L’Afrique à la Foire du Livre de Göteborg
La Foire du livre de Göteborg (Suède) – la plus importante de Scandinavie – mettait, cette année, l’Afrique à l’honneur, avec un programme très riche en rencontres et débats, dont pas moins de 44 consacrés à la littérature de jeunesse. Véronique Tadjo, auteur phare de la littérature africaine, pour la jeunesse comme pour les adultes, était l’invitée de la Foire. Elle offre aux lecteurs de Takam Tikou sa vision et son analyse de cet événement, l’occasion pour elle d’aborder, à travers l’expérience de cette Foire, des questions de fond autour de la littérature africaine de jeunesse.
La Foire du Livre de Göteborg, qui s’est tenue en Suède du 23 au 26 septembre 2010, a été une belle occasion de rencontres. L’Afrique étant à l’honneur cette année, 70 auteurs venus de 28 pays africains se sont mêlés aux autres participants internationaux et suédois. La présence de Nadine Gordimer1, Nuruddin Farah2, Ngugi wa Thiong’o3, du côté des anglophones ; de Nawal El Saadawi4, Tahar Ben Jelloun5, Alain Mabanckou6 et Boris Boubacar Boris Diop7, du côté des francophones ; ainsi que de Mia Couto8 et Ondjaki9, du côté des lusophones, a été très remarquée. Au total, près de 800 invités pour 446 entretiens, tables rondes et séminaires, qui se sont, pour la plupart, déroulés en anglais.
Un événement véritablement grand public
La Foire du Livre de Göteborg a pour particularité d’être destinée en priorité au grand public, aux libraires et aux enseignants. Si, dans l’agencement des stands et des différents niveaux, elle ressemble aux Salons du livre de Francfort ou de Paris, dans son objectif, elle est différente et se rapproche plutôt d’un festival littéraire. Les gens viennent pour écouter les écrivains qu’ils connaissent déjà et pour en découvrir d’autres. Ils regardent les photos, lisent les quatrièmes de couverture, achètent des livres et repartent avec des sacs pleins. Des familles entières se déplacent et on voit beaucoup plus d’enfants que dans les autres Foires. En effet, chaque année, toute une section est réservée aux livres pour la jeunesse. Une production très riche. Cette fois-ci, un espace Afrique, « Barn Afrika 2010 », a accueilli les petits lecteurs. Ceux-ci ont écouté des contes et fait des dessins inspirés par les albums. De grandes feuilles blanches, des pots de peintures, des pinceaux et hop, des chefs-d’œuvre en herbe sont nés sous nos yeux ! Les estimations portent à 100 000 le nombre de visiteurs.
Le choix de l’Afrique
Les années précédentes, les organisateurs avaient mis l’accent sur un pays particulier comme l’Espagne ou l’Estonie. Mais en choisissant tout le continent africain en 2010, la Foire s’est donné un objectif ambitieux, que certains ont jugé irréalisable. En effet, comment parler d’une Afrique unique ? De l’Afrique de l’Ouest au Maghreb, en passant par l’Afrique du Sud, les réalités sont très différentes et se reflètent dans la diversité des littératures. On parle désormais des Afriques, multiples et plurielles. Cependant, le choix de la Foire de Göteborg peut s’expliquer par plusieurs facteurs. Tout d’abord, le désir de « présenter » l’Afrique au public suédois en lui donnant la possibilité d’identifier immédiatement l’aire géographique, quitte à forcer le message. Ensuite, un autre aspect est sans doute entré en ligne de compte : le constat qu’en termes de production littéraire, l’Afrique, dans son ensemble, reste encore très loin derrière les nations occidentales. Voyez, par exemple, la situation en Suède. La langue du pays n’est parlée qu’à l’intérieur des frontières, mais le nombre d’ouvrages publiés chaque année ferait tourner la tête à n’importe quel éditeur africain. L’industrie du livre est basée sur une habitude de lecture très solide et sur une politique de traduction poussée. Les Suédois traduisent beaucoup dans leur langue, ce qui demande des budgets importants. Il faut donc voir la Foire du Livre de Göteborg 2010 comme une ouverture, une initiation aux littératures du continent africain.
Des initiatives suédoises dont s’inspirer en Afrique ?
Books for all
Ce qui est fascinant en ce qui concerne le livre en Suède, ce sont les initiatives qui voient le jour pour répondre à des problèmes spécifiques. C’est le cas de « Books For All ». Devant la récession économique et la cherté de la vie, un éditeur a eu l’idée de négocier le rachat à bon marché des droits de reproduction de certains livres issus du domaine classique ou dont les ventes ont baissé. Ainsi, il peut offrir, à des prix beaucoup moins élevés que ceux que l’on trouve dans les librairies, tout un catalogue de qualité. C’est aussi une volonté affirmée de considérer le livre comme un droit et non comme un luxe. Jusqu’à présent, le gouvernement suédois a apporté son soutien grâce à des subventions, mais la situation change avec la récession économique. En effet, le pays a lui aussi été touché. C’est donc une bataille constante. Et pourtant, rien n’est plus satisfaisant que de voir des personnes âgées et des gens qui ont peu de moyens parvenir tout de même à se procurer des livres. Pourquoi ne pas imiter un tel modèle en Afrique quand on sait que le prix des livres est généralement au-dessus du pouvoir d’achat de la majorité de la population ?
