieux connaître son travail.

Peut-être une première question pour mieux vous connaître, d'où êtes-vous originaire ? Et pourquoi écrivez-vous ?

Je suis née dans le Pas-de-Calais, où j'ai passé ma jeunesse et mon adolescence. Après mon bac, je suis partie à Parisfaire mes études supérieures. J'ai ensuite beaucoup voyagé, sur les cinq continents. J'ai vécu six ans aux Antilles, deux en Chine et je vis en Corse actuellement.

J'ai toujours voulu écrire. C'est ce que je notais au collège, sur ma petite fiche au début de l'année scolaire, pour la profession envisagée : « écrire des livres pour les enfants ». J'ai mis un peu de temps à y venir parce que je me suis consacrée à mes études, à mon métier de professeure, à mes enfants. J'ai commencé l'écriture depuis quelques années seulement, mais c'est vraiment quelque chose qui était là, qui couvait. J'écris donc parce que j'ai ça en moi, que j'aime ça, que ça m'est devenu nécessaire, comme lire. Ensuite, j'écris parce que les livres et les enfants, finalement, c'est toute ma vie ! Professeure de français parce que j’aime les livres et les enfants. Auteure de littérature jeunesse, pour les mêmes raisons. Mon premier métier nourrit le second, et inversement. J’aime travailler au contact d’ados et les faire lire est une grande satisfaction. La littérature jeunesseme semble très importante pour les accompagner sur les chemins de l'enfance et de l'adolescence.

Quelles sont vos motivations pour publier pour les jeunes : donner du plaisir de lecture à tous ? Ou un moyen de parler d’histoire, de faits de société, de sujets tabous ?

Je pense qu'il faut avoir des piliers dans la vie et que la littérature peut en être un solide. Des élèves qui n'aiment pas lire, j'en ai eu, et je ne pouvais pas leur dire qu'ils en seraient malheureux, bien sûr. En revanche, je pense sincèrement qu'ils seraient plus heureux s'ils lisaient, que les livres peuvent être de très bons amis, qu'ils accompagnent, qu'ils aident parfois, qu'ils consolent, qu'ils réconcilient, qu'ils expliquent, qu'ils font ressentir des émotions, rire ou pleurer ou les deux, qu'ils font se sentir vivants, qu'ils enrichissent tout simplement. Je pense que c'est dans cette optique-là que j'écris : pour accompagner les jeunes lecteurs. Je veux les transporter le temps de la lecture, les accompagner ensuite, leur montrer qu'on peut rire, avoir peur, être triste, qu'il y a de la place pour tout, qu'on en ressort grandi. L'histoire ou les faits de société pourraient m'intéresser. En réalité, tout m'intéresse. Je considère spontanément des sujets comme tabous parce que je suis prof ! Je ne donnerais pas tout à lire à mes élèves, alors que je donne bien plus à lire à mes propres enfants... J'évolue beaucoup dans mon rapport à l'écriture, j’en viendrai peut-être à travailler sur des sujets très graves, mais je n'en ai pas l'envie pour l'instant.

Vous avez d’abord publié des histoires pour les plus jeunes aux éditions Plume Verte, comment vous situez-vous par rapport au public des adolescents ?

J'ai écrit pour les enfants de 3 à 12 ans pour l'instant. J'ai effectivement beaucoup d'ouvrages pour les petits : des albums, une première encyclopédie, un livre-puzzle, des livrets d'activités pour les maternelles. J'ai publié des livres pour des enfants un peu plus grands : d'autres albums, des documentaires, une pièce de théâtre, de la poésie, un conte, une BD et des romans. Et pour les encore plus grands, j'ai des manuels scolaires, et ce jusqu'en Première. Pour les écritures non-scolaires, j'ai, sans m'en rendre compte, suivi l'âge de mes fils. Désormais, je me consacre plus aux enfants qui lisent déjà et j'ai des manuscrits que je dois retravailler pour des ados à partir de 13 ans. Oui, je grandis en âge, comme mes propres enfants ! J'ai maintenant surtout des envies de longues écritures, de romans ou de BD.

