[Crocodilienne]
تمسحيّة
Un étrange dialogue s’engage entre une fillette, Nada, et un animal fabuleux, à tête de crocodile et au corps de serpent, qui prétend ne rien manger et boire seulement de l’eau. Nada s’étonne donc de le voir avaler un poisson, un escargot, un chevreau, un dromadaire, un rat suivi d’un chat, et même un éléphant ! Crocodilienne – c’est son nom – affirme que ces animaux n’entrent dans son corps que pour nager ou pour jouer, et voudrait également jouer avec Nada. Mais, heureusement, Nada est fine mouche. Lorsque Crocodilienne lui suggère d’aller chercher les animaux dans son ventre, elle ne se laisse pas faire. L’animal finit par s’avouer vaincu et s’envole en chantant, reconnaissant qu’il « mange de tout ».
Le texte est rythmé, souvent rimé, et joue sur les assonances. Les illustrations, réalisées au pastel gras dans une large palette de couleurs, jouent sur les formes. Les dents de la gueule de Crocodilienne composent un paysage aux reliefs aigus et déchiquetés – évoquant des stalactites et des stalagmites – qui impriment leur forme sur les animaux qui s’y aventurent. Une fois avalés, ce sont les animaux qui impriment plus ou moins leur forme au corps serpentin de Crocodilienne. D’où le jeu qui s’engage entre Nada, la fillette qui s’efforce de repérer, de l’extérieur, les animaux que vient d’avaler Crocodilienne, et l’animal qui joue l’innocent.
Le graphisme très personnel de l’illustratrice a son revers. Si certains animaux sont très reconnaissables, comme le poisson, le dromadaire, ou l’escargot, d’autres, tel le chevreau, le hérisson, et même le chat, sont plus difficilement identifiables. Du coup, l’aspect ludique du livre – souhaité, semble-t-il – peut-il vraiment fonctionner ? Par ailleurs, il n’est pas évident de distinguer la trompe de l’éléphant d’une partie de la gueule de Crocodilienne, ce qui rend certaines doubles pages difficilement lisibles, même avec le secours du texte. L’on se demande ce que vient faire sur le corps de Crocodilienne, une tête effilée, aux dents pointues, qui pourrait être celle d’un loup. Crocodilienne, animal fabuleux, aurait-elle une deuxième tête, ou s’agit-il de celle d’un animal avalé précédemment ?
Si cet album frappe par son originalité, le lecteur en sort avec le sentiment que quelque chose lui échappe de l’intention des auteurs, que n’ont su rendre, ni le texte, ni les illustrations.
LV