Livres bilingues
Une autre initiative remarquable est celle de l’édition bilingue qui se destine au milieu scolaire où l’on trouve de plus en plus d’enfants issus d’horizons culturels différents. Les ouvrages sont publiés en suédois et dans l’une des langues les plus parlées au sein de la population immigrante. Après avoir longtemps été isolés de par leur situation géographique, les pays scandinaves sont eux aussi confrontés à la question de l’immigration. Une dame suédoise qui tenait un stand à la section enfants de la Foire m’a montré, très fièrement, un « stylo magique » se vendant avec des livres bilingues. On appuie la pointe du stylo sur la langue étrangère et une voix reconnaît le texte et le lit tout haut. Ainsi, les enfants qui ne savent pas lire dans la langue de leurs parents peuvent quand même l’entendre et s’habituer à ses intonations. Magnifique, non ?
Que dire de ce pays qui, non seulement, fait tout pour garder sa langue nationale bien vivante, mais qui est prêt également à explorer de nouvelles avenues linguistiques ? Nous devrions nous en inspirer. C’est un fait qui n’a plus besoin d’être démontré : les enfants réussissent mieux dans leurs études s’ils commencent dès le plus jeune âge à être éduqués dans leur langue maternelle. Malheureusement, en Afrique, nos langues sont délaissées et, trop souvent, ne sont pas intégrées dans l’enseignement. Cela a des conséquences néfastes sur la qualité des systèmes scolaires.
Jeux et gadgets
Ce qui m’a frappée également, c’est le nombre de jouets et de gadgets liés au livre. Souvent à but éducatif, ceux-ci sont attrayants, mais servent essentiellement à continuer la lecture et à stimuler l’imagination des enfants. Les personnages fictifs entrent dans la vie quotidienne et prennent plus d’importance que s’ils étaient prisonniers de la page. Et ce n’est pas tout : posséder un globe terrestre ou une image en trois dimensions de la terre, par exemple, c’est un encouragement à en savoir plus et à s’engager dans la découverte de son environnement.
Une offre pléthorique et l’appel de nouveaux horizons
En Suède, comme dans la majorité des pays occidentaux, les difficultés ne viennent pas d’une pénurie de livres, mais au contraire, d’une surabondance d’ouvrages sur le marché. Que lire ? Que choisir ? Les lecteurs potentiels ont parfois du mal à s’y retrouver. Entre la littérature « populaire/ commerciale » (low literature) et la littérature dite « sérieuse » (high literature) dont les thèmes ou l’écriture ne sont pas toujours faciles, c’est un peu le dilemme. Ces questions sont devenues des sujets de préoccupation, car avec la commercialisation à outrance de la littérature, un nombre croissant de personnes se sent aliéné par un système qui ne laisse plus véritablement de choix aux lecteurs. Ce sont les grands éditeurs qui ont tendance à décider de ce qui doit être lu ou pas. Ils lancent les auteurs dont les titres ont des chances de devenir des best-sellers. Ensuite, les libraires, pour les mêmes raisons commerciales et face à une production très importante, réservent la devanture de leurs magasins et leurs étagères aux ouvrages qui se vendent bien. Le danger, c’est qu’ils n’accordent plus qu’une attention limitée aux autres parutions qui sont alors peu visibles ou vite retirées du circuit de distribution. C’est pourquoi un certain nombre de « petits » éditeurs suédois se sont regroupés au sein d’une alliance. Ensemble, ils essaient de faire face au monopole des grandes maisons. Ils allient leurs forces éditoriales et assurent à plusieurs les lancements de leurs livres.
Comme l’a montré la Foire de Göteborg, les Suédois sont attirés par les « autres » littératures, celles venues d’ailleurs. Une jeune journaliste suédoise, m’a expliqué que les gens désiraient autre chose aujourd’hui. Il existe une littérature pour la jeunesse prestigieuse avec de grands auteurs et illustrateurs, et le Prix Astrid Lindgren récompense chaque année un auteur du monde entier.Cependant, ils aimeraient aller plus encore à la découverte d’autres réalités, d’autres imaginaires : comment vivent les enfants en Afrique, à quoi jouent-ils, quels sont les personnages de leurs contes, leurs héros ? Une chose semble certaine, les livres pour la jeunesse parviennent à réussir là où le roman africain, par exemple, peine encore : montrer une image positive du continent africain. À travers ses thèmes, couleurs et formes, la littérature pour la jeunesse ne peut plus être reléguée au statut de sous-littérature. La variété des approches est aujourd’hui un gage de maturité croissante. Citons pour preuve l’album magnifiquement illustré par Christian Epanya du Cameroun, Le Voyage de l’empereur Kankou Moussa10, un récit historique ; L’Appel de Sosu (Sosu’s Call)11 de Meshack Ashare du Ghana, l’histoire d’un enfant handicapé qui sauve son village ; Un arbre pour Lollie12,le livre de Fatou Keita de Côte d’Ivoire qui traite d’un sujet difficile, celui du Sida ; ou même Makwelane and the crocodile (Makwelane and the crocodil)13 de Piet Grobler, d’Afrique du Sud, qui a remporté, pendant la Foire, le Prix Peter Pan décerné par la section IBBY de Suède.