Les aventures des RAID aux éditions Caraïbéditions

 

Aujourd’hui vous publiez pour les plus grands, comment le roman policier s’est-il imposé à vous ?  Un choix ? Une passion ?

C'est la première fois que j’écris un texte policier. De mon expérience de professeure, c’est un type de roman qui plaît aux enfants. Je trouvais intéressant d’en écrire un qui se passe aux Antilles car il n'y en avait pas. Je me suis tournée vers Caraïbéditions pour proposer le projet : une maison d'édition antillaise qui fait des polars pour les adultes et qui a un secteur jeunesse. Mon éditeur a tout de suite été intéressé car une demande existe de la part des libraires pour ce type d'ouvrage. C'est donc plus un choix, même si c'est un genre que je lis beaucoup en jeunesse, et un peu en adulte. Disons que le livre en général est ma passion, sans qu'un type d'ouvrage prédomine, et que je suis du genre à toucher à tout !

La montagne Pelée au nord de la Martinique

Comment se construisent vos projets ? Comment se déroule le travail préparatoire ?

Je peux avoir des projets motivés par des appels à textes, des commandes ou des envies personnelles. Pour les RAID (acronyme avec les premières lettres des prénoms des jeunes héros de la série), je discute d'abord avec mon éditeur pour déterminer le thème et le lieu où l'histoire prendra place. Je travaille dans un premier temps sur un cahier que je remplirai entièrement. Pour Les Bokits de Jo l'Antillais, j'ai contacté un gendarme qui avait travaillé en Guadeloupe plusieurs années pour discuter avec lui de son expérience et du jargon du métier. Pour le tome 2, Le Papillon pétrifié, j'ai fait beaucoup de recherches sur l'éruption de la Montagne Pelée. Je compile donc dans ce cahier mes notes. Je connais très bien les Antilles mais je vais tout de même chercher des informations parce que j'aime la justesse. J'ai des amis en Guadeloupe, en Martinique, qui peuvent me renseigner ou confirmer ce que j'ai en tête si je ne suis pas sur place. Pour le tome 3, je regarde des reportages de de la chaîne de télévision Guadeloupe 1ère, par exemple, sur le sujet qui m'intéresse. Il y a donc un vrai travail préparatoire qui se fera aussi au fil de l'écriture au besoin. Dans mon cahier, je fais également le synopsis, plusieurs fois. Et il s'agit d'un polar, donc je fais des tableaux : ce que savent les enfants, ce que savent les adultes etc., ou un calendrier avec ce qui se passe chaque jour.  C'est très pointilleux, pour gérer les indices, les fausses pistes... J'écris tout ce à quoi je pense. Mais très vite, je me mets à écrire sur l'ordinateur parce que ce sont les personnages qui font l'histoire. Je peux avoir prévu des choses, souvent les personnages n'en font qu'à leur tête et quand j'écris, je change ce qui était pensé au préalable parce que dans l'action ou dans les dialogues, ça ne va pas, c'est ainsi et pas autrement. J'ai l'impression que les RAID vraiment construisent l'histoire et leurs rapports et que je ne fais qu'écrire ce qu'ils me dictent. Ce sont mes personnages qui au fil d'un dialogue ont trouvé le surnom des RAID, idem pour le prénom de Roman qui est venu en écrivant, et la grand-tante Aglaé, dans le tome 2, ne devait pas du tout avoir le caractère qu'elle a finalement, mais voilà : Roman en a décidé autrement quand je l'ai laissé parler. Je fais énormément de relectures, je n'hésite pas à réécrire si je trouve que le ton n'est pas juste. Cela prend plusieurs mois, d'autant plus que j'ai besoin, quand j'écris, de regarder par la fenêtre, de sentir passer le temps, de laisser venir les mots.

Pouvez-vous nous en dire plus sur cette collection des enquêtes des RAID ?

