Mokanda illusion
Mata Mata et Pili Pili
Comment une lettre (« mokanda » en lingala), envoyée de Bruxelles à Kinshasa, a-t-elle réussi à provoquer un espoir extravagant dans l’entourage des deux héros, Mata Mata et Pili Pili ? Dès la première planche, le ton est donné : la situation de l’Afrique est telle, que les Africains poursuivent « l’homme blanc chez lui pour trouver un mieux être ». L’auteur, Mongo Sisé, dénonce l’attentisme de l’Afrique face à l’Europe, d’abord, mais aussi d’autres maux, tels que la forte influence des pasteurs et des voyants ou les accusations de sorcellerie à l’origine, notamment, du problème des enfants des rues… La foule qui grandit en apprenant l’arrivée de LA lettre, puis qui augmente encore à l’annonce d’un virement d’argent appuie la démonstration : l’attente de ce qui vient d’Europe prime sur tout et arrête quasiment la vie de chacun.
Ému par les « tentatives suicidaires de migration d’Africains », c’est l’histoire qu’aurait voulu nous livrer Mongo Sisé, décédé en 2008. Sans financement, il abandonna son projet de publication. Ce sont deux versions issues des archives de l’auteur que nous propose L’Harmattan, en hommage à cette figure phare de la bande dessinée africaine. L’intérêt de cet album réside également dans les pages centrales de l’ouvrage. Rédigé par le spécialiste de la bande dessinée africaine, Christophe Cassiau-Haurie, ce dossier central de huit pages constitue un véritable documentaire sur ce précurseur que fut Mongo Sisé. Formé à Kinshasa, puis à Bruxelles auprès d’Hergé, Mongo Sisé fut en particulier le « premier Congolais à être publié à l’étranger », le « premier bédéiste à enseigner à l’académie des Beaux-Arts » de Kinshasa et le « premier à utiliser la bande dessinée pour faire passer des messages ». Toujours au plus près des préoccupations de ses contemporains comme l’exode rural, la désertification ou les échanges Nord/ Sud (voir ses BD Bingo au pays Mandio, Bingo à Yama-Kara et Bingo en Belgique), Mongo Sisé appartenait à cette « génération perdue » de bédéistes, gâchée entre autres par la zaïrianisation des années 1970. Mais la relève est heureusement assurée avec les Barly Baruti, Tchibemba ou encore Thembo Kash, par exemple !
Fatou Camara