Parce que la littérature pour la jeunesse en Afrique reste un genre en émergence, elle bénéficie d'une grande liberté de création et de nombreuses possibilités lui sont offertes. Les éditeurs Africains seront-ils au rendez-vous ? De leur côté, les auteurs et illustrateurs affinent leur art au fil des années. S'ils savent trouver le juste milieu et rester à l'écoute de leurs jeunes lecteurs, l'avenir s'annoncera chaleureux et coloré.
Notes et références
(1) Nadine Gordimer (Afrique du sud, 1923). Prix Nobel de littérature en 1991, militante contre l’Apartheid. Son œuvre – romans, nouvelles, essais, critique –, écrite en anglais, est traduite en français.†
(2) Nuruddin Farah (Somalie, 1945). Romancier, dramaturge, essayiste, en anglais et en somali, il a dû fuir la Somalie et a vécu dans de nombreux pays. Traduit en français.†
(3) Ngugui wa Thiong’o (Kenya, 1938). Romancier (en kikuyu et en anglais), universitaire, théoricien de la littérature post-coloniale. Exilé depuis 1982, en Grande Bretagne puis aux États-Unis. Il a écrit trois livres pour enfants : Njamba Nene and the Flying Bus (Njamba Nene na Mbaathi i Mathagu), 1986, Njamba Nene and the Cruel Chief (Njamba Nene na Chibu King'ang'i), 1988, et Njamba Nene's Pistol (Bathitoora ya Njamba Nene), 1990.†
(4) Nawal El Saadawi (Égypte, 1931). Romancière, nouvelliste, essayiste, médecin psychiatre, engagée en faveur de la cause des femmes.†
(5) Tahar Ben Jelloun (Maroc, 1944). Romancier, essayiste, poète, il a écrit pour les enfants Le Racisme expliqué à ma fille (Seuil, 1998), best-seller traduit en 33 langues. Il réside en France depuis 1971.†
(6) Alain Mabanckou (Congo, 1966). Romancier, poète, universitaire, il a écrit deux nouvelles pour les jeunes : L’Enterrement de ma mère (Kaleidoscope, 2000) et Ma sœur étoile (in Enfances, Tropiques, 2006 et Pocket, 2008. Récit repris en album, illustré par Judith Gueyfier, Seuil, 2010).†
(7) Boubacar Boris Diop (Sénégal, 1946). Romancier, essayiste, dramaturge, scénariste, il écrit en français et en wolof.†
(8) Mia Couto (Mozambique, 1955). Poète, romancier – et aussi biologiste –, il a également écrit pour les enfants O Gato e o Escuro, 2001 (Le Chat et le noir, Chandeigne, 2003) et O Beijo da Palavrinha, 2008.†
(9) Ondjaki (Angola, 1977). Romancier, poète – mais aussi peintre et comédien –, il a écrit plusieurs livres pour enfants dont, traduits en français par Dominique Nédellec, Bonjour camarades et Ceux de ma rue, La Joie de lire, 2004 et 2007.†
(10) Paris : Le Sorbier, 2010. Voir sa présentation dans la Bibliographie Afrique.†
(11) Accra : Sub-Saharan Publishers, 2002. Traduction en français de Fatou Keïta.†
(12) Abidjan : Nouvelles Éditions Ivoiriennes, 2005.†
(13) Maria Hendricks et Piet Grobler. Cape Town : Human & Rousseau, 2004.†
Pour aller plus loin
Des auteurs, des illustrateurs et des éditeurs jeunesse (dont on peut voir de belles photos) sont venus des pays africains anglophones, francophones et lusophones. Les rencontres et autres événements étaient organisés par « The Secret Garden », un réseau pour la promotion en Suède de la littérature de jeunesse d’Afrique, d’Asie, d’Amérique Latine et du Moyen Orient, en collaboration avec divers organismes suédois. Le pré-programme est en ligne : http://www.bok-bibliotek.se/Global/2010/BoB_2010_eng_sempro_small.pdf
Un ouvrage très illustré a été publié à cette occasion, Der hemliga trädgarten - Afrika (Le Jardin secret - Afrique), réunissant des articles, des portraits d’auteurs et d’illustrateurs – avec pour les francophones : Véronique Tadjo, Dominique Mwankumi, Fatou Keïta, Christian Kingue Epanya, Ousmane Diarra, et la présentation des périodiques Planète Jeunes et Planète Enfants.
Interview de Véronique Tadjo par Sven Hallonsten réalisée pendant la Foire.