C'est une collection de polars pour les lecteurs se situant dans la tranche d'âge que l'on appelle communément 8-12. Il s'agit d'enquêtes qui prennent place dans les Antilles, menées par quatre enfants : Roman, Anatole, Indya et Domitille. Ils ont des caractères très différents, forment une belle équipe et ont de la ressource, ce qui leur permet de se sortir des situations périlleuses dans lesquelles ils tombent. Il y a en parallèle des histoires « personnelles » : Roman boîte, on apprend dans le tome 2 pourquoi ; Dom a perdu sa mère et c'est un sujet tabou avec son père. On en apprendra un peu plus à chaque tome. Il y a des mystères, des secrets, du suspens et de l'angoisse, de vraies situations critiques, des personnages blessés, des doutes, des trahisons, de l'humour, de l'amitié, parfois peut-être de l'amour... On entre dans les pensées de certains personnages, j'aime beaucoup employer le discours indirect libre. Mon narrateur a un ton très libre, il raconte et commente parfois. J'ai beaucoup de tendresse pour mes personnages, les RAID, et aussi ceux qui apparaissent selon l'histoire, Jo, Orson, Nelly, la grand-tante Aglaé... Les deux premiers tomes sont différents. Le premier se passe en Guadeloupe, le second en Martinique. Dans le premier, les enfants mènent une enquête sur des cambriolages, parallèlement au travail mené par la police, sur fond d'évasion d'un dangereux détenu. Dans le second, c'est un vol ayant eu lieu en 1902, peu avant l'éruption de la Montagne Pelée, qui les intéresse, eux et d'autres mystérieux personnages. Ce vol est lié à l'histoire familiale de Roman. Il y a une certaine urgence à mettre la main sur le papillon, ce fameux bijou inestimable, et les indices, les suspects se multiplient. L'histoire rebondit plusieurs fois. Et toujours, les apparences sont trompeuses. Dans chaque tome, il y a un extrait d'une comptine antillaise et une chanson est évoquée à la fin. Et chaque livre commence par un extrait que l'on retrouvera plus tard en lisant : un passage bien angoissant !

Les sentiers de la Maison de la forêt
(Guadeloupe)

Le ton des romans est léger avec beaucoup d’humour tout en abordant des thèmes forts et qui touchent directement les jeunes : la différence de l’autre, le patrimoine, l’Histoire... Comment choisissez-vous les thémes ?

J'essaie d'équilibrer tout ça ! Au fondement des RAID, il y a deux choses : des enquêtes (donc de l'aventure, du danger, du suspens...) et de l'amitié. L'humour, c'est très important pour moi. J'aurais pu raconter les mêmes choses sans y mettre un brin d'humour, mais pourquoi s'en priver quand c'est possible ? Et dans la vie, c'est pareil. Tout ne porte pas à sourire, mais si c'est possible, allons-y ! En tant que lectrice, j'adore les livres qui mêlent le tragique au burlesque, la tristesse au sourire. C'est très humain. Pour ce qui est de la différence, je n'écris pas un roman sur le handicap mais je parle volontiers de handicaps en les intégrant à mes récits, au quotidien des personnages. Roman est effectivement boiteux et les parents de Nelly, dans Le Papillon pétrifié, sont sourds. C'est en Guadeloupe que j'ai pris des cours de Langue des signes français. Les enfants sont naturellement tolérants, faisons en sorte qu'ils le restent en évoquant les différences qui n'en sont pas. Enfin, si je situe mes romans aux Antilles, c'est que j'ai vraiment envie de parler de ces îles, avec leurs spécificités, leur histoire, leurs spécialités. Les enfants de métropole découvriront les Caraïbes et les enfants antillais auront des histoires policières ancrées dans leur région. Et je parle de vécu. J'évoque une liane particulière sur un des chemins à la Maison de la forêt en Guadeloupe : elle existe. Tout ce qui concerne l'éruption de la Montagne Pelée est également véridique. Donc effectivement, le roman brasse pas mal de choses, mais ça se fait naturellement une fois que le narrateur, qui porte l'humour, est en place.

Participez-vous à des salons ou des manifestations spécialisées ?

Oui, dès que je le peux et avec grand plaisir. Je suis déjà allée au Salon du livre de Paris, au Salon de Cayenne et mon tout premier salon était en Guadeloupe, à Baie-Mahault. En novembre 2019, grâce à Caraïbéditions, je suis allée à Marie-Galante pour une séance de dédicaces en compagnie d'autres auteurs de la maison. C'était une très belle manifestation littéraire.

 

Jeune lectrice au Thé penseur
(Guadeloupe)

L’animation auprès des enfants a-t-elle une grande importance ?

Oui, je pense que c'est important de rencontrer les jeunes lecteurs, d'aller vers eux avec des livres, de leur apporter la lecture et de leur montrer qu'un auteur est une personne avec qui l'on peut échanger. Quand je vivais en Chine, j'ai chapeauté l'écriture d'un album réalisé par de jeunes élèves du lycée français et des élèves chinois. Je suis allée à plusieurs reprises dans l'école chinoise, c'était très intéressant et les enfants étaient ravis. Dernièrement, je suis allée à Marie-Galante rencontrer des élèves du CP au CM2 pour leur parler du métier d'auteur. Cela m'apporte beaucoup d'échanger avec les jeunes lecteurs, d'autant plus que c'est un métier assez solitaire que d'écrire. Alors, quand je peux rencontrer des enfants et avoir des retours, c'est stimulant !

     

 Avez-vous d’autres projets en cours ?

 Toujours ! Je finis juste deux documentaires animaliers pour Grenouille Éditions. J'ai deux projets qui sont désormais aux mains des illustratrices : la suite de ma BD Lili et Colin avec Alex-Imé aux pinceaux et un album. J'écris la suite des RAID, le tome 3, pour Caraïbéditions. J'ai aussi pour cette maison un gros projet d'écriture dont je ne peux dire plus pour l'instant, qui concerne les Antilles et l'outre-mer. Tout cela va m'occuper un certain temps, pour mon plus grand plaisir. Et je retourne bientôt aux Antilles, grâce à Caraïbéditions toujours !

 

 Avez-vous envie d’écrire dans d’autres genres,  ou même pour d’autres publics, les adultes par exemple ?

J'ai déjà écrit dans tous les genres : poésie, théâtre, récit, conte, roman, BD, documentaire. J'ai aussi participé à plusieurs manuels scolaires pour Hachette, réalisé des fiches pédagogiques pour Thierry Magnier, écrit dans la revue L'École des Lettres ou sur leur blog. La jeunesse m'intéresse toujours, l'adolescence plus que jamais. J'écrirai sûrement un jour un roman pour adultes, mais les projets mûrissent longtemps en moi. J'ai beaucoup d'écritures prévues sur les Antilles avec Caraïbéditions et j'en suis ravie. J'aurai aussi quelque chose à écrire sur la Chine où j'ai vécu deux ans, sur la Corse où je vis actuellement, sur le Nord où je suis née. Pour ce qui est des thèmes, tout, vraiment, m'intéresse. Je peux écrire sur tout. Les thèmes que j'explorerai sûrement un jour sont : le rapport au temps, à l'Histoire, à la mémoire ; la solitude ; la science-fiction, entre autres. J'apprécie aussi les romans de cape et d'épée. Et j'aime beaucoup faire rire...

 



Pour aller plus loin

Créé en 200 par Florent Charbonnier, Caraïbédtions poursuit un travail éditorial en direction du public adulte mais aussi jeunesse. Bien connu pour le succès du Gang des antillais d'Éric Léry, l'éditeur lance une nouvelle collection pour adolescents: Polar Ado qui vient compléter son catalogue déjà bien fourni pour les jeunes.

Caraïbédtions - Florent Charbonnier
Éditeur Guadeloupe - Martinique - Guyane
0690 12 12 12 / 07 60 24 48 96
https://www.caraibeditions.fr/

Bibliographie
Pour découvrir l'ensemble des publications de Delphine-Laure Thiriet, n'hésitez pas à vous reporter à la biblographie proposée par le Centre national de littérature pour la jeunesse:

/sites/default/files/d6/CNLJ%20-%20Bibliographie%20-%20Delphine-Laure%20Thiriet.pdf


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